J’avoue m’être laissée séduire par le titre, si poétique, du roman de l’auteur d’Une ardente patience dont est issu le merveilleux film Le Facteur. Philippe Noiret joue le rôle du grand poète chilien Pablo Neruda, mais impossible de me rappeler le nom de cet acteur si émouvant qui jouait le modeste facteur.
Cette Noce du poète (La boda del poeta), qui a obtenu le prix Medicis étranger en 2001 l’année de sa parution en français aux éditions Grasset, n’a rien d’une fête éthérée, et je ne peux reproduire ici la description de la danse de la turumba,
celle que l’on nomme par euphémisme la « lupanaresque ». Mais dans le langage courant, les gens l’appellent plutôt la « turumputa ».
Vraiment trop pornographique cette danse traditionnelle !
L’histoire se passe sur une petite île de l’Adriatique, l’île de Gema, sur la côte de Malice, dont les habitants parlent… le malicieux. Sur cette île tentée par l’indépendance malgré sa pauvreté, ont eu lieu des noces tragiques et mystérieuses, et vingt ans plus tard, le poids de ce drame hante les esprits lorsqu’une noce aussi somptueuse que la précédente s’annonce.
Jerónimo, riche Autrichien que sa sœur appelle « le poète », s’installe sur l’île après la mort de son père et reprend le grand magasin en ruine de l’auteur des noces tragiques, l’Européen. Il va se marier avec Ali Emar, la plus belle fille de l’île. Mais Jerónimo a cinquante ans, et la promise vingt. Un autre poète rôde dans les parages, le très beau et très indécis Esteban qui écrit des vers de mirliton, mais possède des yeux d’un bleu si profond ! Du classique, me direz-vous ! Pas tout à fait… Nous nous trouvons dans une fête baroque où la chaleur échauffe les corps et les esprits et où un auteur malicieux égare les lecteurs.
L’histoire se passe en 1914 à la veille de la guerre : la cloche de l’église est bien trop lourde pour tenir dans le clocher, les jeunes du lieu massacrent la garnison austro-hongroise venue les enrôler avec leurs couteaux à ouvrir les coquillages, le curé est un drôle de paroissien qui téléphone au Pape, le colonel autrichien venu écraser la rébellion est lui aussi un drôle de militaire… L’exode au Chili des jeunes gens par qui le malheur est arrivé devient possible grâce à une étrange femme consul qui leur fait un passeport collectif. Bref tout est bizarre dans ce roman parodique, expansif, tortueux, bavard, érotique et cruel. La mort et le sexe, l’histoire et ses absurdités, les histoires dans l’histoire comme un cube aux multiples facettes.
A sept heures du matin, il fit une entrée solennelle dans le salon de « l’Européen » et y découvrit les deux époux suspendus dans le temps comme les personnages d’un tableau flamand. Un nimbe d’absence et de douce tristesse enveloppait ce silence, et il lui sembla percevoir quelque chose de sinistre dans la toile des ombres qui se repliaient devant la violence du soleil.
La noce tourne à la fête tragique et la danse érotique des villageois fait place aux exécutions et aux viols. Qui est le narrateur ? Le journaliste dont l’auteur dit réécrire les articles tellement ils sont mauvais ? L’auteur parle de lui à la troisième personne
Le jeune Skármeta fut bouleversé par ces lignes, qui pour la première fois révélaient autre chose de don Jéronimo que son sourire lorsqu’il manœuvrait sa caisse enregistreuse en recevant le prix de sa marchandise.
avant de reprendre la première personne, histoire d’égarer un peu plus le lecteur.
L’auteur chilien Antonio Skármeta est le fils d’immigrés d’une île dalmate. Il possède la double nationalité chilienne et croate. Il a été nourri des mythes de l’île natale de ses parents, et tout se mélange dans la nostalgie qui amplifie la beauté et le drame, les légendes et la misère. De quoi constituer un fonds inépuisable pour un auteur qui adore les histoires et surprendre ses lecteurs… Si vous aimez vous laisser surprendre par une histoire, rouler dans une langue tour à tour poétique, érotique, humoristique ou énorme, cette Noce du poète est faite pour vous. Elle charrie des galets, des pépites, elle est parfois bavarde ou lascive comme une danse des corps et des rêves, elle mérite d’être redécouverte…
Antonio Skármeta
Traduit de l’espagnol (Chili) par François Rosso
Grasset, août 2001, 368 p., 20,90€
ISBN : 978-2246608714
Pour qui aime les égarements balisés, un beau parcours, en l’occurrence !
L’acteur dont tu cherches le nom était Massimo Troisi, mort peu après le film d’une crise cardiaque, et très regretté… Je l’aimais beaucoup, tout comme ce très beau film d’ailleurs.
Ce livre-ci m’attire terriblement… oh la la que j’ai envie 🙂
Massimo Troisi, merci Edmée! Et bonne lecture!