Quatrième de couverture

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Nous connaissons tous l’achat impulsif : ce petit chemisier qui vous nargue sur le mannequin et qui vous murmure « Je suis fait pour toi », ce livre à l’étalage, avec sa photo qui augure aussi bien un roman à la guimauve qu’une petite musique de Scott Fitzgerald, ce titre qui renforce la deuxième option, « Et rien d’autre », et la quatrième de couverture.

Surtout la quatrième de couverture :

« Ce livre magnifique est comme le testament d’une génération d’écrivains, derniers témoins, sans le savoir, d’un monde promis à la disparition. Parce que l’art est le seul lieu où les contraires coexistent sans se détruire, il noue d’un même geste la soif de vivre de la jeunesse et la mélancolie de l’âge mûr, la frénésie érotique et le besoin d’apaisement, la recherche de la gloire et la conscience aiguë de son insignifiance ».

Pire que le chemisier sur le mannequin : j’achète.

364 pages. Arrivée à la page 102, le héros de l’histoire, Philip Bowman s’est trouvé sur un navire durant la guerre du Pacifique, a déjeuné avec sa maman et son oncle qui le considère comme son fils, a trouvé du boulot dans une petite maison d’édition et rencontré sa femme. Sa maman signale qu’elle a tout de suite vu que cette jeune pimbêche du sud n’avait pas de cœur mais ne l’a pas dit à son fils. Page 102 le héros et sa jeune femme sortent d’une soirée chez le patron du jeune homme et je n’en peux plus. Le tiers du livre et on attend toujours « la frénésie érotique » et l’art ainsi que « la recherche de la gloire ».

J’arrête les frais et me plonge dans « Vivre vieux et gros, les clés du succès. La méthode de développement personnel pour les chats » de Leslie Plée. La délicieuse bande dessinée et l’humour décalé de Leslie Plée me remettent sur pied. L’auteur en est Michel, le chat manipulateur de Leslie qui explique avec cynisme comment obtenir le maximum de celui qui se pense le maître. Il faut aimer les chats sans illusion mais avec fascination pour lire cet opus, si vous n’aimez pas les chats précipitez-vous sur « Moi vivant, vous n’aurez jamais de pause » du même auteur, où Leslie Plée relate sa cruelle et désopilante expérience dans une grande surface du livre qui a connu certaines difficultés il y a quelques mois.

Au fait, la quatrième de couverture n’est pas toujours mensongère, celle-ci reste en dessous des délices qu’elle procure : l’auteur a dû l’écrire elle-même sans recourir à un magicien du marketing, une raison supplémentaire pour lire cette bande dessinée pleine de charme, d’humour et de tendresse.

VIVRE VIEUX ET GROS
les clés du succès
Michel Plée
Illustré par Leslie Plée
Éditions Delcourt 2013
ISBN: 978-2-7560-4152-0

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La véritable Lovita mise à nue

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LovitaL’héroïne de Lovita broie ses couleurs a servi de support érotique à des lecteurs frémissants, et j’ai reçu quelques courriers qui m’ont mise mal à l’aise. Désolée de vous décevoir, messieurs, Lovita n’a rien à voir avec moi, je ne suis que l’auteur. Mais vous avez raison, cette jeune personne n’est pas sortie du chapeau de mon imagination tortueuse, elle existe bel et bien, tout comme Martha d’ailleurs, mais ceci est une autre histoire.

La véritable Lovita, je l’ai rencontrée à une quinzaine de reprises chez une amie commune. Commune dans le sens amie à toutes les deux, car l’amie en question, s’il vous est donné de la rencontrer, s’imprime dans votre rétine et dans vos oreilles : tant de vitalité, est-ce possible ? Mon amie attire tous les originaux de la terre comme le miel les ours, c’est une mine pour romancier, un filon inépuisable de personnages hauts en couleur que je ne cesse d’exploiter avec sa bienveillante indulgence.

Lovita, donc, m’est apparue dans un éblouissement. Brune Brésilienne, liane flamboyante : une beauté pire qu’un aimant car la belle ne se contentait pas de se laisser admirer, il lui fallait séduire, absolument, et tout le monde. Je me souviens de mon inquiétude lorsque, la première fois qu’elle me vit, elle trouva que j’étais une personne si exceptionnelle, que nous avions tant en commun, qu’elle ne savait pas comment elle allait faire pour me quitter. Moi non plus, et je paniquais un peu. Mon compagnon me prit fermement par la taille et me ramena seule à la maison.

