Un éléphant vert, ça n’existe pas !

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Un éléphant vert, ça n’existe pas !

Un éléphant vert paré comme la monture d’un maharadjah, ça n’existe pas !

Un éléphant qui sort d’une élégante maison aux persiennes blanches, ça n’existe pas !

En général, il est vrai, les éléphants ne visitent pas Londres. Même s’ils sont verts et affichent leur coquetterie. Une exception pourtant : durant le Chelsea Flower Show, une des plus importantes manifestations d’horticulture de Grande-Bretagne, les vitrines des magasins se parent de splendides décorations.

D’où cet éléphant de buis haut de deux mètres sorti des rêves exotiques ou de la nostalgie coloniale d’un pépiniériste créatif qui observe les badauds.

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Couleurs londoniennes

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Londres

Gris, le monde est gris… Votre moral est en berne ? Suivez l’exemple de Londres, adepte des couleurs qui pétillent, et voyez la vie en rose, toutes les nuances de rose : rose chair, rose bonbon, fuschia, magenta, violet qui claque, et par dessus toute cette envolée de bonne humeur, des touches de jaune bouton d’or et de rouge vermeil sans oublier les deux jambes bleu électrique de ce jean qui danse.

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Alzheimer, neuro-imagerie et amour

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La journée mondiale de la maladie d’Alzheimer que certains appellent pudiquement « la maladie du souvenir » est célébrée (!!!) le 21 septembre. On voit le message : les trois quarts de l’année sont écoulés, changement de saison, comme si l’automne signifiait la saison de tous les désastres. Les futurs retraités apprécieront. Il me semble que s’il fallait choisir une symbolique,  le 21 décembre aurait été plus approprié, le cliché de l’hiver saison morte fait sens. Mais la date était sans doute trop proche de Noël, cela aurait fait mauvais effet au milieu de la grand-messe commerciale.

Quand nous avons dépassé un certain âge, l’âme de l’enfant que nous fûmes et l’âme des morts dont nous sommes sortis viennent nous jeter à poignées leurs richesses et leurs mauvais sorts […]

Marcel Proust exprime à merveille la continuité de la chaîne des générations, mais lorsqu’on est bloqué dans un présent incompréhensible ? Pour les  familles des malades restent les stratégies pour éviter le plus longtemps possible le placement en institution. Supprimer le gaz, surveiller le contenu du frigo, évacuer les produits périmés, mettre partout des affiches pour pallier à la mémoire défaillante, panonceaux pathétiques dans l’armoire de la chambre à coucher, au-dessus de la porte d’entrée, de la cuisinière ou du frigo : le lieu de vie se transforme en jeu de pistes où l’écriture grossie des vieux enfants angoissés sur des feuilles A4 scotchées fait penser aux cailloux du Petit Poucet dans la forêt de l’Ogre. Culottes, pulls, pantalons deviennent de plus en plus faciles à enfiler : des élastique à la place des boutons, des « scratch » plutôt de que des lacets ; vient pourtant le moment où il faut imposer les repas à domicile, les soins, la toilette. Humiliation des uns, culpabilité des autres, épuisement avant la défaite devant cette maladie qui nous rend étrangers ceux que nous aimons.hiver

Les pertes s’accumulent, le monde devient glacial. […] Ce qui est perdu en chemin, c’est soi-même… il n’y a pas de nouveau départ, on ne fait que continuer, sur un chemin de plus en plus étroit. (Ruth Kluger, Perdu en chemin)

Les études en neuro-imagerie montrent que les mêmes zones du cortex préfrontal sont impliquées pour des activités mentales concernant le passé et l’avenir. Se souvenir de notre enfance, de nos actions passées, des gens que nous avons aimés, décider de changer de vie, d’apprendre une langue ou un métier, décomposer nos projets en étapes, prévoir l’avenir, tout cela se trouve dans  les mêmes zones de notre cerveau. Quand celles-ci dysfonctionnent ou ne répondent plus, que reste-t-il de nous ? Nous sommes ce que nous avons accumulé d’expériences, nous sommes nos projets, nous sommes notre passé et notre avenir, le présent n’est qu’un curseur en perpétuel déplacement.

