Déjeuner en paix

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alepSept heures du matin, café, radio, Alep est tombée. Tiens, il n’y a bientôt plus de café, il faut le rajouter sur la liste de course. Zut, les aide-maternelles vont faire grève, pourvu que ça ne touche pas l’école du petit.

Les bombes ne tombent plus sur Alep. Témoignages de massacres.

Des horreurs, partout, c’est malheureux, on ne peut pas vivre en paix ? C’est bientôt Noël ! Le foie gras est hors de prix cette année, je me demande si je ne vais pas faire une autre entrée, mes beaux-parents vont faire la grimace, mais enfin…

« Le silence assourdissant », l’impuissance des grandes puissances. Rien de nouveau, tout le monde s’indigne, mais personne ne fait rien. Au fait, qui va chercher Léo à l’école, ce matin ? Encore de la pollution ! Ils le font exprès ! Déjà que Camille est tout le temps enrhumée, il ne faudrait pas que ça vire en asthme, on ne parle que de ça avec les collègues. Avec les cadeaux de Noël, bien sûr, et les gamins exigeants. La pollution nous fait peur. Il faudra qu’on prévoie d’aller à la montagne, il paraît que la vallée de Chamonix est aussi polluée, où va le monde !

Alep… Penser à racheter du gel douche, on voit bien que Camille a douze ans, elle en utilise des quantités incroyables, et impossible de lui dire quoi que ce soit. La guerre, ils ne parlent que de ça à la radio, ils ne pourraient pas changer de disque ? Ils croient que ça nous aide ? Que ça aide les gens, là-bas, en Syrie, alors qu’ils croulent sous les bombes ?

C’est vrai. Le vacarme des bombes s’est tu. Alors je voudrais déjeuner en paix.

Note de l’auteur :  Jamais je ne fais de billet d’actualité. Ce n’est pas indifférence de ma part, mais lucidité. Quelle importance peut bien avoir mon avis ? Pour le café du Commerce, les Brèves de Comptoir me suffisent. Je ne parle d’un événement que lorsque je peux le mettre en perspective, pas pour mettre ma belle âme ou mes beaux sentiments en sautoir.

Après la guerreCependant à travers mes textes on devine mes préoccupations. J’ai écrit le recueil de nouvelles Après la guerre parce que le bruit des bombes se rapprochaient, que ce qui se passait en Syrie, au Yémen, en Afghanistan ou en Afrique Centrale, dans le Caucase ou à l’est de l’Europe ne pouvait faire oublier ce qui n’appartient pas au registre des reliques. Je me suis expliquée ailleurs sur les raisons de ce recueil.

Ah non alors ! Je ne vais pas lire ce livre, c’est triste, m’a écrit un lecteur pourtant assidu. Comme si la littérature devait seulement distraire. Agiter les clochettes du Père Noël ou du fou du roi, former un cocon protecteur et éloigner les gens sensibles de toute forme douloureuse de réalité. Ce recueil était tiré d’expériences vécues durant la seconde guerre mondiale, mais la réalité humaine, elle, est intemporelle. J’avais calculé son prix le plus bas possible pour toucher le maximum de gens. Erreur, on veut seulement déjeuner en paix.

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3 réflexions sur « Déjeuner en paix »

  1. Eric

    Je trouve la tournure de votre propos en profonde résonance avec les paroles de la chanson de Stéphan Eicher

    Cela interpelle sur les limites de notre humanisme. C’est loin Alep, nous n’entendons pas les bombes, les cris, le vacarme. Nous ne voyons pas les rues dévastés, les yeux atterrés des êtres humains, leurs actions pour survivre face à l’horreur. Nous ne ressentons pas la peur de mourir, les tremblements intérieurs face aux choses que l’on pourrait nous faire, les douleurs des souffrances infligées par la folie meurtrière des hommes

    C’est loin Alep…

    Je suis dans un confort démocratique, soucieux de mes propres problèmes, au mieux égoïste compassionnel

    Dans ce chaos, des êtres sont en lutte pour sauver ce qui peut l’être, c’est peut être ce qui donnent encore espoir en l’homme…

    Je n’entendrai plus de la même façon les paroles de cette chanson

  2. Edmée De Xhavée

    Je sais… moi je ne parle pas de « ça » non plus parce que comme toi je me sens impuissante et surtout trop mal informée. On ne sait que trop bien que les nouvelles n’ont pas la même couleur suivant où on les donne et qui les écoute. Et aussi, finalement, où que soient les « bons et les mauvais », leurs femmes et leurs enfants souffrent en femmes et enfants qui n’ont voulu que la paix… la vie… une existence.

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