Un océan, deux mers, trois continents, l’épopée d’un Africain du XVIIe siècle

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N'SondéUn océan, deux mers, trois continents : dès le départ le lecteur sait qu’il va être embarqué dans un voyage au long cours par l’écrivain franco-congolais Wilfried N’Sondé. Le héros du roman a réellement existé et les aventures que nous conte l’auteur sont réellement arrivées à son personnage, aussi incroyables semblent-elles.

Nsaku Ne Vunda est né au Congo (que l’auteur orthographie Kongo) à la toute fin du XVIe. Ordonné prêtre, ce personnage devait posséder un puissant charisme, puisque le roi du Kongo lui a ordonné de se rendre auprès du pape avec comme mission secrète de demander au Saint Père d’abolir l’esclavage. Le voilà donc premier ambassadeur africain mandaté par le roi Alvaro II suite à la sollicitation du pape Clément VIII. La mission réelle est secrète, l’envoyé du roi devra endurer mille dangers et son périple durera beaucoup plus longtemps que prévu.

Je vins au monde vers l’an de grâce 1583 sous le nom de Nsaku Ne Vunda, et fus baptisé Dom Antonio Manuel le jour où l’évêque de l’Église catholique du royaume du Kongo m’ordonna prêtre. Aujourd’hui, on appelle « Nigrita » la statue de marbre érigée à mon effigie à Rome en janvier 1608 par les soins du pape Paul V. (p .9)

Tout est lointain dans ce beau roman qui tient à la fois du roman d’aventures, de la fresque historique et de la fiction biographique. Notre héros ne sait pas, en quittant la baie de Luanda, qu’il embarque à bord d’un navire négrier, Le vent paraclet.

Un livre sur l’esclavage de plus ? Pas du tout, même si de nombreuses précisions historiques de l’auteur mettent à mal les idées simplistes : noirs et blancs furent complices dans la recherche du profit, et cela permet une élévation du débat, une actualisation de celui-ci avec d’un côté les exploitants, de l’autre les exploités.

Si des pages très fortes du texte évoquent l’enfer de la vie des esclaves à bord du navire, le roman montre aussi que l’ambassadeur africain possède sa cabine et mange avec les officiers. Ce n’est pas une question de couleur de peau, mais de rang social.

Don Antonio Manuel perd ses illusions, mais il ne peut rien faire pour aider les malheureux de l’entrepont. L’auteur lui trouve un alter ego surprenant pour supporter cette situation intenable : le mousse du navire qui s’avère être une femme et qui éprouve le même sentiment d’horreur face à ce qui se passe sur le navire.

Cela serait trop simple si notre héros arrivait à Rome pour dénoncer ce qu’il a vu ! Un océan, deux mers, trois continents  Dom Manuel va connaître d’incroyables vicissitudes avant d’arriver mourant auprès du pape. Entre temps Rome aura changé trois fois de pape, notre ambassadeur africain aura affronté des pirates, puis les geôles de la Sainte Inquisition. La puissance de l’argent, les méandres du pouvoir européen, les atrocités commises au nom de la religion : notre malheureux prêtre est confronté à bien des éléments qui le dépassent. Garde-t-il toujours sa foi ? Il conserve sa foi en l’homme, et cela le rend rayonnant. Lorsqu’il arrivera enfin à Rome gangrenée par la corruption et l’intolérance, il assistera à des scènes d’humiliation de jeunes Juifs, mais le pape qui recevra cet ambassadeur africain qu’il n’a pas mandaté sera si frappé de la lumière qui en émane qu’il lui offrira une statue. La « Nigrita » des premières lignes du roman.

Ce roman d’une très grande richesse humaine, historique, religieuse, ce roman qui ressemble à un roman d’Alexandre Dumas et à un conte philosophique, possède une écriture puissante et variée. Vous pouvez lire le texte à haute voix, sa musicalité vous évoquera les conteurs africains ou les poètes troubadours :

Ma mère mourut en couches un matin paisible, très ensoleillé, bercé par un air vif et frais au terme de la nuit de tourmente qui avait emporté mon père, terrassé par la foudre au pied d’un arbre. (p. 23)

Il se fera cruel et très visuel :

Puis ce fut le tour des femmes. Leurs muscles endoloris éprouvaient la plus grande peine à soutenir leurs membres inférieurs, elles se traînaient sur le pont les bras ballants, des démentes aux regards éteints, sans force. Elles avancèrent, ahuries, se cognant les unes aux autres sans réagir, toute pensée les avaient abandonnées, on aurait dit des marionnettes sans fil guidées par un magicien ivre. (p. 115)

Il évoquera la mondialisation de l’exploitation avec vigueur et subtilité :

Lisbonne s’éveillait et j’eus du mal à croire que nous foulions le sol d’un pays inconnu. Nous déambulions au gré des façades noires et décrépites, misérables, rien ici n’attestait d’une humanité qui se distinguât de celle des Bakongos. Le dédale des avenues sinueuses me rappela Luanda, j’y retrouvai les mêmes exhalaisons et m’interrogeai déjà sur les beautés de l’Europe vantées par mes enseignants à Mbanza Kongo, aucune trace d’une opulence inspirée par la foi catholique. […] Nous arrivions au centre du marché qui abritait les ventes aux enchères. […] De toutes les marchandises présentées, les acheteurs recherchaient surtout les femmes et les chevaux. Les négociants proposaient des adolescentes originaires de toutes les régions d’Europe, d’Afrique et d’Orient, dotées, au dire des vendeurs, d’aptitudes particulières comme savoir jouer d’un instrument de musique, danser, broder ou cuisiner. (p. 195-196)

La suite ressemble à l’esclavage africain, les humiliations sont les mêmes car les hommes, lorsqu’ils se sentent forts, virent très vite à la bestialité.

Lisez ce beau roman d’une rare richesse, ce roman aux multiples lectures possibles qui vous embarquera très loin et vous rapprochera de notre époque, tant les dérives humaines se ressemblent.

Un océan, deux mers, trois continents
Wilfried N’Sondé
Actes Sud, janvier 2018, 272 p., 20 €
ISBN : 978-2-330-09052-4

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4 réflexions sur « Un océan, deux mers, trois continents, l’épopée d’un Africain du XVIIe siècle »

  1. veronique

    Livre touchant qui parle au coeur. Cest un grand moment de lecture.J en garde un souvenir de lecture hors du temps , d’autant que je l’ai lu dans un petit ilot au plein milieu d’un lac d’arbres pétrifiés au Surinam.

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      C’est un très beau roman, d’une grande richesse historique, humaine et stylistique.
      Il m’a été offert par une grande lectrice qui l’a déniché lors du salon du livre de Genève où il a obtenu un prix.
      Les découvertes se partagent, c’est le propre des gens passionnés. N’hésite pas à le lire, tu ne seras pas déçue!

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