Voici un livre coup de poing, si éloigné de tous les poncifs sur l’épanouissement de la femme grâce à la maternité qu’on en reste pantelant, groggy après 460 pages serrées du combat d’une femme qui ne réussit pas à se conformer aux standards de l’amour maternel.
L’autrice de cette Maternité sait de quoi elle parle : elle est psychologue clinicienne, spécialiste du lien parent-bébé ; l’héroïne de son roman, Clara, est sans doute un concentré de toutes les douleurs qu’elle a dû panser dans son cabinet.
Avant le séisme de la maternité, Clara venait d’être nommée directeur financier, une position magnifique mais qui ne suscite aucune réaction positive chez ses parents :
Quand tu vas les voir, tu as froid. Quand tu es chez eux, tu as froid. Et même sur le chemin du retour, tu as froid. (p. 12)
Le gouffre affectif est si profond, comment son mari pourrait-il le combler ? Frédéric est pourtant le compagnon dont beaucoup de femmes rêveraient d’être l’épouse. Il se réjouit de la promotion de sa femme. Toute la suite du texte va montrer que cet homme généreux aime profondément Clara, il va essayer de tenir le cap dans cette famille qui sombre. Frédéric est la lumière de ce texte d’un noir puissant.
Tu rentres retrouver ton mari mais tu ne quittes pas ton travail, cet amant insatiable auquel tu te donnes dans une douloureuse et obscure satisfaction. Il reste maître de tes pensées et, souvent, tu dois fournir un effort pour écouter Frédéric. Professeur de français dans un collège situé en zone sensible, il t’attend entre deux piles de copies. Avec son agrégation, tu te dis qu’il aurait pu prétendre à un poste dans un prestigieux lycée comme celui où vous vous êtes connus, mais tu respectes son choix. Frédéric échappe à la critique c’est une règle que tu t’es fixée en l’épousant. Du moment qu’il est là, qu’il cuisine pour toi et te demande :
— Ça s’est bien passé, ta journée ?
C’est une question absurde mais tu lui sais gré de la poser, encore et encore. Car non, évidemment, ça ne s’est pas bien passé ! Rien n’est jamais comme tu l’entends. Rien ne trouve grâce à tes yeux, ni tes collaborateurs, ni l’univers ingrat qui refuse de se plier à ta logique.
Alors quand Fred t’interroge, tu vides tous tes griefs et c’est à peine si tu sens le goût acrimonieux de ce que tu ingurgites. (p. 14-15)
Les premières pages de cet épais volume que l’on lit la gorge serrée mais sans pouvoir s’arrêter, disent l’essentiel de l’héroïne, Carla la mal nommée, car cette femme forte est un abîme de fragilité. La trouvaille éblouissante de l’autrice est d’avoir réussi à nous mettre dans la tête de Carla en choisissant le pronom le plus difficile à tenir sur une narration à long terme, ce « tu » qui tue, accuse et met à distance. Continuer la lecture