Souriez, vous êtes prisonnier

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Vous souvenez-vous de la série Person of Interest  dans laquelle « la Machine » était un système de surveillance de masse utilisant de nombreuses caméras de surveillance et d’innombrables données informatiques ? C’était de la science-fiction, même si Edward Snowden avait révélé l’importance de la surveillance globale aux États-Unis et dans le monde entier.

L’évolution vertigineuse de la technologie a rendu la série obsolète. Le gouvernement chinois va beaucoup plus loin que la Machine et utilise la surveillance de masse à une échelle que nous avons peine à imaginer dans une optique de normalisation totale de sa population, un programme pour une « société de l’intégrité » qui sera mis en place sur tout le territoire en 2020 au plus tard.

Quarante-quatre expérimentations ont commencé en 2015 et 2016, et une première généralisation a eu lieu en mai 2018. Ce flicage porte le nom poétique  de « réseau céleste » et comprend l’installation de deux cent millions de caméras de surveillance en cinq ans complétant toute la surveillance mise en place précédemment.

Le fichage existe depuis longtemps en Chine, mais il a pris une tout autre dimension avec l’essor des outils informatiques. Reconnaissance faciale, contrôle des réseaux sociaux et des conversations privées, traçage des déplacements, surveillance de chaque instant : l’étau se resserre. Le moindre retard de paiement d’une facture peut avoir des conséquences incalculables non seulement sur la personne qui a commis cette « faute », mais aussi sur les membres de sa famille.

Illustration: Courrier international

Illustration: Courrier international

Ce programme ressemble à une sorte de permis de conduire à point cauchemardesque. Il est destiné à rendre l’ensemble des citoyens intègres et  repose sur un système de points, le « crédit social ». Tout citoyen dispose d’un certain nombre de crédits. Et il en perd chaque fois qu’il commet une infraction à la règle du jeu établie par les autorités locales, règles qui changent suivant l’endroit où l’on vit. L’arbitraire le plus total règne. Brûler un feu rouge fait perdre plus de points que trafiquer de la nourriture, par exemple, et si le malheureux proteste, il aggrave considérablement son cas, puisque c’est un potentiel contestataire…

Le dossier de chacun est mis à jour instantanément, et il est désormais public. Les tribunaux publient s’ils le désirent sur Internet leurs listes noires qui sont parfois lues sur les places publiques ou montées en diaporama musical, avec nom et photo des gens qui ont perdu leur crédit.

Les implications sont très importantes, car le classement des citoyens détermine leurs possibilités de logement, d’éducation, de système de santé, de déplacement. La solidarité familiale des peines étend les mesures discriminatoires à la famille entière, donc aux enfants qui n’ont plus la possibilité d’intégrer de bonnes écoles, quels que soient leurs résultats.

Lorsqu’un individu a perdu tous ses points, « la peine suprême est la privation à vie des droits politiques » , de facto l’exclusion du système du parti, et toute personne tentant de lui téléphoner reçoit un message enregistré : « Le tribunal populaire se permet de vous signaler que la personne à qui vous téléphonez fait l’objet d’une condamnation pour manquement à ses obligations. »

Ce qui se passe en Chine est lointain, me direz-vous, et ce pays connaît la tentation du totalitarisme depuis longtemps. Nous ne connaissons pas de système de notation conditionnant notre vie, c’est vrai. Pourtant, quand on songe que la moindre de nos caries est immédiatement enregistrée dans le système de santé, que tous nos déplacements sont connus et nos petits « oublis » aussi (Avez-vous essayé de prendre l’avion en ayant oublié de payer une contravention ?), que les réseaux sociaux connaissent notre vie mieux que nous-mêmes, car eux n’oublient rien, il nous reste à espérer qu’aucun gouvernement totalitaire ne s’établira, car sa tâche de surveillance et de mise au pas serait très facile.

La plupart des pays occidentaux observent avec attention l’expérimentation chinoise. Pour notre sécurité à tous, n’en doutons pas, tant de gens mettent celle-ci au-dessus de la liberté !

P.-S. : Que l’on se rassure, en Chine des petits malins exploitent les failles du système et trouvent des parades.

Source : Courrier international n° 1466 Chine. La vie en nombre de points

 

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2 réflexions sur « Souriez, vous êtes prisonnier »

  1. alainx

    J’ai lu deux ou trois trucs sur ce projet.
    Pour rester dans le domaine littéraire et de la fiction : ce genre d’évolution va tellement vite que les œuvres d’anticipation sur ce sujet sont obsolètes en cinq ans !
    On croyait que certains auteurs avaient inventé le pire… mais non !
    Sur la scansion du slogan de rue :
    « ce n’est qu’un début/ continuant la/ connerie » !

    Ces quelque peu affolant de voir que cela se déroule sous nos yeux, selon une stratégie « Light » et même volontaire par bon nombre d’individus qui mettent sur les réseaux sociaux, des aujourd’hui tout, absolument tout sur eux. Avec leurs noms, leurs adresses, et leurs photos de famille.
    Et qui sont tout contents d’être fliqués 24 heures sur 24 par leurs Smartphones…
    La Stasi n’aurait pas rêvé mieux !

    Je suis de plus en plus content de ne pas avoir 20 ans !

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      C’est vrai que la science-fiction se périme de plus en plus vite, et que certaines choses deviennent des réalités que les écrivains n’auraient même pas osé imaginer!
      Quant au désir de s’exposer (s’exhiber) il semble ne pas connaître de limites! Un mot va finir par disparaître, c’est la pudeur, puisque beaucoup de gens ignorent désormais sa signification. Je me montre, donc j’existe. Et que l’on sache tout de mes déplacements et connaissances me rassure.
      Bienvenue dans le meilleur des mondes… cher Alain.

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