Le premier week-end de décembre, le musée d’Orsay fêtait ses trente ans. Des festivités diverses, très originales, ponctuaient l’événement dont le but avoué de certains participants était d’attirer au musée un public qui n’y venait jamais.
La gratuité et la publicité faites autour de ce grand moment ont-elles suffi à attirer de nouveaux visiteurs ? Pas sûr…
Le samedi, en famille, nous décidons d’aller admirer les diverses trouvailles et de participer à cette fête populaire. Il faisait très beau et très froid, les routes sur berge rendues aux piétons de Paris charriaient des flots d’amoureux et de familles tranquilles.
Un jeune couple attira mon regard par l’harmonie qui se dégageait de leur échange. Illuminés par le soleil de cet après-midi d’hiver, quelques ombres dures sur le manteau rejeté en arrière de la jeune fille, et puis cette rose rouge fichée dans le sac, les feuilles mortes dorées répondant au manteau, symphonie de couleurs d’automne réveillées par le rouge de la valise du jeune homme, ils devisaient avec tendresse, dans leur bulle.
Aux abords du musée d’Orsay régnait un bruissement continu : la file s’étirait, s’étirait, la foule des jours où on piétine pour apercevoir un pan de tableau de l’exposition qu’il faut absolument avoir vu, où un gardien ressemblant à un vigile de boîte de nuit contrôle les flux et chronomètre les vingt minutes prévues pour rester dans la salle. Admiration chronométrée, calibrée.
Là c’était différent, semble-t-il, une foule en liesse heureuse de profiter de ce temps différent, de ces activités si contraires au sérieux attendu d’un musée. Différent, vraiment ? Combien y avait-il d’habitants de la région parisienne, ceux qui ne viennent jamais au musée ? On parlait italien, anglais, allemand, russe, japonais, chinois dans la foule, mais où se trouvaient ces jeunes attendus, ces familles un peu intimidées de franchir le pas ?
Il faisait très froid, nous sommes allés boire un chocolat chaud. Orsay or not Orsay ? Les belles dames en crinoline Second Empire qui ont traversé le café pour rejoindre le musée nous ont décidés. La queue était devenue raisonnable, nous nous joignons à la foule. Touristes excités, Parisiens chics : un papa dit à ses filles qu’ils peuvent revenir le lendemain, il fait froid et ils habitent juste à côté, elles sont sûres de vouloir rester, ils peuvent revenir le lendemain ? Nous sommes loin de la banlieue visée par les idéalistes…
Bientôt la musique retentit, tonitruante, ronflante, entraînante, et la foule se masse le long du parcours des couples. Impossible très vite de voir quoi que ce soit, les gardiens aboient pour faire descendre les badauds qui prennent les bancs pour des escabeaux, on se perd, on se retrouve, « t’es où ? » , on se perd de nouveau dans le flot.
Crinolines et habits pour les messieurs, sourires ravis d’être l’objet de toutes les attentions. La danseuse en robe dorée m’a fascinée, l’éclat, la lumière, les plis savants, la grâce en écho des trois grâces de marbre. Elle avançait, seule, en direction du bal. Jeunes filles admiratives, on ne se débarrasse pas si facilement des contes de fées. Dans une salle à l’écart de la foule, une famille baguenaudait, ne sachant que faire devant les machines électroniques destinées à lui expliquer les œuvres. Et immédiatement me revint la visite du Louvre dans l’Assommoir de Zola, lorsque la noce se rend au Louvre après le mariage de Gervaise et de Coupaut :
Et, lentement, les couples avançaient, le menton levé, les paupières battantes, entre les colosses de pierre, les dieux de marbre noir muets dans leur raideur hiératique, les bêtes monstrueuses, moitié chattes et moitié femmes, avec des figures mortes, le nez aminci, les lèvres gonflées. Il trouvaient tout ça très vilain. […] Alors, sans s’arrêter, les yeux emplis de l’or des cadres, il suivirent l’enfilade des petits salons, regardant passer les images, trop nombreuses pour être bien vues. Il aurait fallu une heure devant chacune, si l’on avait voulu comprendre. Que de tableaux, sacredié ! ça ne finissait pas.
La culture est toujours difficile d’accès, une fête magnifique ne changera rien ; mais si elle laisse un bon souvenir à ceux qui auront malgré tout franchi le pas, c’est déjà une victoire.