Un bouquet amer avec des notes sucrées

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J’aime la littérature suisse romande, surtout celle des pays entre Vaud et Genève, imprégnée d’un calvinisme ravageur dont Jacques Chessex nous avait donné une violente image dans ses écrits.

« Une imprécation habite le paysage depuis longtemps. Personne ne peut se soustraire à l’œil scrutateur de Dieu qui nous poursuit et nous force à nous interroger sur ce mal en nous », écrit  Anne Brécart dans Le Monde d’Archibald.

Le Monde d’Archibald, est le troisième roman de cet écrivain qui prend son temps: depuis Les Années de verre, publié en 1997, Angle mort en 2002, Le Monde d’Archibald arrive en 2009, aux éditions Zoé comme les précédents.

Moi aussi j’aime prendre mon temps, laisser mes lectures à la décantation : Le Monde d’Archibald possède un bouquet amer avec des notes sucrées, quelque chose de râpeux et de doux qui vous laisse un souvenir sur la langue et dans l’âme, une sorte de nostalgie et de douleur que l’on peine à oublier.

En Suisse romande comme ailleurs, il existe deux sortes d’écrivains : ceux qui ont de l’imagination et ceux qui utilisent leur vie et (ou) celle des autres pour créer une œuvre, Anne Brécart appartient à la deuxième catégorie.

Elle creuse ses douleurs, ses souvenirs, un peu à la manière d’Annie Ernaux, c’est la seule comparaison pertinente qui me vient à l’esprit, mais pourtant la différence saute aux yeux, même dans les passages crus de l’initiation sexuelle de la narratrice subsiste une pudeur, une distanciation que l’on ne trouve pas dans l’œuvre d’Annie Ernaux, et cela tient je crois à ce pays si particulier.

En quelques mots voici la trame du livre: la narratrice évoque ses vacances d’enfant dans la somptueuse maison de famille un rien décatie de son oncle maternel quelque part au bord d’un lac en Suisse romande. Elle y revient chaque année, grandit, découvre la mort et le sexe, de plus en plus fascinée par son oncle Archibald, perdant magnifique et seigneur du lieu.

Personnellement je déteste les souvenirs d’enfance nostalgiques de bourgeois complaisants vis à vis d’eux-mêmes. La tante de la narratrice qui a comme fait d’arme à son actif d’avoir conduit la Bentley familiale dans les rues de Lausanne me laisse parfaitement froide.

Où est l’intérêt de ce roman, me direz-vous ?

D’abord dans l’écriture qui ressemble au pays qu’elle décrit : Anne Brécart traque l’adjectif et l’adverbe, hait les points de suspension et d’exclamation. Seuls quelques points d’interrogation subsistent, sauvés par leur propos, les questions participent à la douleur, n’est-ce pas !

Pour le reste, on dirait que tout ce qui vit et pourrait déranger l’ordonnancement des choses, – les émotions, les incertitudes, les éclats de tout ordre –, a été évacué. Chut ! On ne dérange pas, on ne mêle pas la vie triviale à ce qui est une œuvre d’art. Quelle contradiction, pourtant, que cette maison qui attend les enfants pour les vacances et d’où aucun cri ou dispute d’enfant ne sort ! Une maison de souvenirs d’enfance ou une maison de souvenirs qui accueille des enfants, un bloc de passé figé dans lequel les enfants ne sont que des figurants.

Nous avons affaire à une lutte contre le temps et la mort. L’oncle Archibald, le frère aîné de la mère de la narratrice, règne sur ce monde exténué qu’il porte à bout de bras. La rigidité des rites qu’il impose à sa famille (comme le repas de midi ou le thé de quatre heures dans les tasses évanescentes) fait partie de ses activités-remparts dérisoires contre la mort, tout comme les blasons des familles disparues qu’il dessine avant de les coller dans un livre. La narratrice lui prête un grand pouvoir : « Il savait arrêter le temps, il était capable de rendre présent le passé ».

Mais ce n’est qu’une illusion, la mort est là, omniprésente.

Celle de François, le cousin de la narratrice, mort à seize ans, celle d’Olympe, la femme d’Archibald, mort difficile à laquelle participe la narratrice, témoin de cette lutte entre la vie et la mort. « Pour elle, la mort n’est pas un simple et tranquille évanouissement, une disparition sereine, mais une lutte d’une rare violence. Couchée sur son lit, elle semble se heurter contre une paroi invisible qui la renvoie douloureusement dans le monde des vivants, passant ses journées dans un exténuant aller et retour entre l’au-delà et la vie ».

Celle de l’enfance, avec la relation sexuelle entre la narratrice adolescente et Idriss, l’ouvrier Kosovar chargé par Archibald de maintenir la vie de la ferme. Leurre contre leurre, fausse vie de ferme, faux ouvrier et vrai réfugié, fausse relation où il n’est jamais question d’amour, même pas de plaisir.

