Le silence de mon père, enquête journalistique et filiale

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lesilencedemonpereLe silence de mon père est une quête du père à travers souvenirs et éléments troublants qui mènent l’auteur de quête à enquête. Il est vrai que nous ne connaissons de nos parents que le reflet laissé par notre enfance, que par les échos et souvenirs qu’ils ont bien voulu laisser franchir le mur du passé.

La journaliste d’investigation Doan Bui a mis longtemps avant de se plonger dans le passé de son père, médecin taiseux si différent de sa femme exubérante. Les parents d’origine vietnamienne semblaient s’opposer sur tant de points : le père n’avait jamais pu se départir de son fort accent vietnamien alors que sa femme avait fait ses études dans une école française et parlait le français sans accent. Leurs cinq enfants les rapprochaient, et leur volonté farouche de réussite scolaire ; la religion de l’école comme instrument d’insertion sociale.

Ces racines semblaient très encombrantes à la jeune génération :

Mes cousins et cousines, du côté maternel, étaient comme nous, des « bananes ».

Ce qui signifie jaune à l’extérieur, blanc à l’intérieur…

Cette enfance entre rites et traditions, volonté d’être français et refus du vietnamien, fascination de la société de consommation et rejet de la nourriture du pays d’origine, que devient-elle au moment du passage de flambeau ? Le père français « de souche » des enfants de Doan Bui doit sans doute être plein d’amour pour sa compagne qui opère un virage à 180 degrés au moment de la maternité. Doan a tout à coup peur que ses filles ne soient pas assez asiatiques, elle leur donne des prénoms vietnamiens et vit désormais dans le quartier chinois de Paris. Cela s’appelle un retour aux sources.

Au moment où Doan devient mère, son père, plongé désormais dans une aphasie après un AVC, ne peut plus communiquer. D’où le besoin si fort de comprendre, de créer du lien.

Il y a beaucoup de richesses dans ce roman qui aurait pu devenir une fabuleuse quête initiatique. L’exil des parents loin de leur pays natal, leur volonté d’intégration, leur nostalgie. Leur difficulté aussi, surtout pour le père, de comprendre ces petits étrangers qui refusent de parler sa langue. La volonté des enfants de s’intégrer, la simplification troublante de l’expression des liens de parenté conduisant les quatre filles de la famille à adopter le même nom et prénom, alors qu’au Vietnam un enfant porte d’abord le nom de son père signant l’appartenance à un clan, puis celui de sa mère, et enfin son prénom. La simplification amène les filles à devenir Bui numéro un, deux, trois, quatre… La sensation de ne pas être à sa place, l’impression d’imposture, tant d’enfants d’immigrés ou d’enfants adoptés les ont vécues et les vivront encore.

C’est un livre souvent drôle, parfois émouvant, à sauts et à gambades, picorant dans les souvenirs d’enfance et la culture vietnamienne avec beaucoup de brio et de pittoresque. C’est là où la profession de l’auteur devient à la fois un avantage et un inconvénient. La journaliste écrit très bien et elle sait ne jamais lasser son auditoire. Cela ne va pas sans une certaine superficialité, car elle aborde trop de sujets et n’a pas su choisir : difficulté à se fondre dans un pays ? description d’un milieu familial coloré, étranger à la culture française ? enquête sur le passé du père ? enquête sur le passé de sa famille ?

Il y a de tout cela à la fois et cela laisse sur sa faim dans ce livre qui aurait mérité à mon avis d’être partagé en plusieurs développements indépendants. Quant aux secrets de famille, ils se ressemblent souvent, ceux des familles qui ont connu la guerre aussi, ce n’est pas ce qui fait l’originalité du livre même si c’est utilisé pour appâter le chaland.

Je

Dire « je ».

Un truc de Français, dirait-on chez nous.

Le pronom personnel m’embarrasse. Je voudrais barrer ce « je » impudique qui me définit pourtant, moi, la fille de mon père. (p. 63)

Ce « je » obsessionnel des souvenirs familiaux et des notations très personnelles sur sa vie privée se mélange à l’enquête journalistique ; ce « je » impudique et parfois bavard permet  de créer un pont avec sa famille pleine de silences. Ce témoignage brillant et accrocheur, bavard et impudique d’une intégration plaira à toute personne à la recherche de ses racines.

Le silence de mon père
Doan Bui
L’Iconoclaste, mars 2016, 256 p., 19 €
ISBN : 979-10-95438-10-6

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