Dédicaces de « Mission et calvaire de Louis Favre »

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Et voilà le temps des dédicaces, vous savez, cet exercice réjouissant où l’auteur, assis derrière une petite table, attend les futurs lecteurs pour leur dédicacer son ouvrage.

En général on l’installe au milieu du passage, de façon à ce que, même s’il (ou elle) essaie de se cacher derrière une pile de livres, on ne peut éviter de le voir.

Alors s’il vous plaît ne me laissez pas seule, venez me voir!

Je serai le samedi 2 juin, veille de la Fête des Mères, (beau cadeau si vous voulez lui faire découvrir une personne magnifique), à Reignier aux presses du Salève le matin dès 10 heures et à Annemasse l’après-midi dès 15 heures à la librairie Chapitre.

Le samedi 9 juin je signerai chez Virgin à Archamps de 15 à 18 heures et le 16 juin à l’Espace Temps d’Amancy dès 15 heures également. 

 

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L’homme qui avance

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Dans la chaleur de l’été, les travaux se succèdent à la ferme, et les clichés de cette France paysanne semblent émerger des siècles passés, d’une préhistoire que l’on regarde avec une curiosité presque ethnographique alors qu’ils ont moins de soixante ans.

Le papier photographique uniformément dentelé, la précision des cadrages signent le photographe, l’oncle dont je ne me souviens pas suite à une dispute mortelle dont la famille ne s’est pas remise.

Coups de poings, mots définitifs.

A la campagne en ce temps-là on ne se traînait pas devant les tribunaux, simplement on ne pardonnait pas.

 

Le premier cliché pourrait s’intituler l’homme qui marche et la scène se passe dans la cour d’une ferme du centre de la France, au milieu du XXème siècle.

Le beau bâtiment de pierre aux voûtes soignées respire l’harmonie et l’équilibre. Toutes les ouvertures du premier étage se répondent dans une parfaite symétrie : de chaque côté une fenêtre suivi de deux meurtrières allongées et au milieu une sorte d’oratoire surmonté d’une croix. Les entourages légèrement cintrés des portes et fenêtres sont revêtus d’une alternance de briques et de pierre, la ferme signe son inscription dans un terroir catholique d’ordre et de conscience de la « belle ouvrage ».

Le bâtiment sur la photo fait partie d’un ensemble, à chaque espace sa fonction. Ici, le poulailler avec la réserve de maïs à l’étage, puis le fenil et enfin l’étable des vaches avec le grenier au-dessus.

Le poulailler n’est ouvert que le soir, pour rentrer les poules et les mettre à l’abri du renard, la journée elles picorent dans la cour comme en ce moment, à la recherche de grain échappé de la machine. Au-dessus du poulailler, une fenêtre ouverte donne une idée de l’épaisseur des murs.

Au centre du bâtiment, la plus grande porte permet le passage des chars pour le déchargement du foin. C’est l’endroit le plus spacieux, le plus agréable, avec l’odeur du foin, cette herbe sèche qui donne envie aux petits de faire une cabane ou un igloo de feuilles mais ils ne risquent aucune tentative, ils savent la dure raclée qui les attendrait pour avoir « gâché le foin ».

A droite, l’étable, moins haute, surmontée d’une fenêtre pendant de celle de gauche. Il y a peu de vaches, on trait à la main, on les connaît par leur petit nom.

Ce n’est pas une photo de la ferme, mais du travail de la ferme car les bâtiments n’ont pas d’importance en eux-mêmes, ils ne servent que d’enveloppe nécessaire au labeur des hommes. On les soigne, car on a de l’orgueil et du respect, mais l’essentiel se trouve ailleurs.

C’est l’effervescence, on a terminé la récolte du blé, la batteuse devant la porte de la grange sépare le grain de la paille qui s’amoncelle à droite de la machine avant d’être rangée dans la grange ; le grain atterrit à gauche dans de grands sacs de jute, il faut ensuite le répandre dans le grenier à l’abri des souris, dans l’un des bâtiments perpendiculaires à la ferme, le dernier étant la partie habitation.

Les poules picorent les grains oubliés dans cette cour déserte de femmes et d’enfants. Les femmes s’activent à la cuisine et houspillent les enfants, le soir on fera bombance pour remercier les travailleurs.

Le photographe a centré son cliché sur l’avancée de l’homme chargé d’un lourd sac de blé qui peut peser entre soixante et quatre-vingts kilos ; l’homme avance, on sent le poids, la force de la charge et le pas lent, l’arrachement au sol. Derrière l’homme qui marche on devine celui qui surveille l’équilibre de la charge.