La mort est partout. Dans cette maison aux rideaux fanés qui laisse passer les vents coulis, dans les relations du vieil homme avec ses filles, dans cette volonté désespérée de maintenir ce qui a été.

La narratrice fascinée en oublie de vivre : elle reste en dehors, comme lors de cette manifestation d’étudiants à laquelle se joignent tous ses camarades : «  Elle regarde mais ne se joint pas à eux, n’est-elle pas retenue par une différence qui l’empêche de se mêler au mouvement, à l’exaltation ? Eux trouvent un sens à leur vie dans la cause commune. Crier d’une seule voix leur donne le sentiment d’exister. Elle, au contraire, a une existence si fragile qu’elle a l’impression de se dissoudre dans la foule. Quelque chose comme une fatigue la retient près de la fenêtre, observatrice immobile. »

Pour finir, le vieil homme choisit de mourir, et sa mort entraîne bientôt celle de la maison. « […] le mot « perte » s’est déployé en moi comme un gigantesque parachute noir ».

D’où vient que le plexus se serre dès le premier chapitre ? D’où vient que l’on sent au plus profond de soi le déracinement, l’éloignement, la difficulté de vivre et de laisser mourir ?

Le combat d’Olympe contre la mort, la douleur de la vie nous le rend si proche, nous l’avons vécu, nous allons le connaître. Et la difficulté d’avancer et de trouver notre propre parcours, le besoin de se raccrocher à ce et ceux que nous connaissons : «  La permanence n’est qu’une question d’habitude, il est si difficile d’envisager le monde comme une surprise ».

Ce livre nous ramène aux questions existentielles fondamentales : non, nous ne pouvons pas retenir le temps, mais l’écriture magnifique d’Anne Brécart nous donne à de nombreux moments un sentiment d’éternité, dans le pays sévère de ses souvenirs d’enfance.

Le Monde d’Archibald
Anne Brécart
Éditions Zoé, 2009, 176 p., 17€
ISBN : 978-2-88182-642-9

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Rolf

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Rolf, tu n’aurais pas dû. Tu n’aurais pas dû me forcer à faire ça. Depuis, cela me serre la poitrine, une douleur au sternum, une impossibilité de respirer.

Les autres sont là, avec leur famille encombrante :

– Ouais, mon père, il a une Mercedes, et on frime en vacances en Espagne, on peut même pas faire entrer la voiture dans le village, alors on la gare à l’entrée, sur la Nationale !

– Nous, on va jamais à l’étranger, ma mère déteste ça. Alors mon père nous emmène dans les Grisons, je comprends tout ce que dit mon grand-père, mais je ne sais pas parler le schwitzertutsch, vous voyez le topo !

– Eh bien nous on va dans le Haut-Valais, avec la BMW. Mon père n’aime pas conduire, mais il aime tant la montagne, comme tous les sports d’ailleurs. Il arrête pas de courir, de grimper, toujours plus loin, toujours plus haut. Qu’est-ce qu’il cherche ?

Je n’ai pas pu m’empêcher.

Qu’est-ce que tu cherches, Rolf, toujours à séduire, à rire, à convaincre les autres que tu es le meilleur ? Moi, je suis comme toi, je cherche, j’ai peur, je freine, sourire au bord des yeux, les lèvres en larmes à moins que ce ne soit l’inverse.

Depuis le début de l’année je leur parle de toi. Au début, ça les a fait rire, le paternel fou de montagne, maintenant ils t’aiment, ils ont envie de te connaître. Je leur ai rempli la tête de ton sourire, de ton charme, de ton incroyable vitalité. Ils veulent te connaître :

– Il est super, ton père, pourquoi il vient jamais te chercher à l’école ?

Tu es si occupé, c’est fou, la préparation de tes expéditions dans les Andes, tes responsabilités dans ton travail. Admiration, admiration… Jalousie aussi : tu es si extraordinaire et les autres si gris ! Je ne m’en sors plus, ce creux, ce vertige, cette honte…

Les regards des autres, de Mélanie surtout, ma nouvelle copine, qui m’a déjà invitée deux fois chez elle – ça te plairait, elle a un jardin avec plein d’arbres serrés les uns contre les autres – leur surprise que je ne les aie pas encore amenés à la maison, notre grande maison pleine de fleurs, avec la cheminée de marbre. Ils en rêvent de ça aussi. Ça va avec toi, la maison très belle, avec toi qui aime tant ce qui est beau. C’est comme la voiture, Maman ne voulait pas une si grosse voiture, si rapide, si luxueuse. Mais tu es un enfant gâté, Rolf, tu l’as eue ta voiture, dans un grand éclat de rire. Et la montagne, tu passes ta vie avec des cartes, des projets, et tes copains restent à la maison tard le soir.

