Ton père pour la vie, l’amour et la littérature en héritage

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Ton père pour la vieCommençons par la fin du livre, après l’enterrement de Jacques Silberfeld le père d’Antoine Silber.

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire ce livre. Oui, j’allais le raconter dans sa générosité et son exubérance, sa complexité et sa truculence. En parlant de sa vie quotidienne, de ce qu’il était, de la manière dont il vivait.

Ce livre imposé par le deuil comme une nécessité, ce livre d’une écriture d’eau claire, est tout autre chose que le simple exercice de style d’un fils aimant, c’est de la littérature. Mais laquelle, par-delà l’hommage au père disparu ? Autofiction ? Biographie ? Témoignage  ? Un peu tout cela à la fois. Les textes concernant la vieillesse et l’approche de la mort abondent dans la littérature, mais beaucoup moins ceux des enfants qui ont accompagné leurs parents le dernier bout du chemin.

« Ton père pour la vie », c’est ainsi que le père d’Antoine Silber terminait ses lettres à son fils, plus exactement il écrivait TPPLV, Jacques. Et il écrivait beaucoup, deux ou trois lettres par jour, et quelles lettres ! Bourrées d’humour, de notations érudites et de tendresse, ces lettres d’écrivain et de père aimant rythment le livre, lui donnent sa tonalité si particulière, son côté extrêmement vivant.

L’auteur remercie Annie Ernaux pour ses encouragements, pourtant il ne se situe pas dans l’axe universel qui sous-tend tout le travail de la grande romancière. Impossible. Son père n’était pas un archétype et ni la fin de sa vie ni sa personnalité ne sont transposables. Qui peut reconnaître son père dans le traducteur de Nabokov Jacques Silberfeld alias Michel Chrestien familier de tant d’écrivains célèbres comme Alexandre Vialatte, Jean Dutourd, Antoine Blondin, et de journalistes comme Bernard Pivot ? Jacques Silberfeld, le critique littéraire, le membre du comité de lecture de Gallimard et j’en passe ?

Cette célébrité trop forte masque la fragilité de la vieillesse et empêche son fils d’aboutir à l’universel. Un piège doré en somme.

Le vieil homme ne quittait pratiquement plus son lit d’où il accueillait beaucoup de visiteurs, ce fin lettré redonnant ironiquement vie à la « ruelle » où recevaient au XVIIe siècle mesdames de Sablé, de La Fayette, du Plessis-Guénégaud et consœurs. Comme ses illustres devancières, Michel Chrestien recevait ses visites allongé sur son lit. Michel Chrestien ?

André Féron, Pierre-Jacques Cazaux, André Gilbert… Il avait si souvent changé de nom pendant la guerre. Il y était habitué. Il s’en amusait. Mais ce pseudo, ce nom-là n’était pas anodin. En l’adoptant, il avait moins cherché à abdiquer son identité, à se dissimuler qu’à affirmer cette identité à sa manière, désinvolte et paradoxale. Il y avait dans ce choix une grande provocation et une assez extraordinaire ironie. Il était juif, ne se cachait jamais de l’être. Il le soulignait au contraire. En humoriste. Et c’était comme s’il voulait montrer à ceux qui ne professaient que haine et intolérance, qu’il ne les craignait pas.

Admiration du fils devant le résistant et l’homme de lettres, dans tous les sens du terme. Une culture encyclopédique et un amour de la chose écrite qui transparaît dans les missives qu’il écrit à son fils, à peine celui-ci l’a-t-il quitté. Antoine a conservé toutes les lettres de son père, et il y en a beaucoup. Quelles lettres ! Jubilatoires pour tout amoureux de la littérature : primesautières, érudites, à sauts et à gambades entre humour et tendresse…

Nous nous trouvons très loin de l’hagiographie ou du pieux souvenir, c’est une richesse d’avoir contourné les bons sentiments avec des notations qui surprennent et déstabilisent le lecteur :

Il avait tout lu !

