Comment restituer la vie de Charlotte Salomon, née dans une famille où le suicide court de l’une à l’autre des femmes de la famille comme une maladie héréditaire, cette vie intense qui se termine en camp d’extermination, à vingt-six ans, alors qu’elle était enceinte de cinq mois ? Comment rendre l’urgence d’une œuvre, le besoin vital, l’appel du gouffre et la résistance ? David Foenkinos choisit la scansion du vers libre, tout sauf la prose qui aurait affadi son propos, dilué la vie de Charlotte, étouffé toute respiration.
Ces vers rythment le texte, certains arrivent presque au bout de la ligne, moments de narration, d’explication, de douceur parfois, et d’autres sont coupants comme des hachoirs.
Les premiers vers du premier chapitre donnent le ton :
Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe.
Elle n’est donc pas la première Charlotte.
Il y eut d’abord sa tante, la sœur de sa mère. (p. 15)
Comment vivre dans un tel contexte, lorsque la mort est un appel auquel, alors que Charlotte a huit ans, sa mère Franziska ne peut résister ?
Les Grunwald dînent dans la grande salle à manger.
L’infirmière traverse la pièce, s’assoit près d’eux un instant.
Subitement, la mère est foudroyée par une vision.
Franziska seul dans sa chambre, qui s’approche de la fenêtre.
Elle fusille du regard l’employée.
Se lève précipitamment, court vers sa fille.
Elle ouvre la porte, juste à temps pour voir le corps basculer.
Elle hurle de toutes ses forces, c’est trop tard.
Un bruit sourd.
La mère avance, tremblante.
Franziska baigne dans son sang. (p. 28)