Ils en ont marre, mes copains. J’ai très mal, tu sais, Rolf, je suis venue te raconter ça dans ta maison. Je suis venue sans Maman, parce que depuis que tu es là, ta maison est mieux tenue que la nôtre. On habite un petit trois pièces sans fleurs ni musique. Maman travaille à mi-temps, à cause de toi. Je t’en veux, Rolf, je suis en colère contre toi, tu as sauté du pont avec ta belle voiture, et nous, tu nous a laissées. Je te déteste, Rolf. Je hais ta petite maison avec les fleurs dessus, que Maman change tous les trois jours. Les autres morts ne sont pas si gâtés, donne-leur tes fleurs, comme tes projets, tes rires, ta montagne.

Donne leur tout, tout. J’en ai assez de la démarche de Maman, du tremblé de sa voix lorsqu’elle parle de toi. Elle pleure lorsque je lui dis que je parle de toi à l’école. De drôles de pleurs – continus, fixes. Avant elle avait peur de tout, maintenant, c’est difficile de savoir. C’est comme si elle n’était rien qu’un bloc de douleur immobile.

Tu n’as pas honte d’être tranquille au milieu des morts, alors que nous, on se bat contre toi, dans notre appartement, après la grande maison ? Tu n’as pas honte, Rolf ?

Rolf

Reste au milieu des morts, ne nous dérange plus.

Hier, j’ai invité Mélanie à l’appartement. Maman a eu un petit sourire fragile pour lui souhaiter la bienvenue. Toi, tu étais éblouissant au milieu du salon, dans la chambre de Maman – pas dans la mienne, j’ai enlevé tes photos, Maman a pleuré. La montagne derrière et toi vainqueur et fatigué. Je n’avais jamais remarqué que tu étais fatigué. Je devais être trop petite. C’est fou, ce que tu es fatigué, Rolf, là, devant ta voiture-cercueil. C’est pour ça que tu es parti, parce que tu n’en pouvais plus et nous, on ne voyait que ton sourire. Toi, si fort, si optimiste, toi, la lumière de nos vies, toi, si rassurant.

Tu n’as pas supporté.

Mélanie n’a rien dit. On a bien rigolé, on a ri comme des folles toute l’après-midi. Elle n’a rien dit. Elle t’a regardé et elle n’a rien dit.

Je suis venue te voir dans ta maison, Rolf. On a cueilli des narcisses, dimanche passé. Si tu avais vu comme c’était beau ! J’ai moins mal à l’école. Plus personne ne parle de toi, j’ai remis la photo où je suis toute petite et où tu me tiens dans tes bras. Tu es très jeune, très beau, et tu n’es pas encore fatigué, jamais fatigué.

Tu ne seras plus jamais fatigué, Rolf, tu me tiens dans tes bras, mon merveilleux Papa, et on a chaud tous les deux. Repose-toi bien, Rolf, et à bientôt.

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Hiver

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Ce n’est pas possible, cela ne peut pas durer, je ne sens plus mes pieds, plus mes mains, il y a juste toi qui bouge dans mon ventre, tes crispations, ta révolte.

Ce froid atroce m’engourdit la tête. J’ai les lèvres qui saignent. Avancer, encore avancer. Trouver un endroit chaud où nous poser, toi et moi. Tu as de la chance d’être dans mon ventre, au moins tu n’as pas froid, enfin j’espère.

Tout à l’heure, il y a ce vieux salaud qui a envoyé son chien quand il a vu les traces de pas dans la neige menant à sa cabane de jardin. Ce que j’ai couru malgré mes pieds gonflés, malgré la paralysie du froid…

Quel effet ça fait d’être au chaud, dans une maison ? Il y a des mois que j’erre dans les rues. Assise contre un mur, à côté d’un Monoprix, dans la pisse des chiens, l’odeur mélangée à celle du gras, de la friture. Le froid en bas des reins et les yeux baissés pour oublier les gens qui passent, ceux qui regardent la femme enceinte qui pue. « Merci, Madame ». Les gens furtifs. Ils ont aussi honte que moi.

Le Monoprix, c’est bien, parce que lorsque les portes s’ouvrent, c’est une bouffée de chaleur comme de la tendresse. C’est bien aussi parce que les gamins jettent souvent leur gaufre à demi entamée. « Pas au sucre, à la crème ! » Hurlements. Gifle ou rachat. Belle aubaine.

Depuis huit jours il neige, il y a une terrible gadoue sur le trottoir et pas un endroit de sec. Et puis cette douleur dans les reins. Je ne peux plus rester assise, par moments c’est pire que tout. J’entre regarder la layette, il fait chaud, la musique est douce, les vitrines sont pleines de Pères Noël réjouis, un regard de bonté et une main tendue en direction de mannequins souriants. Des chocolats, des paquets rouges et verts. Les caissières me regardent d’un drôle d’air. Le vigile me tire par le bras : « Il ne faut pas rester ici. » Il n’a pas le droit, mais j’ai honte, je m’en vais.

