Fabrice Luchini et le certificat d’études

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Fabrice Luchini au déjeuner des nommés des César du cinéma

Luchini © Georges Biard

Ce matin Augustin Trapenard recevait Fabrice Luchini, le diseur irritant et magnifique, celui dont on a l’impression que, quelle que soit son écrasante et fabuleuse érudition, sa digestion des monuments de la littérature française, sa façon de rendre lumineuse la poésie à un public qui ne l’aurait peut-être jamais approchée, jamais il ne comblera la blessure originelle de ne pas avoir fait d’études.

Aujourd’hui encore il nous a resservi son passé de garçon coiffeur et a débiné le certificat d’études, ce « petit morceau de papier pour les exclus du savoir », quelque chose comme ça.

Je ne peux pas le laisser dire.

J’appartiens à cette génération où le certificat d’études existait encore, mais les gens qui étaient destinés à faire des études ne le passaient pas. Peu de temps après, quand on a prolongé la scolarité au-delà de quatorze ans en France il est tombé en désuétude.

Je viens d’un milieu où, lorsqu’il me surprenait en train de lire, mon père me giflait parce que je ne faisais rien. Ceci explique mon choc lorsque j’ai lu Le Rouge et le Noir au lycée, quand j’ai lu la scène où Julien Sorel est giflé par son père dans la scierie parce qu’il est surpris à lire (§ 8).

J’ai fait des études mais j’ai tenu à passer le seul diplôme que l’on connaissait dans ma famille : le certificat d’études. Il est faux de dire comme le fait Fabrice Luchini que ce « petit morceau de papier » n’avait aucune valeur. Il signifiait que l’on savait lire, écrire et compter. C’était un grand diplôme orné de fioritures sur les bords, un diplôme destiné à être encadré avec fierté.

Je n’en ai jamais eu d’aussi beau. Le brevet puis le bac, les certificats de licence, tout rétrécissait comme peau de chagrin, tiré vers l’abstraction. Les diplômes de licence et de  maîtrise : tristes fiches cartonnées d’un vilain gris.

Mon certificat a disparu au fil des déménagements mais vous pouvez voir celui de Coluche qui en était fier.

Certificat d’études de Coluche

Fabrice, vous avez prouvé à tout le monde que vous maîtrisiez de l’intérieur ce qui était prémâché pour les autres. Vous avez échappé au Lagarde et Michard expliquant aux lycéens quels auteurs ils devaient admirer, pourquoi et comment. Vous avez échappé au formatage, au conformisme pour conserver la force brute des textes et la restituer à ceux qui vous écoutent ou viennent vous voir.

C’est ainsi que vous êtes grand, laissez tomber le reste s’il vous plaît.

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La téléréalité et la tragédie grecque

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Tragique accident

crédit: metronews.fr

La vidéo tourne en boucle depuis hier : un amateur a filmé le dramatique accident d’hélicoptère dans lequel de grands sportifs ont perdu la vie. Florence Arthaud, Camille Muffat et Alexis Vastine ont fait vibrer les foules. Des personnalités qui n’avaient en commun que le sport de haut niveau et leur retrait de la compétition, des personnalités qui participaient à une émission de téléréalité pour TF1.

On a évoqué ce matin à la radio le quotidien des sportifs beaucoup moins brillant qu’on l’imagine, le tiers des sportifs de haut niveau vivant avec cinq cents euros par mois ; d’où l’importance des sponsors, de la publicité, du besoin vital de rester dans le cirque médiatique.

On a beaucoup parlé aussi de la difficulté pour les grands sportifs de gérer le passage à l’après, quand tous les journalistes ne se ruent plus sur vous pour vous demander quel sera votre prochain challenge, quand vous savez que bientôt votre visage sera oublié et que l’on ne vous demandera plus d’autographe dans la rue.

Ces deux raisons expliquent en partie le passage à la téléréalité qui offre une somme allant de cent à deux cents mille euros pour l’émission et permet une imprégnation médiatique renouvelée.

Ce tragique accident qui a foudroyé en plein vol des destins hors-norme nous bouleverse. Ces gens qui nous faisaient rêver parce qu’ils refusaient la vie ordinaire – la nôtre – pour repousser les limites humaines viennent de périr dans ce qui ressemble à une fatalité du destin.

