Voici une uchronie purement littéraire et souvent jouissive répondant à l’une des nombreuses zones d’ombre de l’histoire : qu’est devenu François de Montcorbier alias François Villon après la commutation, le 5 janvier 1463, de sa peine de mort par pendaison en dix ans de bannissement par le parlement de Paris ?
L’auteur imagine que le jeune roi Louis XI, admirateur du poète et conscient de ses dons pour dynamiter l’ordre établi, va utiliser sa renommée et son côté rebelle pour lutter contre l’influence du pape.
Notre poète mauvais garçon est libéré de son pourrissoir après un entretien avec l’évêque de Paris, émissaire du roi. Secondé par Colin, son acolyte coquillard râleur, le poète va entreprendre un long périple qui le mènera en Terre Sainte à la découverte d’une étrange société secrète juive, la Confrérie des chasseurs de livres. Elle existerait depuis des siècles, collectant aussi bien des écrits grecs anciens interdits par l’Inquisition que les dernières paroles du Christ. Cette puissante société secrète aurait des ramifications dans tout l’Occident, et elle entend bien dynamiter le pouvoir temporel du Pape.
Comme on le voit, dans cette uchronie truffée d’éléments réels et d’éléments fantastiques tout se mêle, le vrai et le fantasmé, l’érudition et les galopades à travers la Terre Sainte ou l’Occident.
Et François dans tout ça ? Notre poète navigue à vue, tombe amoureux, se bat, prie parfois, incapable de comprendre ce qu’on attend vraiment de lui mais bien décidé à rouler tout le monde.
De tous les apôtres, Luc est celui qui a le plus parlé de la femme. Étant médecin, il la voit d’un œil mieux avisé que ses contemporains. Bien qu’il ne doute aucunement de la virginité de Marie, Luc n’y accorde pas grande importance. Pour lui, ce n’est pas l’acte de procréation, même miraculeux, qui fait la gloire de la mère du Christ. C’est son rôle de conseillère et de guide, non de vestale. « Elle conservait avec soin toutes ces choses en les méditant en son cœur. »
Or ces « choses » sont des doutes, des questionnements que s’interdisent les docteurs du dogme. C’est avec un audacieux commentaire sur les écrits de Luc, un faux que Villon rédigera de sa plume, que la Confrérie entend aiguillonner ceux qui, en Angleterre, à Prague ou dans le Palatinat, tentent de réformer l’Église. (p. 254-255)
Comment François va-t-il se sortir de tous les traquenards qu’on lui tend ? Vous le découvrirez en lisant ce roman d’aventures et d’idées parfois tiré par les cheveux. L’amour excessif de l’auteur pour les retournements de situations et les trahisons multiples lassent un peu tant il se laisse emporter, mais c’est plutôt sympathique. La quatrième de couverture est bien entendu excessive : nous ne sommes ni dans Fanfan la Tulipe ni dans Don Quichotte ni dans Le Nom de la Rose ! Pourtant le roman de Raphaël Jerusalmy se laisse lire avec plaisir tant il recèle fraîcheur et jubilation.
Raphaël Jerusalmy
Actes Sud, août 2013, 320 p., 21 €
ISBN : 978-2-330-02261-7