La fois suivante, elle m’avait complètement oubliée, et cela recommença. Je me sentais moins inquiète. Et cela continua, un besoin irrépressible de séduire sans que le support eût la moindre importance.

Elle était (elle est toujours) si belle qu’elle avait été mannequin vedette d’un grand couturier. C’était une artiste, une pianiste aux dons multiples : dessin, écriture. Elle s’habillait tout en blanc, un rituel très précis pour l’opération sacrée. Un jeune homme de bonne famille l’avait violée lorsqu’elle était adolescente et elle s’était retrouvée mère à seize ans. Ses rapports avec son fils était épouvantables, ce que j’écris au sujet de Martin, c’est de la limonade par rapport à la réalité.

Voilà Lovita telle qu’elle existe, et ses rapports très spéciaux avec la nourriture, la volonté de se retrouver pur esprit alors que personne ne peut oublier son corps de rêve, avec son incapacité à connaître une vie normale sans quelqu’un pour s’occuper d’elle. Je l’ai à peine travestie, remplaçant seulement le piano par le pinceau. Notre amie commune appréhendait un peu lorsqu’elle décida de lire Lovita broie ses couleurs… Elle a « adoré » le livre et ne s’est pas reconnue. Par contre je me suis fâchée avec une amie artiste, blonde aux yeux bleus, la générosité-même dans sa vie et dans son physique, qui – elle – s’est reconnue dans l’héroïne. Pas un seul instant je n’avais pensé à elle, allez comprendre !

Tout le monde sait bien que l’écrivain est une sangsue, alors les proches connaissent une obsession : la traque des traces de leur propre vie dans l’objet imprimé qui les mettra pour toujours dans une posture qu’ils détestent d’avance. Mon amie ne m’a toujours pas pardonné cette trahison fictive et fictionnelle.

 

 

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Dans le silence du vent, souffrance indienne

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Louise Erdrich a obtenu le National Book Award pour ce livre en 2013, une reconnaissance au plus haut niveau pour celle qui est le porte-parole de la nation indienne depuis maintenant trente ans.

Dans sa postface Louise Erdrich nous rappelle que : « une femme amérindienne sur trois sera violée au cours de sa vie (et ce chiffre est certainement supérieur car souvent les femmes amérindiennes ne signalent pas les viols); 86% des viols et des violences sexuelles dont sont victimes les femmes amérindiennes sont commis par des hommes non-amérindiens ; peu d’entre eux sont poursuivis en justice. »

Louise Erdrich a transformé cette réalité brutale en un grand roman sur la notion de la justice avec un adolescent pour personnage principal : Joe, treize ans, fils tardif d’un juge tribal et d’une spécialiste aux appartenances tribales. Père et fils bricolent paisiblement mais Géraldine ne rentre pas. En quelques pages tout est campé : la vie paisible dans la réserve, les personnages familiaux principaux et des notions qui nous sont étrangères comme le droit tribal dans le Manuel de droit fédéral indien. Le drame aussi : Géraldine a été sauvagement agressée et violée. Continuer la lecture

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Pourquoi un titre pareil ?

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Oui, pourquoi un titre « limite imprononçable » comme l’a écrit fort justement Cassiopée dans sa critique. L’Anthogrammate ! Quelle bizarrerie ! Drôle de nom pour un roman qui raconte l’histoire d’une drôle d’institutrice, on devrait en changer si on veut avoir une chance que les lecteurs fassent l’effort de le commander.

Je vais vous expliquer pourquoi j’ai choisi ce mot que l’on ne trouve plus dans le dictionnaire et qui signifie spécialiste du langage des fleurs.

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours eu la passion des fleurs et des mots et je sais à qui je les dois.

Ma mère qui venait de la ville et avait rêvé d’être institutrice avait épousé dans les années de pénurie alimentaire qui ont suivi la guerre un paysan qui lui avait donné (quel mot mal choisi pour une époque où on ne connaissait pas la pilule !) quatre enfants vivants, braillards et affamés. Dans un environnement où tout ce qui était planté devait être mangé, elle faisait de la résistance : le long du mur qui enserrait notre premier jardin elle semait tous les ans des volubilis d’un bleu profond, presque violet qui enchantait le grillage et le transformait en une masse colorée, un mur de conte de fées vibrant de poésie.