Je le regardais se passer le rasoir au coin des lèvres, sous le menton. J’avais douze ans, quand, déjà, je le regardais dans la salle de bains de Neauphle. Il voulait toujours qu’on lui tienne compagnie pendant qu’il se lavait ou qu’il se rasait. Il était toujours tout nu, je ne pouvais détacher mon regard du bas de son corps, fasciné par le diamètre de son sexe circoncis, hypnotisé par ce gland plus gros qu’un gros marron d’Inde, ce si gros gland gris, vaguement violacé par endroits.

On ne se trouve pas très loin du père de Kafka, vous ne trouvez pas ? Cela peut virer au combat de coqs lorsqu’une jeune femme est dans les parages, au  règlement de comptes ou aux notations finement cruelles :

Il avait retrouvé sa superbe et de mon côté je ne me sentais pas assez fort, je n’avais pas l’impression de réussir suffisamment ce que j’entreprenais pour pouvoir parler d’égal à égal avec lui. Ce n’était pas tant qu’il parlait beaucoup mais il prenait toute la place et m’empêchait de m’exprimer. Ce n’était pas qu’il ne me donnait pas la parole, mais que je n’arrivais pas à la lui prendre.

J’avais tant aimé nos tête-à-tête peu après la mort de ma mère. J’aurais préféré que nous continuions d’être tristes ensemble.

Époustouflant et universel, ce père qui prend toute la place, enfin l’universel pointe le bout de son nuage dans le ciel humain :

Mon père était mort, et je rêvais que j’étais mon père.

Durant toute la vie, vos parents vous obsèdent, vous emprisonnent, vous vampirisent, même. Et c’est pire encore après qu’ils ont disparu : leur amour vous envahit définitivement ; vous ne pouvez plus vous en débarrasser. Il vous habite pour l’éternité.

Les encouragements d’Annie Ernaux ? Antoine Silber n’en a pas besoin, il creuse son propre sillon après Le silence de ma mère et Les cyprès de Patmos.

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Et le laser découvrit la cité inconnue

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Copyright: A&D Chase

Copyright: A&D Chase

La télédétection par laser ou Lidar est coûteuse, raison pour laquelle on ne l’emploie pas à grande échelle, mais elle permet des découvertes extraordinaires. Le principe de ce laser employé à des fins archéologiques fonctionne de cette manière : le Lidar, une sorte de scanner, est embarqué sur un petit avion. Il envoie une concentration très élevée de rayons laser en direction du sol, des millions de faisceaux qui traversent l’épaisse végétation. Ensuite la lumière revient vers un capteur qui est sur l’avion, avion lui-même localisé par GPS, celui-ci mesure le temps qu’a mis la lumière pour rebondir et revenir ;  un ordinateur interprète ces variations de temps qui correspondent à des variations d’altitude, les transforme en points et modélise le relief. La précision des résultats est de l’ordre de vingt centimètres.

La première étude de ce genre avait cartographié la cité maya de Caracol au Belize en 2009. Le projet Angkor quatre ans plus tard a couvert 370 kilomètres carrés en vingt heures et a coûté environ un quart de millions de dollars. Ce qu’il a révélé est stupéfiant :

« Ce que les images du lidar révèlent est quelque chose que nous n’avions pas imaginé : une ville densément occupée avec des rues et des avenues disposées en une grille alignée sur les directions cardinales », explique Evans, et autour d’Angkor, « l’imagerie au lidar montre que l’ensemble est très précisément organisé en îlots urbains de tailles très spécifiques. Chacun des blocs de la ville dispose de quatre monticules élevés et d’un étang, et il devait y avoir des structures en bois sur chacun de ces monticules. Cela devait être grouillant de vie. »

Le site d’Angkor est quatre fois plus étendu que ce que l’on connaissait jusqu’alors ; le Lidar a également détecté 28 nouveaux temples et trouvé de nombreuses sculptures dans une rivière. Quant aux mystérieuses structures qu’il a détectées, les archéologues n’ont encore aucune explication.

