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Le meurtre du Commandeur : Idées platoniciennes à la sauce nipponne

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La nouvelle série ésotérique de l’auteur japonais Haruki Mirakami, après le succès mondial de IQ84, comprend pour l’instant deux tomes dont les sous-titres devraient nous intriguer autant que le titre.

meurtre 1Dans le premier tome, nous faisons connaissance du narrateur dont nous ne connaîtrons jamais le nom et qui est un peintre spécialisé dans le portrait. Sa femme vient de lui apprendre qu’elle veut divorcer. Il entame alors une errance en voiture avant de se fixer dans la demeure d’un très grand peintre spécialisé dans une technique japonaise traditionnelle, Tomohiko Amada. Ce dernier vient d’être admis dans une maison de retraite, et son fils, ami du narrateur, demande à celui-ci d’habiter la maison. Dans le grenier de cette demeure isolée en pleine montagne, le peintre en panne d’inspiration trouve un tableau étrange doté d’une puissante force d’évocation intitulé Le meurtre du Commandeur. C’est le chef d’œuvre caché du vieux peintre muré dans sa démence. Pourquoi avoir caché un tableau d’une intensité pareille où les personnages ont l’air issus de l’opéra de Mozart, Don Juan ? Continuer la lecture

Le meurtre du commandeur T. 1 – Une idée apparaît
Haruki Murakami
traduit du japonais par Hélène Morita et Tomoko Oono
Belfond, octobre 2018, 456 p., 23,90 €
ISBN : 978-2-7144-7838-2

Le meurtre du commandeur T. 2 – La Métaphore se déplace
Haruki Murakami
traduit du japonais par Hélène Morita et Tomoko Oono
Belfond, octobre 2018, 480 p., 23,90 €
ISBN : 978-2-7144-7839-9

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MOI dans l’espace

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Depuis plusieurs jours, impossible d’échapper à l’astronaute français Thomas Pesquet dans les médias ; celui-ci doit participer à une mission devant durer six mois à bord de la station spatiale internationale. pesquet-2Et que l’on se gargarise, et que l’on étale à l’envi le visage sympathique de celui qui redonne du lustre à notre pays en ces temps de morosité préélectorale.

Il est enfin parti et le décollage s’est bien passé. Entre autres tâches d’une valeur scientifique certaine,  il doit accomplir une œuvre conçue par un artiste, nous précise le commentateur mi-goguenard mi-sérieux. Dans l’espace, notre valeureux astronaute va envoyer un mot découpé dans du papier blanc, et le mot résultant de ce découpage que tous les enfants ont fait en début d’école primaire, ce mot, je vous le donne en mille, c’est MOI. Est-ce un gag ? Mi-novembre, cela semble loin d’avril… Le présentateur a-t-il voulu faire de l’humour ? montrer son exaspération devant cet intempestif vedettariat ? Pas du tout, c’est très sérieux… La preuve, cette citation tirée du site du CNES :

À l’occasion de la prochaine mission Proxima à bord de l’ISS, l’Observatoire de l’Espace, le laboratoire arts-sciences du CNES, propose un projet artistique qui n’existe qu’en apesanteur. Télescope intérieur est une poésie spatiale imaginée par l’artiste Eduardo Kac, une œuvre de papier où le langage libéré des contraintes de la pesanteur est vecteur d’une expérience inédite.

En inscrivant dans son programme de recherche à bord de l’ISS un dispositif poétique, l’Agence spatiale européenne nous rappelle qu’explorer et expérimenter ne sont pas l’apanage des sciences et techniques, et que la culture et la création artistiques forment une composante majeure de la vie humaine, notamment dans un environnement qui la force à se réinventer.

Le dispositif imaginé par Eduardo Kac lance une question aux spécialistes de l’espace comme au reste du public : quel type d’écriture et quelle expérience de l’écrit peut-on concevoir, non pas à propos de l’Espace, mais en son sein, avec ses outils et ses contraintes ?

Représentant d’une parcelle de l’humanité exportée dans l’espace, Thomas Pesquet incarne un point vivant, à qui revient la réalisation de cette œuvre de Poésie Spatiale. C’est en partant de l’individu comme un expérimentateur qu’Eduardo Kac propose d’engager une méditation sur notre avenir sur la Terre et sur notre présence dans l’univers. Détaché de notre planète natale, Télescope Intérieur devient, par l’intermédiaire de Thomas Pesquet dans l’ISS, un instrument d’observation et de réflexion poétique pour réinventer notre rapport au monde.

Bigre. Je n’avais pas imaginé la profondeur philosophique de ce découpage, le bouleversant message interstellaire envoyé comme une bouteille dans l’immense océan primordial. Voici l’artiste et son assistant préparant le geste d’une insondable poésie :

eduardo-kac-et-thomas-pesquet

Sur cette image, vous pouvez constater que l’astronaute compare son « M » avec celui de l’artiste. Le « M » de « MOI », message d’une poésie insondable, c’est sûr. Cela me fait penser à Jean-Marie Messier, vous savez, Moi, Maître du Monde… Quand la poésie percute l’hypertrophie de l’ego.

Ce message d’une richesse sidérante va-t-il flotter dans le vide intersidéral sous la forme fragile d’une bandelette de papier jusqu’à ce qu’un débris le réduise à néant ?

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