Je me souviens de mon éblouissement devant ces grandes corolles qui faisaient disparaître le vilain grillage à poules. Mon père ne disait rien : qu’est-ce qui aurait pu pousser contre ce mur ? Petit à petit elle s’est enhardie, elle a planté des rosiers. Notre maison suivante, plus grande, a connu aussi les rosiers contre la maison mais désormais les fleurs faisaient partie de notre vie. Si notre mère ne négligeait pas le potager elle grattait, semait, créait des massifs colorés pleins de la gaieté qui manquait à notre maison.

De l’art de semer des fleurs qui ne se mangent pas comme acte de résistance contre le quotidien. De la beauté pour ne pas oublier que l’être humain a besoin de s’élever vers plus grand que lui.

Ma mère lisait, aussi. Dans les interstices ténus de la vie quotidienne : potager, poules, cochon qui lui faisait peur, lessives (elle n’a connu le lave-linge qu’une fois ses enfants élevés), couture (elle nous faisait la plupart de nos vêtements), cuisine, elle lisait. Des magazines féminins : Nous Deux, Bonne Soirée, plongée dans un univers qui m’échappait et qu’elle m’interdisait, surtout le feuilleton qu’elle dévorait avec passion.

Rien de plus excitant que l’interdit. Je me souviens parfaitement du premier roman féminin que j’ai lu ainsi ; c’était Ambre de Kathleen Windsor, je crois. De la passion, du sexe, de l’amour avec des héros flamboyants. Ma mère n’a jamais su que je lui volais ses magazines dans le tiroir de sa table de nuit, ou peut-être s’en doutait-elle mais la couleur de ma mère était le silence. Rien de ce qui n’était pas dit n’existait.

Voilà d’où je tiens ma passion des fleurs et des mots.

Mais pourquoi L’Anthogrammate, me direz-vous ? Pourquoi ce mot précisément ? Et d’abord d’où il sort, ce mot-là ?

Il sort d’un article du Monde il y a fort longtemps. Je vous ai dit que j’aimais les mots. En fait j’ai une passion pour les mots rares, fragiles et menacés, les mots en voie de disparition.

Les espèces animales et végétales ne sont pas les seules à être victimes de la rapacité de l’espèce humaine ; les créations de l’esprit disparaissent à toute allure et on n’a pas besoin pour ça de religieux illuminés et criminels, les dictionnaires se chargent en catimini de la sale besogne.

Chaque année, pour faire place aux mots nouveaux que notre brillante civilisation produit comme consolidation budgétaire, crise de liquidité, état-parti, nonisme dans le Larousse 2014, ou pour faire moins sinistre scud, iconique, hystérisation et viralité, toujours dans le Larousse 2014, des mots anciens disparaissent. Le vocabulaire spécialisé des rites catholiques comme archidiaconat a disparu avec la ferveur religieuse, nombre de mots concernant le goût ont disparu depuis l’apparition des fasts food comme acerbité, acidule, nos sens en général se sont affadis ainsi que nos façons de percevoir l’existence : finis les délicieux babillement, baladinage, baliverner, amusoire, assoter, véritables songe-malice. Je ne voudrais pas chipoter mais ceux qui collaborent à cette cacade auraient dû réfléchir à deux fois avant de supprimer délogement qui correspond très exactement à l’action de notre police vis-à-vis des campements roms.

Je comprends fort bien que l’on ait besoin de ne pas gonfler le dictionnaire de mots inusités mais maintenant que nous sommes passés à l’ère numérique, que la moindre tablette ou liseuse peut contenir un nombre vertigineux de livres, pourquoi continuer à supprimer des mots ? Pourquoi générer de l’oubli et vivre dans un présent intemporel ? Les façons de vivre et de penser disparues nous aident à comprendre la nôtre, ses faiblesses et ses incohérences, c’est sans doute là que le bât blesse…

Et anthogrammate, là-dedans ?

Une sorte d’évidence, une résistance à l’uniformisation.

