Mazie, la drôle de sainte de Jami Attenberg

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Jami Attenberg est journaliste à New York. Un jour elle tombe sur un article du New Yorker faisant le portrait d’une dénommée Mazie, « la reine du Bowery ». Le Bowery est un quartier du sud de l’arrondissement de Manhattan, siège de nombreux music-halls, mais également symbole de la dépression économique et de la misère des années 30, ainsi qu’un haut-lieu de la criminalité new-yorkaise.

Un personnage fascinant et un quartier très particulier de New York : Jami Attenberg tient un très beau sujet qu’elle convertit en un roman magnifique, grouillant d’humanité et de pittoresque.

Nous plongeons dans la vie de Mazie grâce au journal qu’elle tient depuis ses dix ans, mais aussi au travers de divers témoignages récoltés par un éditeur en vue d’écrire un livre sur Mazie. Le journal constitue la partie la plus importante du texte, mais les interventions des autres personnages éclairent certains points qui seraient restés obscurs (un journal est toujours plein de non-dits évidents pour la personne qui écrit) et ajoutent un piquant supplémentaire au récit. C’est très subtil, très ingénieux et cela donne un livre original, extrêmement vivant.

Avant de devenir la sainte patronne des fauchés et des assoiffés, Mazie a été retirée à ses parents en même temps que Jeanie la cadette par leur grande sœur Rosie. Les trois sœurs habitent avec Louis, l’époux de Rosie, dont les activités plutôt louches se pratiquent avec discrétion.

On pourrait croire que la personnalité écrasante de Mazie éclipserait tous les autres personnages cités dans son journal, mais il n’en est rien. Ce n’est pas la moindre prouesse de ce roman que d’apporter une identité forte aux personnages dits secondaires. Cela pétille de vie à toutes les pages, et comme dans la vie, il y a des périodes douloureuses, seulement ici, ces dernières concernent tout un quartier.

Louis adopte les sœurs de sa femme Rosie et lègue la propriété du Venice, le cinéma du Bowery qu’il a acheté parmi ses nombreuses affaires à Mazie. Elle ne quittera plus la cage de verre où elle vend ses tickets, elle lit des histoires à l’eau de rose sans oublier de vider sa fiole d’alcool. Et surtout elle observe ce qui se passe dans la rue. Le quartier s’anime sous son regard :

Rosie ne comprend pas pourquoi j’aime tant les rues de cette ville. Au lieu de regarder briller les pavés sous la lune, elle réclame que les autorités installent de nouveaux réverbères. Elle ne voit pas le mal que se donnent les cocottes du quartier pour embobiner leurs clients et gagner leur croûte, comme tout un chacun : à ses yeux, les religieuses en cornette, les Chinois, les marins et les barmen, tous ces gens si différents qui forment le monde : ce ne sont que des passants au travers de son chemin. Quand un taxi dévale la rue, elle ronchonne : pourquoi si vite ? Et moi je rayonne : où est la fête ? (p. 24-25)

Mazie aime la vie, les couleurs et les gens, sans préjugés ; elle qui est juive pas du tout pratiquante a pour meilleure amie Ti, une religieuse catholique. Elle aimera toute sa vie le Capitaine, un marin dont elle aime les arrivées imprévues et les départs, tant elle n’est pas faite pour une vie rangée.

Le quartier s’anime dans le journal de Mazie, la misère côtoie l’alcoolisme et la drogue, et la tendresse l’inquiétude, la Prohibition et le goût de l’alcool clandestin, les douleurs et les joies de la vie. Ti la religieuse proche de la sainteté meurt, ainsi que Louis, le mari de Rosie. Ce ne sont que les prémisses de la Grande Dépression. Louis a laissé beaucoup d’argent que Mazie emploie pour soulager la misère qui l’entoure. D’une certaine façon elle prend le relai de Ti, ce qui justifie le titre : Sainte patronne des fauchés et des assoiffés, parce qu’elle n’oublie jamais de lever le coude avec eux.

Les pages concernant ces terribles Années Trente sont magnifiques, bouleversantes. La délicatesse de celle que l’on surnomme désormais « la reine de Bowery » pour conserver un semblant de dignité à tous ces hommes qui tiennent leurs possessions dans une petite valise bouleverse. Mazie ouvre le Venice pour que ceux qui ont tout perdu, puissent dormir au chaud, elle circule la nuit pour soulager les sans-abris de leur misère.

Il y a tant de tant de truculence et tant de générosité dans ce roman qu’il faut le lire toute affaire cessante.

Mazie, sainte patronne des fauchés et des assoiffés
Jami Attenberg
traduit de l’anglais (États-Unis) par Karine Reignier-Guerre
Les Escales, août 2016, 391 p., 21,90 €
ISBN : 978-2-365-69145-1

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