Je ne vais plus au Monoprix, ni à l’Inter, ni à l’Hyper. Je ne peux pas m’asseoir, mon gros ventre me fait remarquer. Quel effet ça fait, une maison, j’ai oublié. La femme s’approche, elle a un chien. Non, le chien reste derrière elle. J’ai bien le droit, je suis dans la rue. Elle me regarde, mon vieil anorak, mon ventre, mes lèvres qui saignent.

— Entrez, par un temps pareil, je ne laisserais pas mon chien dehors.

Elle ouvre le portail. Une petite allée bordée de coquilles Saint Jacques en ciment et au bout, à dix mètres, un pavillon avec un garage. Elle me regarde encore, ouvre la porte à côté du garage, et une autre porte dans une entrée minuscule. A l’intérieur, une petite table de chevet, une armoire, et des rayonnages avec des revues. Un couvre-lit en reps rouge et un linoléum, rouge lui aussi. Un lit ! Un grand lit en 140. Ce qu’il fait bon !

— Le chauffage est coupé dès neuf heures, installez-vous, je vais vous chercher à manger.

Elle revient avec un plateau en bois : de l’eau, du pain, du fromage. Je m’installe au bord du lit, je ne veux pas salir, je ne sais pas comment m’y prendre.

— Ça n’a pas d’importance, c’est un vieux couvre-lit.

Elle revient encore au bout d’un moment, avec une soupe de légumes, et encore du pain, du pâté aussi. Une assiette, un verre, des couverts… Dans le coin de la pièce, un lavabo que je n’avais pas remarqué.

— Il y a aussi des WC au fond du garage. Je vais vous apporter de quoi vous laver.

Elle apporte une serviette, un gant de toilette, une savonnette, elle ne sourit pas.

— Vous êtes enceinte de combien ?

— Sept mois, je crois.

— Il faudra vous trouver un endroit où aller, ce froid peut durer longtemps. Ici c’est juste pour la nuit. Demain vous serez plus propre, vous irez à la mairie et au Secours Catholique.

Elle me regarde durement. Serre les lèvres.

— Ne faites pas de bruit et n’allez rien voler dans la maison, de toutes façons il y a le chien. Dans l’armoire il y a des couvertures. Bonne nuit.

Elle prend le plateau, me laisse le verre, et repart à l’étage. J’entends marcher un moment, un robinet coule, une télé.

Il fait bon, la lumière de la neige dans la pièce, la veilleuse, le couvre-lit et le lino rouges…

J’enlève mes chaussures et mon anorak. Mon pull est distendu par mon ventre et la jupe en jersey remonte beaucoup au-dessus des genoux. J’ai affreusement mal aux pieds et aux mains, et les reins, c’est pire. Je marche du lit à la fenêtre et de la fenêtre au lit. Cela se calme un peu. Je vais vers le lavabo, un vieux lavabo sur pied, rebondi, avec deux robinets en étoile. Je fais couler l’eau. L’eau chaude fonctionne vraiment. Je laisse mes doigts sous l’eau, ça fait mal, mais ça fait du bien aussi. Je me lave juste le visage, les pieds et les jambes. Je sais que si j’enlève mes vêtements et que je lave mon corps, je ne pourrai plus remettre le pull et la jupe, ça n’est pas possible. C’est frais, sur les jambes, ça picote un peu, ça brûle sur les lèvres qui saignent toujours.

De quoi est-ce qu’elle a peur, cette femme ? Elle m’a donné de la soupe, elle était chaude et bonne. Peut-être que demain elle va me donner un vieux pull et une jupe ? Je vais me laver… Ce que ça sent ! Et cette peau tendue, des veines violacées parcourent mon ventre, ça fait longtemps que je ne l’ai pas regardé, est-il possible que ça soit si gros, un enfant… J’ai un enfant dans mon ventre, un enfant. Il va bientôt sortir, on sera deux à crever de faim mais on sera deux. Demain je serai plus présentable, la femme va me donner des vêtements, je lui demanderai du shampoing. A la mairie on va me trouver un logement et un travail. Au fond, quand on est présentable, c’est plus facile, et une femme avec un enfant, on ne la laisse pas crever à côté d’un parking. Tu verras, tout va aller bien maintenant. Finie la mouise, on est deux. Ce que j’ai mal au ventre. Il commence à faire un peu froid. C’est une impression , mais j’ai un peu froid. Elle a dit des couvertures dans l’armoire. Il y en a trois. C’est mieux maintenant. J’ai vraiment très mal au ventre. Je ne peux pas monter, il y a le chien. Il suffit de m’enrouler dans les couvertures et d’attendre demain.