L’homme avance, puissant, concentré, en direction du photographe. Il doit mettre le grain à l’abri, tâche importante, confiée à l’homme le plus fort de l’assemblée. Il montera l’échelle de bois où son aide l’aura précédé pour l’aider à équilibrer le sac durant la montée. C’est difficile, dangereux dans la montée, le grain se comporte comme un fluide, glisse, coule en traître dans le dos de celui qui serre le lien de ligature du sac.

L’homme se trouve au centre de la photo, ligne du toit, lignes délimitant la cour, l’importance de l’homme qui masque presque la machine, cette « batteuse » dont la présence, une fois par an, atteste de la réussite de la récolte.

L’homme avance, écrasé par la charge, tête penchée, sûr de sa force et de la noblesse de sa besogne.

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Conversation de femmes

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Elles sont assises sur des chaises de jardin, ces fameuses chaises en plastique blanches avec accoudoirs, si bon marché que personne n’a essayé de les copier.

La femme de droite explique quelque chose à celle qui lui fait face, la main gauche posée sur ses genoux et l’autre un peu plus haut, en un balancement  expressif, paume ouverte. Discours animé d’une femme volubile portée par l’attention de sa voisine.

A côté de la femme qui écoute, un petit garçon habillé de rouge joue sur le sol. Peut-être fait-il rouler une petite voiture ? Impossible de le savoir, il est penché, dos rond, visage en direction du sol, loin de la conversation des deux femmes.

Une scène banale, toutes les voisines du monde papotent dans la cuisine en se racontant leur quotidien.

Seulement ces femmes conversent dans une maison en ruine où il n’y a ni cuisine ni salon ni fenêtre. Il n’y a pas de mur non plus, seulement la dalle du sol; dans le fouillis désossé du mur du fond, on devine un encadrement de porte, des cornières métalliques qui ont dû supporter des cloisons.

Alexandra Boulat, reporter de guerre, a photographié cette scène dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie.

Elle s’est tenue à l’écart, la photo est prise derrière les gravats. Elle a dû attendre longtemps, gagner leur confiance, se fondre dans l’arrière-plan de ruines.

Les femmes l’ont oubliée tout comme le manque d’intimité, la béance, le chaos de leur vie, les deux femmes parlent et reconstituent leur monde, conversation, échange, pendant que le petit garçon joue, indifférent à ce qui l’entoure.

Un mélange gris sale et blanc de ruines, avec le reste d’une étagère en bois derrière la femme qui lève la main droite.

Les djellabas noires des deux femmes accentuent les lignes de plastique blanc, les courbes du fauteuil enrobent leur dos, trait épais et lignes nettes sur le chaos de noir, de gris et de blanc en arrière-plan.

Foulard gris-bleu pour celle qui parle, foulard plutôt brun pour l’autre, couleurs en écho avec celles du mur du fond, le brun de ce qui semble du ciment réfractaire, le gris du béton brut  des pans de murs arrachés.

A côté des chaises de plastique, un pan vertical violet, très net, le seul rectangle dans ce chaos de pierres, de métal et de béton armé. Qu’est-ce que c’est ? Un pan de moquette ? Une paroi de mur ? Deux lignes perpendiculaires, rassurantes, puis à droite l’enchevêtrement de poutrelles, la paroi droite et la cage d’escalier aux lignes bleues de la rambarde plongeant dans les fers tordus et les gravats.

Les deux femmes parlent, et cette conversation tranquille rassure l’enfant. Sur la droite de la photo, un morceau de plastique du même rouge que les habits du petit garçon repose sur les gravats, cerné par des fils d’acier. Une métaphore de ce qui attend ce petit Palestinien ? La projection de son avenir malgré la scène paisible ?

Du très grand art. Un tableau dont la composition sidère par la maîtrise du cadrage, l’incroyable rappel des couleurs, la subtilité de l’harmonie dans le désordre absolu.

Le violet sous les pieds des deux femmes en noir, l’escalier du même bleu que les volets de l’île de Ré, le gris partout, sur le foulard et la femme qui parle, sur les morceaux de murs et les poutrelles, et enfin ces deux touches de rouge.

C’est somptueux et très humain, tranquille et d’une violence extrême.

Conversation de femmes, occupation intemporelle dans ce désastre matériel, une femme explique quelque chose à sa voisine attentive dans les ruines de sa maison et l’enfant joue, penché sur le sol, et la vie malgré tout et le chaos de la guerre.

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