La Grèce antique connaissait la notion d’hubris que l’on traduit souvent par démesure ; en était coupable (les Grecs considéraient que c’était un sentiment destructeur) celui qui voulait plus que la part qui lui était attribuée, une sorte d’orgueil qui faisait refuser le destin ordinaire. Les dieux grecs ne permettaient pas aux hommes de vouloir s’élever à leur niveau : Icare veut quitter la terre ferme, il s’envole mais il approche trop près du soleil et ses ailes fondent, il tombe dans la mer.

Le terme hubris est souvent associé à celui de moïra, qui signifie le destin en grec ancien. Le tragique destin de ceux qui font l’actualité de ce jour.

Le destin de ceux qui étaient allés plus loin que leurs limites puis avaient participé à un jeu télévisé, un jeu d’images destiné à donner encore du rêve à l’humanité moyenne et qui s’est terminé comme une tragédie grecque. Une notion vieille de vingt-six siècles prend alors une réalité poignante.

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Voyageur malgré lui, douleurs d’exil

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Voyageur malgré luiDe passage à New-York où elle écume les expositions pour échapper à la chaleur, la narratrice d’origine vietnamienne est happée par le titre d’une installation :

C’est surtout son titre, Homage to Albert Dadas, et l’étrange destin de cet homme qui l’avait inspirée, résumé en une dizaine de lignes imprimées sur le mur, qui ont retenu mon attention.

Ouvrier gazier français, Albert Dadas (1860 – 1907) est né à Bordeaux, mais a passé la majeure partie de sa vie loin de chez lui. (…) Souffrant de dromomanie ou « folie du fugueur », il entrait dans des états de transe semi-somnambulique qui lui faisaient tout quitter pour voyager avec frénésie, généralement à pied. (…) Il a été le premier cas de « tourisme pathologique », maladie qui a fleuri en épidémie dans toute la France à la fin du XIXe siècle, puis s’est propagée en Italie et en Allemagne, avant de s’éteindre après une vingtaine d’années.

Commence alors un roman à étapes divisé en deux parties symétriques : allers et retours, car le Voyageur malgré lui, c’est Albert Dadas, dominé par une soif d’ailleurs qu’il ne domine et ne comprend pas, lui l’ouvrier illettré, mais surtout le père de la narratrice et les autres membres de sa famille, obligés de partir pour conserver la vie.

Minh Tran Huy nous conte dans ce roman douloureux et pudique de terribles trajectoires de vie, des tranches de mémoires familiales tues pendant longtemps. Car le père se tait, esquive les questions insistantes de sa cadette : à quoi bon remuer la douleur et la folie des hommes, la cruauté de l’Histoire ?

La question de la juste place des déplacés permanents court tout le long du roman.

La place d’Albert Dadas, bien sûr :

Les coureurs qui voyageaient sur toute la surface de la planète, comme il avait fantasmé de le faire, dans le seul but de prendre le départ, encore et encore, sans autre destination que la ligne marquant la fin de l’épreuve, et par là, leur victoire ou leur défaite, étaient-ils tellement différents du premier « touriste pathologique » ?

Cette question permet à la narratrice de glisser à Samia Yusuf Omar, la coureuse somalienne qui avait suscité l’enthousiasme des foules aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008 et morte sur un rafiot qui tentait de rallier l’Italie. Une tragédie de plus pour les migrants qu’évoque la narratrice, pour ces gens nés au mauvais endroit et au mauvais moment. Ils ne réussissent pas et meurent sur le bateau, ou noyés, ou de solitude et d’incompréhension dans le pays d’accueil. Ils réussissent à s’en sortir, à intégrer un pays aux odeurs, à la nourriture et à la langue différentes, à jamais étrangers par leur origine, à jamais étrangers dans leur propre pays lorsqu’ils y retournent.