Je suis toute mouillée et j’ai si mal au ventre, cette houle qui me porte, ces élancements, je crois que je vais crier. Le chien a aboyé. Il aboie encore, plus fort, ce que j’ai peur. J’ai froid. Je suis mouillée. J’ai mal. Je ne peux pas me lever et le bébé va venir. Le chien aboie toujours…

La propriétaire de la maison est arrivée vers neuf heures du matin, avec le plateau de bois, du pain et du café. Il y avait du sang sur le lit et, enroulés dans les couvertures, une femme et un enfant.

Les yeux grand ouverts, la femme serrait le petit cadavre contre son ventre.

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Les amies de Flaubert

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–         Tu devrais écrire des romans historiques, me déclare l’amie syndicaliste en me tendant la fourre plastique contenant mon roman.

Silence sur la chaise longue opposée. Nous sommes avachies de bien être dans mon jardin, à l’ombre d’un saule tortueux. Je reprends la fourre tendue et la pose sur la table de plastique blanc, entre nos deux chaises. L’amie avale ses mots à la vitesse d’un robot hacheur :

–        C’est vrai, tu es historienne, au départ. Alors tu fournirais un énorme travail de documentation sur n’importe quel sujet, tu choisirais des héros, – attention ! pas des faire valoir, de vrais héros auxquels on puisse s’identifier, avec une histoire passionnante, un fond historique tellement bien intégré qu’on apprendrait quelque chose à chaque page !

Ben voyons. Le mouton à cinq pattes, et encore, elle a oublié de me parler du style, de la doctrine politique sous jacente, quelque chose entre Joyce et Marx, quoi, mais personnel, en plus, car elle tient à me reconnaître.

Les libellules virevoltent au-dessus du bassin, indifférentes au drame qui se noue. Je regarde le rosier le plus proche, puis le bassin, retour à la fourre verte sur la table de plastique. Lamentable. Il faudrait tout changer : cette table fait toc, trop légère, mal assortie au reste, à jeter. Marx et Joyce ricaneraient de ce foutoir qui me tient lieu de vie. L’amie s’agite sur sa chaise longue. Le silence se prolonge. J’aimerais voir surgir une hirondelle de nulle part, la voir gober une de ces salopes de libellules qui copulent sur les tiges des roseaux.

–        Tu comprends, je n’ai pas beaucoup de temps, alors il me faut choisir ; je ne lis plus de romans classiques, je veux tout cumuler pour m’instruire en me distrayant. Et ton histoire de labyrinthe, on ne sait pas toujours à quel personnage on a affaire, il faut réfléchir, ça casse l’histoire…

(Ah bon ? Le matérialisme dialectique, il faut pas réfléchir pour comprendre ? Et dans un roman historique, il ne faut pas suivre les personnages ? L’Histoire, la grande, avec le “ H ”, elle n’est pas bourrée de personnages ?.) Effort. Nous sommes amies depuis vingt-cinq ans ; malgré ma soi-disant susceptibilité je veux bien lui tendre une perche :

–        Normal, cela correspond à la structure du labyrinthe.

–        Oui, oui, j’ai compris, mais quand même, on s’y perd.

–        Rassure-toi, je ne te donnerai pas à lire le roman suivant !

Elle enchaîne, soulagée et bourrée de mauvaise conscience, avec la mauvaise foi de qui enchaîne traîtrise sur traîtrise:

–        C’est comme le précédent, celui où il y avait une vieille dame qui voulait voir la mer, on s’en fout qu’elle veuille voir la mer, et j’ai horreur des vieux, ils me dégoûtent, je n’ai pas peur de vieillir personnellement mais dès qu’il y a un vieux dans la pièce je me sens mal.

Dur, dur, les conseils amicaux. Exercice de haute voltige, avait dit l’amie clairvoyante.

Soupir.

 

–        Ce que c’est noir ! se désole l’amie pleine de responsabilités mais d’un enthousiasme absolu devant les possibilités des individus.

–        Toi qui vois tous les jours dans ton travail des gens complètement coincés dans une impasse, tu trouves que j’exagère ?

–        Non, pas du tout, mais tu comprends, on ne lit pas des romans pour qu’ils reflètent la réalité, on veut s’offrir un espoir, autrement à quoi bon ? Tu écris très bien, tes personnages sont émouvants, très forts, mais c’est beaucoup trop noir ! C’est comme ta vieille dame (nous y revoilà), quelle idée magnifique que ces jeunes qui l’aident à aller voir la mer ! C’est exactement le genre de choses que les jeunes sont capables de faire… (l’amie syndicaliste : Où as-tu pêché cette idée ridicule que les jeunes s’intéressent aux vieux ?) Mais pourquoi tu la fais mourir à la fin ?

–        Il fallait bien, autrement la police la rattrapait et la remettait dans son mouroir, c’est une belle fin de mourir face à la mer !

