Moi Khalil, kamikaze

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Khalil vient de Belgique, et personne ne parle dans la voiture qui roule en direction de Paris, ce 13 novembre 2015.

Nous étions quatre kamikazes ; notre mission consistait à transformer la fête au Stade de France en un deuil planétaire.

Dès la première page du roman nous sommes immergés dans la tête d’un jeune terroriste, plongés dans la préparation des actions destinées à semer la mort, confrontés au rôle de chacun des passagers de la voiture, à la minutie de la préparation, à l’absence d’émotion. Khalil a un problème : sa ceinture d’explosif ne fonctionne pas dans le RER bondé qu’il était chargé de faire sauter. Nous restons dans sa tête, bel artifice de l’auteur pour mieux nous faire saisir la façon dont on transforme un jeune plutôt fragile, plutôt perdu, en une bombe ambulante exaltée par le martyre.

Le frère revient à la charge chaque fois qu’il te croise sur son chemin. Souvent, c’est lui qui t’accueille à la descente du tram. Il finit par te convaincre de le suivre dans l’impasse où officie l’imam. En vérité, il ne t’a pas convaincu. Tu le suis pour qu’il arrête de te harceler. C’était ce qu’il m’était arrivé. […] Petit à petit les agents dormants que tu avais cumulés à ton insu commencent à se substituer à tes fibres sensibles. Quant à l’imam, il a la réponse à toutes les questions qui te taraudaient autrefois sans te livrer un indice susceptible de t’éclairer ; il te renvoie à tes déconvenues, aux vexations que tu croyais avoir surmontées, à tes blessures jamais cicatrisées – le paumé devient ton sosie, le révolté ton frère siamois, les prêches ton exutoire, la violence ta légitimité. […] Tu deviens le frère, et tu marches la tête haute parmi les hommes, comme un seigneur. (p. 228-229)

L’engrenage est enclenché. Personne ne peut changer quoi que ce soit, famille, amis, tout est balayé. Cette plongée dans la tête de Khalil a plus de force que nombre de documentaires et analyses sociologiques. C’est la force de la littérature que de nous confronter à l’incompréhensible, de vivre de l’intérieur ce qui nous est irréductiblement étranger. De comprendre aussi, peut-être, que tant d’attitudes inconscientes du racisme ordinaire peuvent faire le berceau de la terreur.

Ce roman ne se réduit pas à des jeunes paumés aux familles dysfonctionnelles ; les différents djihadistes impliqués dans la vie de Khalil couvrent un éventail sociologique et géographique étendu, comme Hédi, son colocataire chargé de le servir et surtout de le surveiller.

D’après Ramdane, le Tunisien croulait sous les diplômes. Sa traçabilité s’arrêtait là. Son histoire, son parcours idéologique, sa fonction au sein de notre groupe relevait du secret-défense. (p. 154)

Difficile d’oublier que la plupart des terroristes islamiques sont issus des classes moyennes.

Je ne suis pas sûre que le roman de Yasmina Khadra calmera les angoisses des lecteurs face au terrorisme, mais il donnera un éclairage qui leur manquait dans un roman dont la force de l’écriture accompagne parfaitement son sujet.

Khalil
Yasmina Khadra
Julliard, août 2018, 264 p., 19 €
ISBN : 978-2-260-02422-4

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