Les cicatrices sont comme les années, elles s’accumulent petit à petit, et tout ça finit par faire un être humain. (Robert Seethaler, Une vie entière)

Un présent qui a perdu tout son sens mais dans lequel les malades continent à vivre. Chaos de souvenirs et de priorités, éclatement de ce qui constituait une personne, bien sûr. Mais aussi parfois l’amour, comme dans la nouvelle Éclaircie, l’amour plus puissant que la destruction, l’amour comme lumière dans la confusion, l’amour guide dans la forêt obscure des signes brouillés.

Cela doit tous nous donner à réfléchir sur les priorités de nos vies.

Je voudrais conclure cet article où la lumière se fait rare par le bouleversant poème d’Aksinia Mihaylova dans le recueil Le ciel à perdre :

Il reste assis des heures dans un fauteuil

discute avec quelqu’un dans la pénombre et en agitant les mains, il renverse le verre de vin sur la nappe blanche qu’on met lors des fêtes :

Un silence rouge.

Après, il déplace le miroir de mur en mur : J’ai perdu ma carte d’identité, dit-il, les jours dans cette saison sont courts, la lumière n’est pas suffisante

et je ne me reconnais plus.

L’amour, vous dis-je, la lumière qui éclaire nos vie du berceau à la tombe.

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Fête des mères : comment éloigner la pluie

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C’est lundi, il ne fait pas meilleur temps qu’hier, il pleut, en plus c’est la fête des mères dimanche prochain et vous ne savez pas quoi offrir à votre maman chérie. Vous êtes si occupé, l’enfance est loin, vous culpabilisez un brin.
Elle approche la soixantaine et ne sait pas trop quoi faire des années qui s’annoncent, vous ne lui avez pas encore offert le statut de grand-mère taillable et corvéable, elle a parfois le blues de la retraite…
Ne cherchez plus : offrez-lui L’Anthogrammate ! Une pinte (anglaise, la pinte, ou munichoise) d’humour, un zeste d’émotion, et votre maman vous regardera avec tendresse : comme vous avez dû chercher pour lui dégotter exactement le livre qu’il lui fallait, vous qui êtes si occupé !

Un seul bémol : il faut vous activer, en le commandant aujourd’hui vous l’aurez jeudi, demain vendredi, etc… Ne ratez pas dimanche.

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Éclaircie

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C’est dimanche, pense-elle, encore un dimanche, comme le temps passe vite ! Elle a l’impression que le précédent était la veille. Elle soupire et se sert un café puis elle lève les yeux et contemple les Alpes depuis la fenêtre de sa cuisine : il va faire très beau. Ils ont fait de si belles courses tous les deux : chemins de randonnée, via ferrata, refuges, rencontre avec un loup, une fois, et un aigle royal ! et tous ces chamois ! À cette heure-ci d’habitude, il y avait longtemps qu’ils étaient partis, « Le lever du soleil en montagne, c’est magique, on ne peut pas perdre de temps à dormir, la vie est si courte ! Debout Marianne ! »

La vie est très courte et il va faire beau, cette légère brume au-dessus du Mont Rose ne trompe pas, après les nuages du matin vient toujours l’éclaircie. C’est dimanche, tout à l’heure elle prendra sa voiture et elle ira lui rendre visite, comme tous les dimanches depuis onze mois.

Cela avait commencé par des oublis, les clés qu’il tenait à la main en les cherchant dans l’appartement, l’endroit où il avait laissé la voiture après avoir mangé avec les copains. « Quel étourdi je fais ! » Ensuite cela s’était aggravé : il ne revenait pas de la boulangerie, un voisin le retrouvait errant dans une rue, parfois avec le pain sous le bras ; il ne reconnaissait pas leurs amis, perdait ses mots, la colère le prenait. Il l’avait frappée plusieurs fois. Le médecin s’était occupé de tout avant qu’elle ne sombre à son tour. Trente ans de vie commune et celui qui avait partagé sa vie avait disparu dévoré par cette maladie qui ne laisse aucune chance.Les chemins de la mémoire