–        Non, c’est trop triste, après tout ce que tu lui avais fait subir dans sa vie, elle méritait autre chose !

–        Quoi donc ? Elle rencontre le prince charmant et elle s’établit en Floride avec des retraités enthousiastes qui la traîneront au club des aînés ?

Soupir.

 

–     Je ne peux pas te dire que j’ai aimé, murmure le nez plongé dans son café.

Je sais. Elle déteste faire du mal, elle ne supporte pas de créer la plus petite perturbation dans l’espace mental de quelqu’un. Mon amie est une artiste d’un genre atypique : l’altruiste exocentriste. Complètement tournée vers les autres. C’est peut-être pour ça que son ami, – un véritable artiste, lui -, l’a larguée d’une manière particulièrement abominable. Le salaud.

–    Et qu’est-ce que tu n’as pas aimé ?

–    Tout !

Elle relève brusquement le museau, ses yeux brillent :

–    J’ai détesté ! La solitude de tes personnages, une horreur !

–    Tu es en train de me dire que j’ai du talent?

Je suis une garce. Donc une artiste ?

–        Et puis franchement, tu crois que la vie est si triste?  Que les gens passent de vacherie en vacherie ? Et la solidarité, alors ? Ton labyrinthe est une cité, alors les Africains doivent s’entraider, ils font des fêtes en bas de l’immeuble, tout ça, les forts aident les faibles.

–        Où tu as vu jouer ce film ? C’est chacun pour soi, on vend de la drogue au petit voisin pour se payer le blouson Chevignon et…

–        Tu devrais écrire des articles de journaux, c’est vrai, comme reportage c’est très bien, ton truc, mais les personnages : creux, du vent, rien.

Exécution capitale. Je crois qu’elle se trouve à un tournant de sa carrière, une période particulièrement créatrice.

 

–    Ton roman, oui, ton roman.

Sourire gêné, elle hésite :

–    Tu es en progrès : il y a des morts.

L’amie veut faire de la politique.

–    Oui, c’est sympa, cette idée de labyrinthe.

–   “ Sympa  ” ! mais c’est une tragédie, tu n’as rien compris !

–    Bien sûr que si que j’ai compris, je te rappelle qu’on a passé le bac ensemble et que j’ai eu une meilleure note que toi à l’oral de français.

Elle me sort cette abomination depuis bientôt trente ans. Là où ça fait mal pour un futur génie de la littérature.

–    Tout de même, tu devrais faire plus court. Déjà ta vieille dame, dans le précédent, elle en mettait un temps à mourir, c’était pas croyable ! Et en plus pas d’aventures, pas de poursuites ou de filatures, rien de rien, des impressions, des trucs comme ça, qui tu crois que ça va intéresser. Les romans policiers, y’a que ça de vrai, ou l’épouvante, à la rigueur, mais trouillarde comme tu es c’est pas pour toi. Mary Higgins Clark, voilà ce qui devrait te servir de modèle !

Je crois que je vais suivre son conseil. Dans mon prochain roman, un écrivain célèbre tuera à petits feux, dans d’atroces souffrances, et ceci d’une manière totalement impunie, l’amie qui lui pourrit la vie depuis trente ans.

 

 

–        Tu devrais écrire des romans érotiques, me conseille l’homme de ma vie en me resservant un verre de Saint-Emilion..

C’est le troisième, l’alcool me rend euphorique, l’homme attaque les choses sérieuses. Je mets le rôti du dimanche sur la table.

–        C’est vrai, papa a raison, renchérit notre fils, regarde ce qui se publie en ce moment et réfléchis à ta situation : tu n’es pas un homme politique célèbre, pas un journaliste de télévision, pas une chanteuse et ta vie n’exciterait pas les biographes. Il ne te reste que le sexe.

Argument définitif. Mon cerveau légèrement embrumé carbure aussi vite que possible . Ma vie : pas obligée de me prostituer dans un bordel pour payer mes études, jamais prise en otage, gentil mari, gentils enfants, bon, il y a bien quelques élèves particulièrement rebelles à mon enseignement, mais… Désespoir : une vie ne remplirait même pas une fiche chez un historien de la vie quotidienne. Ma fille enfonce le clou  pendant que son frère se sert trois grosses tranches de bœuf :

–        Ils ont raison, maman ; les premiers romans publiés parlent tous de sexe. C’est dégoûtant mais il faut en passer par là.

–        Merci pour la solidarité féminine, ma puce.

–        Et tu as un immense talent dans le domaine, ma chérie, ajoute l’homme qui a un peu trop bu, les yeux brillants.