Albert Dadas revient toujours à Bordeaux d’où il est originaire. La narratrice revient à Paris après son séjour à New-York, son père revient au Vietnam lorsque le pays s’ouvre. Il revient aussi à son enfance lorsque la maladie frappe ce brillant ingénieur :

Il me déroule et redéroule inlassablement les destins de ses disparus, il recommence encore et toujours le même laïus, sans paraître avoir conscience de ce qu’il raconte ni de la personne à qui il s’adresse.

Passages douloureux, pudiques aussi.

Ce livre écrit par une jeune femme est-il vraiment un roman ? Il ressemble à une tribulation, entre systole et diastole, comme les intermittences du cœur, allers-retours d’une mémoire, expression de racines autant qu’exemples tirés de l’Histoire. Il recèle maladresses et invraisemblances, comme les lettres du père à la fille alors qu’il a perdu la langue française, et les deux parties du roman sont tellement symétriques que cela ressemble à un devoir de géométrie.

Le style lui-même ne frappe pas par son originalité ou sa puissance, des faits racontés d’une manière précise. Encore une impression de première de la classe, et en cela aussi Minh Tran Huy appartient à sa famille toujours à la recherche de l’excellence pour accéder à un avenir meilleur.

Restent de nombreux passages poignants, et un témoignage d’amour bouleversant pour le père disparu, un livre sincère.

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Logement saisonnier ?

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Ruches

Ces deux ruches bleues, pimpantes et tendres sous leur lit de neige, hébergent leur colonie endormie. Les ouvrières attendent le printemps pour s’éveiller, et reprendre leurs inlassables butinages. À moins que, comme le tiers des colonies… je ne veux pas envisager cette éventualité.

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Un repas inoubliable : conclusions

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Escarpin Endiablé

Bonjour chers lecteurs,

Considérez que j’utilise le terme générique, même si, dans le cas de ce repas érotique, j’ai l’impression qu’un certain nombre de messieurs ont dégusté les hors-d’œuvre conçus au départ pour les dames.

J’avais prévu que cette nouvelle serait interactive, une sorte de jeu humoristique, une façon de se lâcher pour les personnes qui suivent mon blog. Une façon de communiquer pour rompre la solitude de la blogueuse de fond.

Las ! Combien de réponses à mes questions destinées à orienter les développements de la nouvelle ? Combien de femmes ? Est-ce à dire que la littérature érotico-littéraire n’intéresse personne ? Les chiffres de mon webmestre prétendent le contraire…

Je ne suis pas étonnée : certaines lectrices m’ont fait part de leur peur que l’on puisse les reconnaître, d’autres ont évoqué Snowdon et les Grandes Oreilles qui nous écoutent, les fichiers informatisés, le besoin accru de laisser le moins de traces possibles. Certes. Va-t-on supprimer Internet, se passer de portables, des iphones et consorts qui permettent de nous suivre à la trace ? Inutile de jouer les autruches ou les pleureuses : il est vrai que nous sommes pris dans une gigantesque toile et que les moments dans l’Histoire où la parole était libre c’est comme de l’eau mesurée dans le compte-goutte d’un apothicaire face à l’océan.

Est-ce une raison pour saborder cette nouvelle que je souhaitais conclure le huit mars, journée de la femme, parce qu’elle exprimerait des phantasmes purement féminins, si rarement pris en compte dans la littérature érotique ?

Ce repas inoubliable est issu d’une longue lignée de textes ou de réflexions d’artistes. Je vous ai parlé du festin surréaliste de Meret Oppenheim, mais j’aurais pu évoquer le Banquet de Platon, Vénus Erotica d’Anaïs Nin ou Histoire d’O dont on sait maintenant qu’il n’a pas été écrit par une femme, mais il fallait être un homme pour penser que cela aurait pu être le cas.

Ce repas inoubliable va continuer, je me suis prise au jeu et je pense que je ne peux pas laisser les lecteurs sur leur faim. Seulement il ne figurera pas dans mon blog, il sera accessible en édition numérique chez Plumitive Éditions, les participants du repas attaquant les plats de résistance. La bataille érotique va battre son plein, donc pas d’ennuis éventuels avec mon hébergeur avec cette solution et aucun lecteur ne sera gêné par cette irruption incongrue de l’érotisme, fut-il littéraire et teinté d’humour dans un blog sérieux.

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