Őr : les cicatrices sublimées en ode à la vie

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OrQuel livre magnifique ! Je l’ai commencé ce matin très tôt, le corps douloureux et l’âme pleine de bleus ;  je l’ai terminé tout à l’heure, apaisée, une lumière dans cette grise journée, et je ne peux m’empêcher de vous faire partager mon enthousiasme et mon émotion.

Őr est le dernier roman de l’Islandaise Auđur Ólafsdóttir paru aux éditions Zulma, un texte bouleversant de finesse et de poésie, d’humanité et de générosité, d’humour et de tendresse humaine. Précipitez-vous sur ce très beau roman sans attendre, la chaleur de ce texte venu du grand Nord vous réconfortera plus que n’importe quelle saga exotique.

Note de l’auteur p.237 :

Le mot islandais Őr signifie « cicatrices ». Il n’est ni féminin ni masculin, mais d’un troisième genre qu’on appelle neutre. Őr est identique au singulier et au pluriel : une ou plusieurs cicatrices. Le héros de Őr, Jónas Ebeneser, en a sept, chiffre assez proche de la moyenne. Őr dit que nous avons regardé dans les yeux, affronté la bête sauvage, et survécu.

Jónas Ebeneser, quarante-neuf ans, divorcé, une fille qui s’appelle Nymphéa, comme le nénuphar que celui-ci vient de se faire tatouer sur le cœur, Jónas est malheureux. Il veut se suicider.

Sur les bancs de la pelouse, par une froide éclaircie de soleil printanier, les vieux sont là à croupir sous des couvertures de laine, non loin d’un groupe d’oies sauvages qui vont par paire. Sauf une, tapie seule, à l’écart ; elle ne bouge pas, bien que je marche droit sur elle. Elle a une aile tordue vers l’arrière, manifestement brisée. Une oie blessée ne peut s’accoupler et ne saurait donc se reproduire. C’est Dieu qui m’envoie un message, non pas que je croie en lui.

Ma mère est affalée dans un fauteuil inclinable, ses pieds ne touchent pas le sol et ses pantoufles, trop grandes, se balancent au bout de ses jambes décharnées. Elle s’est ratatinée au point d’être réduite à presque rien ; elle a cessé d’être chair ; légère comme une plume. Des os en polystyrène expansé et quelques tendons la font tenir d’une seule pièce. On croirait un squelette d’oiseau exposé tout l’hiver aux intempéries et dont il ne reste plus qu’une carcasse vide qui finira en une pelote de poussière avec des griffes. […]

Je n’ai pas l’intention de finir comme maman. (p.22-23)

Jónas ne s’est pas remis de son divorce ; sa femme, en partant, lui a appris qu’il n’était pas le père biologique de sa fille. Une oie blessée. Le doux Jónas demande un fusil à son voisin Svanur, mais il n’a jamais utilisé une arme de sa vie, alors il décide de se pendre. Mais si sa fille tant aimée le trouvait ? Jónas décide de partir pour un pays dangereux, où la guerre vient à peine de se terminer, sûr de trouver une fin rapide. Quel pays? Quelle guerre? Le choix est vaste et la dévastation universelle, l’auteur n’a pas besoin de préciser.

La suite est superbe, pleine d’humanisme devant le courage de ceux et celles surtout qui essaient de lutter pour que la vie renaisse. Les pires horreurs de la guerre sont murmurées avec pudeur, d’une voix atone qui tient du chuchotement ou de la confession. Tout ce qu’on ne peut pas dire, autrement on se mettrait à hurler, tout ce qu’il faut oublier, autrement on prendrait un couteau.

Comment dire à cette jeune femme qui a eu tant de mal à survivre avec son petit garçon et son frère cadet sous des pluies de bombes – dans un pays où le lit des rivières est baigné de sang et où des pelotons d’exécution il y a quelques semaines encore coloraient l’eau de rouge – que j’ai fait tout ce chemin pour me supprimer. Impossible d’expliquer à ces gens-là que je suis venu avec ma caisse à outils pour pouvoir fixer un solide crochet, et que c’est aussi naturel pour moi d’emporter ma perceuse que d’autres leur brosse à dents. Je ne peux pas lui confier – après tout ce qu’elle a enduré – que je vais lui imposer ainsi qu’à son frère la tâche de me décrocher. Mon malheur est, au mieux, dérisoire, quand tout ce qu’on voit par la fenêtre n’est que ruines et poussière. (p.130)

Jónas va trouver des raisons de vivre dans ce pays dévasté, avec sa boîte à outils qui rétablit un quotidien acceptable : de l’eau au robinet et dans la douche, de la lumière grâce à une lampe réparée. Il réalise sa propre renaissance en aidant des femmes et des enfants à opérer la leur, et le lecteur se sent réconforté devant ce beau livre islandais pétri d’humanisme.

Ör
Auður Ava Ólafsdóttir
traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson
Zulma, octobre 2017, 242 p., 12,99 €
ISBN : 9782843048067

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