Ce vil érotomane pense à certaines lettres particulièrement torrides envoyées au temps de notre belle jeunesse. La bouche carnivore de fils écrabouille et le filet et ma prose :

–        Ce que tu fais est trop élitiste, trop dur : personne n’aime être confronté à sa future déchéance surtout lorsqu’elle est très bien décrite. Et les gens sont tellement coincés dans leur vie, toi tu les étouffes encore plus dans ton labyrinthe dont ils ne sortiront pas. Sors de ta tour, maman ! Et écris ce que les gens attendent de toi, tu auras bien le temps, lorsque tu auras été publiée et que tu seras connue, d’écrire ce qui te tient à cœur !

Fils s’excite, la fourchette à la main. Sa sœur ajoute, très bonne ménagère, style il faut toujours avoir des provisions pour les visites imprévues :

–        Et là tu as de l’avance…

Quatre romans, bientôt cinq, s’empilent dans l’armoire de mon bureau.

Soupir.

 

–        Ne te laisse pas influencer, ils ne comprennent rien à rien, tu es POURRIE de talent !

–        On ne dirait pas, c’est mon quatrième roman, plus si je compte les différentes versions, et pas un éditeur en vue. Je me contente d’enrichir la poste.

–        Que tu es impatiente ! Et Paul Auster, refusé dix-sept fois, et Nicolas Bouvier qui a publié à compte d’auteur, pour ne parler que de gens que tu aimes…

–        Je sais, tu me fais chaque fois un cours sur les refusés de la littérature, change de disque, tu veux !

Je dis ça, mais en réalité je me plains auprès de lui uniquement pour qu’il le remette, le disque des génies incompris. L’ami est mon seul véritable ami, total, définitif, il soigne mon ego comme personne, il a des dons de chaman. C’est ça, l’amitié. Les autres sont tous des faux culs. L’ami possède une immense culture, il écrit, lui aussi, il sait. Il ne réagit pas assez vite à mes souffrances narcissiques, je l’aide un peu :

–       D’abord tu me soutiens mal, tu ne me fais jamais de critiques, tu trouves que tout ce que je fais est bon ! Je n’attends pas de la pommade, j’attends de l’aide !

Il lève les bras au ciel :

–       Mais je me refuse à te donner une direction ! Si Flaubert n’avait pas été éreinté par ses amis, nous aurions une œuvre flamboyante, baroque, un sommet de la littérature ! Tu ne voudrais pas que je fasse la même erreur, tout de même !

–     Ce que je veux, c’est être reconnue. Baroque, nouveau roman, annuaire des chemins de fer ou Borges, m’en fous, je veux être RECONNUE.

–       Tu le seras, prends patience… Et surtout ne change rien, ne suis aucun modèle, tu es toi, et c’est magnifique, un jour ou l’autre tu seras reconnue, en attendant, travaille !

Suit la liste des forçats de la littérature, les stakhanovistes de la page blanche, il raconte si bien, mon ami, la littérature, c’est sa vie depuis si longtemps, et il écrit si bien, un jour il sera publié, c’est lui le génie méconnu du début du siècle commençant.

Et moi je suis Flaubert. Les amies de Croisset n’auront pas ma peau.

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Repas humanitaire

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— Bonjour, ma grande, il y a longtemps que tu m’attends ?

— Non, je viens juste d’arriver, alors, tu vas bien ?

Bisous d’usage, repas dans un coin tranquille, immense baie vitrée sur le ciel gris, un chauffage doux et discret à nos pieds. Bruissement feutré : il y a de la place, il est encore tôt. Boissons light, eau minérale, filets de flétan à la vapeur, salade de fruits, les quinquagénaires que nous serons dans très peu de temps surveillent leur ligne, un œil sur la balance un autre sur l’avenir. Pas rose, l’avenir : les problèmes de cœur, la cellulite, les bajoues pendantes ou les cernes qui se creusent et par-dessus tout ça, la retraite. Le mot est lâché de plus en plus souvent lorsque nous nous rencontrons. Les « on vieillit » fleurissent plus vite que les marguerites, les « plans de carrière » qu’on aurait dû faire pour s’aménager des lendemains qui chantent ont un parfum de regrets- soupirs- erreurs, pour un peu il ne nous resterait plus qu’à prendre une camomille avec des langues de chats, en charentaises pour achever le suicide.

On mâchouille avec concentration. Silence avant les paroles définitives.

— J’ai eu l’illumination cet été. J’ai trouvé ce que je devais faire avant de mourir.

— Ah oui ?

Une appréhension, une boule au niveau du plexus : elle va m’annoncer qu’elle rentre dans un couvent, je m’y attends depuis des années, cette fois, elle a trouvé Dieu.

— Tout s’est organisé, c’était une évidence et je ne m’en rendais pas compte, petit à petit tout s’est mis en place, tu vois, maintenant je sais.

— Tu sais quoi ? Tu as fait quoi ?

— J’ai pris ma carte syndicale et ma carte du parti socialiste.

— Ah bon ? tu es sûre ? Pour le parti, je veux dire, car enfin, tu avais le choix, ils sont en pleine débandade, ils ont besoin de personnalités.

