La succession de Jean-Paul Dubois, suée de saison

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Tongs gazonEt voilà, cela recommence, la ronde des romans et des invités sur les chaînes du service public, radio comprise.

Il y a deux jours, Patrick Cohen recevait dans son émission matinale l’écrivain Jean-Paul Dubois pour son roman La succession. L’entretien fut surréaliste, l’auteur affichant une nonchalance sympathique et étudiée. Le journaliste signale que l’auteur invité a été grand reporter au Nouvel Observateur, puis entend sans doute enchaîner le ronron de saison. Las ! Il aurait dû se renseigner. L’auteur avoue ne jamais lire, ajoutant qu’il préfère suer : « Je lirai quand lire fera suer » ou quelque chose d’approchant. Déstabilisation. Et les journaux ? Pareil. Cela ne fait pas suer, donc il ne les lit pas. Son employeur appréciera.

On a compris que la lecture sous tous ses aspects n’est pas la tasse de thé de l’écrivain. La littérature non plus, d’ailleurs, il préfère le cinéma. Mais alors, pourquoi écrit-il, sinon pour être lu ? On dirait un boucher végétarien.

Les raisons sont triviales : écrire – vite, si possible – est un moyen facile de gagner sa vie. Il faudra en parler aux milliers d’auteurs qui triment pour être édités sans même oser penser gagner leur vie avec ce qui leur est aussi nécessaire que l’eau.

« Je suis venu à l’écriture, car c’est le moyen de gagner sa vie le moins douloureusement possible. » Ah bon. Être grand reporter dans un grand journal a peut-être aidé, non ?

Certes, Jean-Paul Dubois écrit bien, ce qui ne semble pas être original pour un écrivain. Côté imagination, il ne se sort pas les tripes, donnant le prénom de Paul et d’Anna plus que régulièrement à ses héros, racontant les mêmes choses d’un roman à l’autre, reprenant parfois même des éléments de ses articles écrits pour le Nouvel Observateur. Copié-collé avec un peu de dentelle humoristique autour. Le phénomène n’est pas nouveau mais il peut expliquer en partie pourquoi il suffit d’un mois à l’auteur pour torcher un roman.

La tondeuse à gazon, le dentiste, la voiture. Ah, la voiture… ce personnage si rassurant, si archétypal, si masculin. Est-ce la raison pour laquelle le fan club masculin est si important ?

Jean-Paul Dubois me semble très représentatif de notre époque et de ses aspirations : vivre le mieux possible en travaillant le moins possible, replié sur son ego, ses obsessions, ses récurrences.

Patrick Cohen, avec un brin d’irritation dans la voix, a conclu l’interview en disant : « La prochaine fois on vous invitera pour parler de films ». C’est comme si la littérature était passée à la trappe.

Le nouveau roman de Jean-Paul Dubois s’appelle La succession, il est publié aux éditions de l’Olivier. Le héros s’appelle Paul, bien sûr. Une « histoire bouleversante où l’évocation nostalgique du bonheur se mêle à la tristesse de la perte. On y retrouve intacts son élégance, son goût pour l’absurde et la liste de ses obsessions » écrit l’éditeur.

Vous me direz si c’est mensonger, parce que moi, je ne vais pas lire ce roman. Cela me ferait suer.

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6 réflexions sur « La succession de Jean-Paul Dubois, suée de saison »

  1. César

    Chère Madame,
    contrairement à une vieille légende qui vise à entretenir le mythe de l’écrivain écorché ou maudit, écrire n’est pour personne aussi nécessaire que l’eau. Lire non plus d’ailleurs. Essayez donc et vous verrez, le risque est nul.
    Que la désinvolture de Jean-Paul Dubois irrite les parangons de la bienséance littéraire, je trouve cela plutôt rafraîchissant. Trop d’oreilles ne sont plus aptes à entendre les propos les plus simples : oui, écrire est bien moins douloureux qu’une journée en usine. Oui, on peut écrire sans jamais lire. Cela n’a rien de surréaliste. Ce qui me paraît l’être, par contre, c’est de vouloir encore et toujours des écrivains inspirés jouant leur vie sur un roman. Non, pour Jean-Paul Dubois, ce n’est pas l’écriture ou la mort. Et s’il pouvait gagner sa vie sans même avoir à écrire une seule ligne il n’en serait que plus heureux. Nous, un peu moins, car il nous priverait de son talent.
    Bien à vous.

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      Cher monsieur,
      J’ai essayé d’arrêter de lire et d’écrire, et contrairement à ce que vous suggérez, le risque n’est pas nul, le manque déstabilise, je vous assure!
      Qui a parlé de douleur, même si c’est parfois le cas. Lorsque je me suis mise à la place du résistant torturé dont j’écrivais la biographie, soyez assuré qu’il y avait douleur, et sortie de soi, et bouleversement. Il faut comparer ce qui peut l’être, sans mauvaise foi et sans angélisme. Quant au reste, les écrivains inspirés jouant leur vie sur un roman, cela peut arriver mais le reste n’est que littérature ou posture.
      Jean-Paul Dubois trouve en tout cas de beaux défenseurs de sa nonchalance créative, ce qui suppose bien du talent, à défaut de travail.
      Bien à vous…

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