Un si long et si beau voyage

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Rohinton Mistry fait partie des auteurs de la littérature anglo-indienne les plus connus. Il décrit avec subtilité le monde de la petite bourgeoisie parsie, une minorité surtout connue pour ses grands capitaines d’industrie comme la dynastie Tata. Mais les héritiers zoroastriens ne se limitent pas aux réussites brillantes, et Rohington Mistry nous immerge avec tendresse dans ce monde crépusculaire de petites gens plongés dans l’histoire contemporaine indienne.

Nous sommes à Bombay en 1971, à la veille du conflit avec le Pakistan. Gustad Noble, employé de banque parsi, vit avec sa femme Dilnavaz et leurs trois enfants dans un immeuble rempli de gens modestes qui vivent au jour le jour les tracasseries de la vie entre le lait allongé d’eau et les coupures d’eau, le manque chronique d’argent et de place.

« Ses yeux se portèrent sur l’étroit dholni sur lequel dormait Sohrab, et que l’on rangeait, enroulé, sous le lit de Darius pendant la journée. Gustad aurait voulu acheter un véritable troisième lit, mais il n’y avait pas assez de place dans la petite chambre ».

Sorhab a dix-huit ans, c’est l’espoir de la famille, il vient de passer un concours pour une école d’ingénieurs dont on attend le résultat. Son cadet Darius (quinze ans) n’est pas aussi brillant et la petite, Roshan, neuf ans, fréquente l’école catholique.

La vie de l’immeuble, avec ses personnages hauts en couleurs comme miss Kutipia qui pratique la sorcellerie ou le touchant boîteux, le jeune Temul qui n’a pas toutes ses facultés. Tous auront leur rôle à jouer dans la tragédie qui va se dérouler.

Gustad vit un quotidien de gêne rythmé par la prière et le travail, l’amitié aussi. L’ami total, le major Bilimoria, a disparu sans laisser de traces trois ans auparavant et il vient d’écrire une lettre demandant l’aide de son ami Gustad. L’autre ami de Gustad – Dinshawji – travaille dans la même banque que lui. C’est un clown, toujours entre deux blagues cochonnes qui égayent tout le monde à la banque.

Un si long voyage décrit le quotidien d’un homme bon père de famille bon époux, et puis  tout déraille : le major demande dans sa lettre à Gustad d’accepter un paquet pour lui, et celui-ci est en fait une énorme somme d’argent. Au même moment Sorhab refuse d’entrer dans l’école d’ingénieur, il veut faire des études de lettres qui ne le mèneront qu’au chômage des diplômés selon Gustad. Le père et le fils se fâchent et Sorhab quitte la maison. Roshan tombe malade, Dinshawji aussi.

La mort rôde, et le malheur, et l’histoire de l’Inde avec en filigrane les ombres du régime d’Indira Gandhi : corruption, dictature, manipulations, violences et tortures.

Ce si long voyage que va entreprendre Gustad, je ne veux pas le décrire : il faut lire ce roman pour la plongée dans un univers mal connu, pour la vérité universelle des conflits humains et des sentiments, de l’humaine condition qui nous touche au plus profond de nous-mêmes. Entre l’histoire de l’Inde et le microcosme d’une communauté elle-même minuscule, entre les conflits éternels et les petites choses de la vie, Rohinton Mistry a tissé une toile d’une finesse et d’une solidité extrême.

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