— Ne te moque pas ! Je suis allée aux réunions des uns et des autres, c’est au parti socialiste que j’ai trouvé les gens les plus intelligents alors je me suis inscrite.

— Et tu n’es pas encore secrétaire de la section ou je ne sais pas quoi ?

— Pour l’instant je me contente d’écouter, je ne suis là que depuis deux mois. Mais tu vois, c’est une des façons que j’ai choisie de meubler ma retraite : je vais faire de la politique et du syndicalisme.

— C’est une bonne idée. Il y a encore autre chose ?

J’ai eu si peur qu’elle entre dans les ordres, la politique c’est plutôt rassurant.

— Oui, je veux faire de l’humanitaire. Mon incursion dans les favelas m’a ouvert les yeux : il y a plein de choses à faire ! Je ne sais pas si ça sera l’Afrique ou l’Amérique du Sud mais je veux faire de l’humanitaire pendant un an.

Silence religieux. L’ombre d’une religieuse en sari plane sur la salade de fruit qui vient de faire son apparition.

— L’humanitaire, voilà ce que je veux faire avant de mourir.

— …

Comment lancer sur le tapis la fête à tout casser qu’on pourrait faire pour nos cinquante ans ? Devant l’élévation d’âme de mon amie je me sens comme une vendeuse trop maquillée face à mère Térésa. La grandeur d’âme rapetisse les humains déjà minuscules, que faire pour me grandir un peu ? Je n’ai pas envie d’aller en Afrique, j’ai peur des insectes, une piqûre me fait tourner de l’œil et j’ai connu plus habile que moi au point de vue organisation. Remplir un chèque (surtout s’il est déductible de mes impôts) je sais faire mais pour le reste c’est piteux.

L’humanitaire, l’humanitaire, qu’est-ce qu’elles ont toutes avec cela ? Elle me regarde droit dans les yeux :

— Ton manque d’engagement ne te gêne pas ?

— Sûr que si, tu sais bien que je rêvais d’être une sainte, quand on avait quinze ans.

— Tu ne vas jamais aux manifestations, tu ne viens jamais aux réunions syndicales, si tout le monde faisait comme toi le monde n’évoluerait jamais ! Les patrons comptent sur l’immobilisme de gens comme toi, c’est des gens comme toi qui justifient tous les excès !

Robespierre monte à la tribune et moi à l’échafaud. Je baisse la tête. Rien à répondre pour ma défense. Je vote parce que dans la commune si je ne vote pas tout le hameau le saura. Je signe les pétitions parce que tous les collègues l’ont déjà signée. Je suis une larve indigne qu’on se batte pour moi, tous ceux qui sont morts un jour où l’autre pour les libertés syndicales, les droits de la femme, le droit de vote et le reste, tous pointent un doigt mortel et accusateur.

Elle finit tranquillement sa salade de fruit, le garçon a apporté les cafés, elle sort sa boîte de sucrettes.

— Pour une fois qu’on peut se voir toutes les deux, qu’on peut parler à cœur ouvert, c’est vraiment super !

— Oui, c’est une bonne chose…

— C’est sûr…

Enfin, je suppose, parce qu’elle vient de me passer à la moulinette et je me sens misérable.

Sa bouche s’agite encore, tirade humanitaire, engagement social, nécessité de me réveiller, ses yeux fuient dans l’angle de la banquette, les miens s’égarent sur les autres dîneurs. Cet homme si beau, si fin, à deux tables de nous, son visage qui s’illumine lorsque apparaît une femme grisonnante emmitouflée dans un invraisemblable manteau de peluche bleu électrique. Toujours la tirade, avec les yeux dans la baie vitrée. L’homme et la femme s’en vont, ils sont beaux, les années leur vont bien.

Je me sens triste et rassurée.

— Mais je parle, je parle, et tu n’as toujours rien dit, tu vas bien ?

— Je vais bien…

— Je dois bientôt partir, (regard à sa montre), qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?

— Je vais regarder si je trouve une console en verre, pour la sculpture que nous avons achetée, elle n’est pas bien mise en valeur.

— Tu as acheté une sculpture !

Elle est effarée : elle vient de me parler de ses grands projets et moi je cherche une console ! Je me sens misérable et mécontente, j’en rajoute dans l’ignominie :

— Oui, tu sais, à l’exposition de Fanette, tu n’avais pas voulu venir parce que c’était trop snob, eh bien nous avons eu le coup de foudre pour une sculpture…

Elle me regarde comme si je débarquais de la lune, un vague mépris au fond des yeux. Elle sent qu’elle va dire quelque chose de méchant, jette de nouveau un coup d’œil à sa Rolex :

— Il faut vraiment que j’y aille !

— On s’appelle !

Bisous de quinquagénaires, pour la fête, on en reparlera plus tard.

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