Pour une fois je voudrais parler d’un roman qui représente pour moi exactement la théorie du goût creux appliquée à la littérature : un camembert industriel a si peu de goût que vous en reprenez encore et encore, à la recherche de ce que vous étiez venus chercher. Les Désengagés de Frédéric Vitoux de l’académie française (comme si c’était un gage de qualité) est un livre creux tout en références littéraires et en rappels du petit monde de l’édition avec vrais journalistes connus à la clé et compositions transparentes d’éditeurs pour les intimes.
L’argument : le jeune Octave, apprenti écrivain rencontre Marie-Thérèse, la quarantaine entamée en octobre 1967 chez un disquaire. Suivent une vingtaine de pages de bavasseries musicales pour montrer l’érudition de l’auteur, amateur manifeste du Chevalier à la rose. Ces deux-là deviennent amants illico, comme cela tombe bien : la quadragénaire est lectrice dans une maison d’édition !
Las, nous sommes à l’aube de mai 68 ; cela dit, à la page cent cela ne faisait pas encore de différence pour nos héros du triangle amoureux classique (il faut ajouter la jeune Sophie) qui portent les noms des héros du Chevalier à la rose. Quand on ne sait pas quoi écrire on multiplie les références culturelles, cela impressionne (ou cela irrite) et les pages s’écrivent toutes seules.
Vous l’aurez compris, ce roman m’a semblé boursouflé, plein de suffisance pour tout dire. Que suis-je venue faire dans cette galère ? Attirée par la jolie idée dont parle l’auteur sur la quatrième de couverture :
Je me suis souvent demandé quels écrivains avaient été assez malchanceux pour publier un livre en avril ou mai 1968. Le point de départ – malicieux – des Désengagés est né de cette interrogation-là.
Un petit exemple du style du livre. C’est Marie-Thérèse la quadragénaire qui s’exprime mais on dirait que l’auteur ne sait pas que les femmes de 1968 ne ressemblaient pas aux héroïnes de Stendhal ou de Balzac : elles brûlaient leur soutien-gorge et s’éclataient avec de jeunes amants.
Elle pouvait retrouver, impunément, cette douceur, cette suavité, ou cette tendresse baignée d’indulgence qu’aucune jeune fille n’exprimera jamais, tout occupée qu’elle est à trancher dans ses désirs, ses impatiences ou ses peurs, mais qui sont le privilège des femmes de trente, quarante ans ou plus, que la vie semble avoir polies, à qui les chagrins, les déceptions, les amours passées ou les espoirs qui vont s’étrécissant ont conféré une forme d’indulgence qui sait faire l’économie d’illusions inutiles – car ce sont les illusions qui sont blessantes, qui attaquent le granit de la vie, ce sont elles qui se fracassent, tout comme la jeunesse finit tôt ou tard par se désintégrer.
C’est téléphoné, la malheureuse nous annonce la fin avant d’avoir effleuré le jeune Octave, Maintenant faites comme vous vous voudrez. Moi je vais écouter la musique sublime de Strauss, la version Giulini, bien sûr… J’aurai au moins retenu quelque chose de cette lecture.