Au printemps 2014 le Lidar a permis de découvrir une citadelle maya de la plus haute importance. Il semble que c’est le plus grand site maya connu, une  ville avec plusieurs temples pyramidaux, occupée de 800 avant J-C jusqu’à 1 000 ans après J-C, une citadelle indétectable sous la végétation impénétrable, jusqu’à ce que les instruments de détection contemporains révèlent la belle endormie sous son manteau vert.

Le Lidar est cher et l’archéologie ne fait pas partie des priorités des dirigeants ; il semble que l’on pourra diminuer les coûts grâce aux drones. Ce mois-ci la forêt amazonienne a été survolée dans le but de découvrir des géoglyphes, on attend avec impatience les résultats.

Voici les images époustouflantes issues de la technologie du Lidar.

Sources :

Lidar et Angkor

Laser et citées perdues

Recherche Google « Lidar et cité maya »

Cité maya redécouverte

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La calvacade effrénée du tournevis infiniment petit

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le tournevisIl pleut ? Les vacances vous semblent déjà loin et vous avez besoin de vous aérer les méninges ? Une solution avant les antidépresseurs, lisez un roman de Laurent Bénégui.

Je vous avais déjà parlé de « J’ai sauvé la vie d’une star d’Hollywood ». Celui que je vous propose aujourd’hui a été publié en 2008, nous sommes loin de la nouveauté, mais les enchaînements effrénés de catastrophes en tout genre qui assaillent le héros avant la résolution finale (heureuse bien sûr), les trouvailles désopilantes de l’auteur, l’humour du texte et les métaphores percutantes ne se démodent pas.

Sans compter que parfois vous risquez de reconnaître certains aspects de votre personnalité et de votre vie, que vous risquez de réfléchir, une fois que vous aurez bien ri, à une question fondamentale : que feriez-vous si vous appreniez que vous êtes condamné à brève échéance ?

Le tournevis infiniment petit nous raconte un moment crucial de la vie de Laurent Claude, éminent chercheur en nanotechnologies qui vient d’apprendre qu’un cancer des poumons des plus agressifs vient de réduire son espérance de vie à zéro. Il fait le point devant son café. La description des membres de la famille Claude commence par Manon, la fille de Laurent :

À peine levée, elle allumait son ordinateur et réussissait l’exploit de communiquer avec les siens une journée entière sans utiliser plus de dix mots. Elle appartenait à une espèce mutante qui devait autant à la fougère pour la coiffure, qu’à la bactérie pour le langage. La dernière fois que j’avais osé m’aventurer dans sa chambre, j’avais aperçu ses ongles vernis noirs courir si vite sur les touches du clavier qu’on aurait dit une ruée de cafards ivres. À l’évidence, la question de sa propre finitude devait la déranger à peu près autant qu’une puce sur le dos d’un TGV.

Quant à mon fils, son univers ultraconformiste avait pour canon le catalogue Habitat. Il s’y abîmait des journées entières à la recherche d’un couvert à salade, avant d’en référer à sa fiancée, qui elle-même lui soumettait une proposition de vase soliflore. La préparation de leur mariage semblait avoir digéré son cerveau. Sinon, Baptiste passait une partie de son temps libre à compter et recompter les points retraite acquis depuis son premier stage rémunéré, et venait d’ouvrir un PERP sur lequel il virait quinze euros par mois. La seule manière de l’intéresser à la question de la mort était de lui lire l’extrait du Journal officiel concernant la modification de la législation en matière de droits successoraux.

Enfin, Élizabeth, ma femme, se considérait proprement immortelle. Elle était peintre et tutoyait la postérité comme si elles avaient été dans la même classe de CP. Lors de l’exposition rétrospective que venait de lui consacrer le musée de Grenoble, j’avais vu des centaines de visiteurs se pâmer devant des toiles qui évoquaient pour moi des mouchoirs souillés par un géant très enrhumé. J’en produisais autant chaque hiver et il ne me serait pas venu à l’idée de faire défiler mes voisins devant un tel spectacle.

Vous aurez compris devant cette description de la famille statistique idéale que le lecteur ne va pas sombrer dans le pathos malgré le tragique de la situation.

