Le mandarin est un fort bel oiseau, mais le mot désigne aussi un haut fonctionnaire de l’empire chinois membre d’une caste de privilégiés, le terme viendrait du malais mandar, mander, ordonner. C’est tout dire. L’empire chinois du XVIe siècle a disparu mais la caste a fait florès.
Je me souviens des mandarins de l’université, ces êtres inaccessibles et désagréables qui englobaient dans un mépris indifférencié étudiants et assistants.
J’espérais l’espèce en voie de disparition.
Cette semaine j’avais rendez-vous dans un grand hôpital lyonnais avec un éminent professeur secondé par une armada d’assistants hyper diplômés. Il avait fallu montrer patte blanche, avoir un dossier élaboré par mon médecin pour devenir un cas intéressant, et patienter plusieurs mois avant de rencontrer Dieu.
— Surtout ne l’appelez pas comme ça, m’avertit son assistante du jour.
Elle est sympathique, mais je comprends à une certaine crispation de son sourire que le conseil est à prendre au sérieux. Elle est venue me chercher en salle d’attente un quart d’heure avant le rendez-vous et maintenant elle me fait attendre, porte grande ouverte, le regard rivé sur le couloir. La porte opposée s’ouvre sur une silhouette que j’ai à peine le temps d’entrevoir avant qu’elle retourne à son siège.
— C’est maintenant, il faut y aller, me presse-t-elle.
Un homme âgé, l’air d’être né furibond, aboie des questions en découvrant mon dossier sur son écran. Il est fort mécontent, mes analyses de sang ne sont pas si catastrophiques que ça, on lui fait perdre son temps. Mon mari lui fait remarquer les lignes en caractères gras qu’il n’a pas vues, mais l’homme du savoir n’a que faire de son observation.
Un coup de tête sec en direction de l’assistante. Celle-ci est plus petite que moi, ce qui a son importance, car devant ma sidération devant tant de grossièreté et de brutalité, sa petite taille lui permet de me lancer un regard plein de compréhension. Elle fait l’examen, me chuchote :
— Tournez vous pour que le professeur voit…
Sa seigneurie regarde. Bref échange. Il est furieux parce que je me suis adressée à un confrère suisse, « Il fallait y rester ! », que j’ai arrêté de faire les piqûres hebdomadaires qui avaient beaucoup d’effets secondaires et me jette un traitement à la cortisone pour le reste de ma vie à la figure comme un crachat.
Je le regarde. Il transpire la suffisance et le mépris par tous les rares cheveux blancs de son plumage. L’oiseau mandarin est un petit canard originaire d’Asie au beau plumage original ; il est très prisé au bord des étangs raffinés où il apporte une touche de couleur et d’exotisme. À l’hôpital le volatile ne sert pas de décoration, il est destiné à terroriser ses assistants et à transformer l’humanité souffrante en cobayes et statistiques qui font avancer la connaissance médicale.
L’assistante lui indique les coordonnées de mon médecin avec le doigt, il n’a pas de temps à perdre en détails triviaux.
Il se lève enfin pour nous signifier notre congé :
— Au revoir professeur, balbutié-je, un peu sonnée.
— Au revoir docteur (il sursaute), pardon, au revoir professeur, susurre mon mari.
L’assistance m’évacue dans le couloir, toujours ce regard de compréhension, j’allais dire de tendresse destiné à évacuer la brutalité de ce que je viens de subir.
À peine sortis du pavillon nous sommes saisis par un fou rire bruyant et libérateur.
— Il insiste toujours dans les colloques sur le dialogue et l’attention que l’on doit porter au malade, m’avait expliqué le médecin que j’avais consulté.