Marguerite Letourneur, femme dépassée, dinosaure parmi ses jeunes collègues, connaît l’art oublié du langage des fleurs. Une forme de communication disparue depuis moins d’un siècle, en un temps où on ne larguait pas son amoureux par SMS : on n’écrivait pas « Je t’m + », les hommes envoyaient une boule de millefeuille pour dire que leur cœur était cicatrisé ou, plus lâches, un bouquet de pieds d’alouette blanc : « Je suis très occupé »…

Je ne saurais trop vous recommander le Dictionnaire insolite des mots oubliés de Alain Duchesne, Thierry Leguay chez Larousse (Paris, France) et bien sûr L’Anthogrammate au titre imprononçable mais à la verve réjouissante.

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J’ai sauvé la vie d’une star d’Hollywood et les Français de la morosité

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Vous trouvez l’actualité morose et vous ne voulez pas dépenser vingt Euros pour les confidences de Valérie ? Précipitez-vous sur le livre de Laurent Bénégui : pour le même prix vous ne vous offrirez pas de confidences gastriques mais tellement, tellement d’occasions de rire que ce livre devrait être remboursé par la Sécurité Sociale.

Laurent Labarrère, quarante ans, scénariste pour la télévision, connaît autant d’ennuis que notre actuel président : sa femme l’a quitté, elle le remplace à son travail par son jeune amant mais le malheureux ex-scénariste doit continuer de payer le duplex du couple, s’occuper de ses filles qui ne supportent pas l’appartement minable qu’il occupe désormais et de surcroît un mafieux russe en veut à sa vie avant de lui proposer d’écrire un scénario.

Parfaitement abracabantesque aurait dit un autre président plein d’imagination.

Précipitez-vous, je vous dis, oubliez la liste des romans de la rentrée qu’il faut absolument faire semblant d’avoir lu en septembre et éblouissez les convives grâce aux réparties qui fusent, calibrées au millimètre :

— Je ne vais pas pouvoir continuer à payer pour le loft, insistai-je.

Tant que mon chargé de compte se bidonnait aux aventures de nos deux familles de timbrés, je survivais grâce à un découvert de spéléologue, obtenu à un taux de bactérie. Mais j’avais intérêt à continuer de trouver des répliques qui fassent mouche dans son imaginaire de banquier.

— Ce n’est pas la peine de faire du chantage, réagit-elle en claquant la portière.

— On devrait en parler calmement.

— C’est pour ça qu’on a des avocats.

­Un peu démoralisé mais pas à bout de ressources, notre scénariste essaie de se placer de nouveau sur l’échiquier amoureux avec une serveuse de bar :

— Et tu viens de ?… demandai-je.

— Montréal, province de Québec. Je suis une cousine, sourit-elle avec évidence.

Si toutes les cousines étaient du même acabit, on s’embêterait moins aux communions. Celle-ci était indiscutablement ravissante, moulée dans un jean taille basse, son débardeur court dévoilant un nombril orné d’un piercing original, duquel j’avais du mal à détacher les yeux tant l’azimut était propice.

— C’est un fémur d’australopithèque en réduction. (J’appréciai en connaisseur, comme si dans mon entourage il était courant de se composter avec des reproductions d’omoplate ou de rotule.) C’est un cadeau de mon chum. J’étudie la paléontologie, je suis venue théser à Paris-III et je travaille ici pour me faire des sous.

Il trouve beaucoup d’argent aux toilettes dans une cache du plafond, ce qui lui permet de faire ensuite la rencontre douloureuse avec Boris, le légitime propriétaire de cet argent sale :

— Pourquoi t’as mis ta main dans ce faux plafond ? Ça fait vingt fois que j’utilise cette cachette sans problème.

— Je ne sais pas, il fallait que je m’occupe.

— Le temps de pisser ?

— Ben, peut-être, oui…

— Tu es hyperactif, toi ?

— Non, d’habitude non.

— Tu as eu une scolarité normale ?

— Oui, oui.

Il réfléchit et rejeta ses longs cheveux en arrière d’un brusque mouvement de la tête qui transporta à nouveau jusqu’à mes narines son odeur particulière. Un relent animal, qui ne jurait pas avec l’image qu’il présentait de lui-même.

— Quelqu’un qui ne supporte pas de rester tranquille le temps de pisser fait preuve d’instabilité, reprit-il en se nouant les cheveux avec un élastique. Crois-moi.

Audiard doit jubiler dans sa tombe : voilà la relève ! Bientôt d’autres Tontons flingueurs et autres Barbouzes vont enchanter les écrans francophones et faire oublier le temps d’un film ou d’un bon livre les aigreurs de la politique.

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