Devant son café, Laurent fait le point sur sa vie. Il dresse une liste des choses qu’il veut accomplir avant de mourir : quitter sa femme, dire ses quatre vérités à Manon et Baptiste, casser la figure à Mac Cormak son ignoble patron et séduire Amira sa belle assistante avant de se suicider. Le chercheur naïf s’est laissé acheter par une compagnie d’assureurs cyniques et a compris bien trop tard que celle-ci compte exploiter ses découvertes de la plus ignoble des façons.

Il commence à mettre en œuvre son programme de destruction massive, annonce à sa femme qu’il veut divorcer, dit des horreurs à ses enfants, approche Amira et saborde sa vie professionnelle en avalant les nanorobots biologiques qu’il a créés avant de tenter de se suicider.

Bien entendu rien ne se passe comme prévu. Un téléphone de sa femme lui apprend qu’il n’a pas de cancer.

Trop tard ! Le voilà pris dans un engrenage et les catastrophes succèdent aux ennuis à un rythme démentiel. Aucun temps mort (!) dans ce roman haletant où les situations cocasses succèdent aux dialogues improbables, où les réflexions philosophiques des assassins voisinent avec des canaris amoureux.

Quel souffle ! Ne chipotez pas sur la vraisemblance, ce n’est pas la tasse de café de Bénégui, mais le livre est construit comme un film d’aventure et le scénario est éblouissant. Une légère faiblesse dans la fin, à mon avis trop rose bonbon. Avaler de la guimauve après tant de couleuvres adoucit l’ensemble, il est vrai…

Au détour de ce qui pourrait passer pour une pochade nous revenons à la mort dans les dernières pages du roman, car bien sûr, si erreur il y a eu, reste une vraie victime du cancer, et les dernières phrases sont poignantes d’humanité.

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Je suis écrivain ou j’écris des livres ?

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Delphine de ViganCe lundi 21 septembre Augustin Trapenard recevait Delphine de Vigan, la longue dame blonde des lettres françaises, pour la parution de son dernier roman D’après une histoire vraie.

Dans ce roman l’écrivain joue avec les codes de l’autofiction : une auteure qui s’appelle Delphine et a pour compagnon un certain François (Busnel dans la vie) a connu un grand succès de librairie avec son précédent roman (Rien ne s’oppose à la nuit). Delphine de Vigan signale que tout peut se trouver sur Internet mais en même temps que c’est un roman. Fiction ? Autofiction ? L’ombre de Stephen King et de Misery la terrifiante lectrice plane sur le livre avec la mystérieuse Elle, la peur de la folie saupoudre l’écriture d’angoisse.

Avec beaucoup de finesse Delphine de Vigan parle de la mise en scène de soi, de l’écriture d’un livre avec l’impression que quelqu’un d’autre l’écrit à sa place ou par-dessus son épaule et elle avoue se dire écrivain depuis peu de temps : avant elle se présentait comme écrivant des livres. Comme s’il y avait une sorte d’indécence à se dire écrivain, que celui-ci était un gros mot, trop grand, trop galvaudé aussi pour que l’on accepte de l’employer.

Je suis écrivain ou j’écris des livres ? Lancinante question.

Merci  Augustin pour cet entretien tout en nuances.

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Collusions comiques sur France Inter

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Entendu ce matin aux informations de huit heures sur France Inter :

Le présentateur parle de la visite du pape à Cuba où ce dernier exhorte les autorités cubaines à se rapprocher des États-Unis et de la religion catholique. Suit un extrait du discours du Pape : oh surprise, voilà Claude Bartolone qui s’exprime au sujet de la dernière Macronade.

Emmanuel fais attention, il y a des choses que tu dis qui te font du tort et qui nous font du tort.

Là dessus, plutôt que de s’excuser pour l’inversion des interviews, le présentateur enchaîne :

Le Pape est reparti de la Havane.

Rires éclatants. Vive la collusion de l’information, les techniciens et les présentateurs mal réveillés. Au fait, Emmanuel signifie « Dieu est avec nous » 😉

 

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