Depuis onze mois, tous les dimanches, elle prenait le repas de midi avec son mari. Elle souriait beaucoup, parlait doucement, lui laissait le temps de s’habituer à elle. Petit à petit la douleur qui la traversait face à ce regard interrogateur s’était émoussée. Elle lui rendait visite parce que cela lui faisait du bien, à elle, parce que cela atténuait sa culpabilité de l’avoir abandonné à des professionnels. Au milieu de tant de fauteuils roulants, sa haute silhouette détonait, et il slalomait entre les vieilles personnes immobiles  comme dans un champ de neige fraîche. Douleur. La pensée de Marianne vagabonde vers des territoires moins difficiles :

C’est vrai qu’il n’a pas perdu sa souplesse, et si je l’emmenais en montagne ? Il fait si beau. Il a dû garder les automatismes des gestes. Peut-être pas un grand circuit, mais au moins un sentier balisé, quelque chose de simple, sans danger, pas loin d’ici… Maintenant il n’y a plus de neige sur les sentiers, on ne risque rien… Je préviendrais les infirmiers de garde, je n’aurais qu’à pré-enregistrer leur numéro en cas de problème, je n’en peux plus de tourner en rond dans le parc de l’établissement.

Elle pense et dit toujours l’établissement, ou là-bas ; maison de retraite elle ne peut pas.

Elle reprend un café. La marche en montagne, est-ce une bonne idée, finalement ?

Il y a du monde sur le parking, les habitués se saluent, beaucoup d’enfants viennent manger le dimanche avec leurs parents, cela fait de l’animation entre le culte œcuménique du matin et les valses au son de l’accordéon de l’après-midi. La jeune réceptionniste lui sourit et lui demande de passer dans le bureau de l’infirmière-chef : rien de grave, rassurez-vous, ça arrive souvent…

Qu’est-ce qui arrive souvent ?

Elle comprend très vite dans le bureau de l’opulente quinquagénaire que celle-ci doit lui dire quelque chose d’important. L’infirmière-chef tourne autour du pot, se racle la gorge, parle de printemps, de moment un peu particulier, ceci expliquant cela, ça arrive souvent…

Enfin Marianne comprend : son mari est tombé amoureux. La femme en face d’elle guette sa réaction. Le brouhaha extérieur, cliquetis de fourchettes, bruits de chaises, syllabes fortes dans l’océan de sa stupéfaction. Marianne regarde le ciel parfaitement dégagé, d’un bleu intense, là-haut ce doit être magnifique.

— Il est amoureux ? Est-ce qu’il est heureux ?

— Oui, il est, ­– ils sont – heureux. Dans leur monde ils ont trouvé un point de repère et s’accrochent comme deux enfants perdus. Ils s’aiment et comme ils n’ont aucune notion du temps, ils pensent que c’est de toute éternité. Tout l’établissement est attendri, ce n’est pas le seul couple qui s’est créé ici, mais eux, ils sont particuliers. Ils se bécotent dans tous les couloirs, se murmurent des mots doux que les autres ne comprennent pas. Ils ne se quittent pas. La nuit, ma foi, les surveillants ont pour consigne de montrer de la souplesse…

Marianne sourit, les yeux humides. Jacques, son Jacques n’existe plus, elle en a fait le deuil, mais cet homme inconnu qui découvre l’amour, c’est un véritable cadeau de la vie.

— J’annule notre repas ? Je comptais l’amener en promenade, pas loin, sans doute dans le parc, mais aussi un peu plus haut, en montagne…

— Non, non, surtout pas ! Le repas du dimanche avec vous fait partie de ses repères, même s’il n’en est pas conscient. Et puis son amoureuse mange avec ses enfants.

Son amoureuse…

Jacques est primesautier, il rit tout seul, il parle de Marie et de Marianne dans la même phrase décousue qui ne se termine pas. Il mélange leur couple avec le suivant, fusionne les images de femmes en une seule, femme rassurante, compagne aimante. Après le repas Marianne et Jacques se lèvent, il est d’accord pour la promenade, il sourit à l’évocation de la montagne, et au moment où ils s’apprêtent à franchir les limites de l’établissement, une toute petite femme rose d’émotion trottine depuis la salle à manger et saisit le bras de Marianne :

— Je vous le confie, murmure-t-elle.

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