Black coffee, avec trop de crème

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black-coffeeVoilà un roman policier qui cumule le meilleur et le pire de ce que l’on peut écrire.

Le long de la mythique route 66, un assassin psychopathe sème les morts comme des cailloux durant des décennies. Impossible à découvrir : pas de témoin, l’immensité américaine pour compagne. Pas de témoin ? Un enfant de huit ans, Desmond, a échappé au massacre de sa famille, il deviendra criminologue, bien sûr.

L’assassin vieillit, vit l’intense frustration de qui a créé une œuvre d’art non reconnue ; il choisit un Français qui a fui sa famille lors de vacances américaines pour écrire son histoire. Ce mauvais père, mauvais mari ayant laissé sa femme dans une situation morale et financière inextricable sent qu’il tient un filon et décide d’expédier le cahier à sa femme. Les confessions d’un serial killer valent de l’or.

La femme décide de retrouver la piste de son mari à l’aide du cahier, la piste du mari est celle du tueur qu’elle va forcément croiser le long de la route 66, sans compter l’ex-enfant témoin du massacre qui l’a déjà sauvée lors de sa première tentative pour retrouver son mari. Vous suivez ?

C’est là que le pire et le meilleur se cumulent, s’entremêlent, se tricotent dans un roman sanglant à l’eau de rose, roman touristique à l’atmosphère glauque et familiale.

Perplexité.

La construction est complexe : diverses couches de narration, comme un mille-feuille où s’entremêlent les récits. Pierre Lombard a abandonné sa femme Lola et ses deux enfants Annette et Gaston le long de la route 66 puis a disparu, Lola le recherche trois ans plus tard sur cette fameuse route. Lola Lombard écrit un blog où elle transcrit des extraits du cahier du psychopathe illustrés par les photos de sa fille Annette. On aura compris que la quadragénaire suit la route 66 de manière originale, en visitant les petites villes perdues où ont eu lieu les crimes décrits dans le cahier, accompagnée d’une adolescente et d’un petit garçon. Je ne sais pas si l’auteur a des enfants et ce qu’elle penserait du sens de la responsabilité d’une mère douée d’un tel à-propos. Desmond Blur cherche l’assassin de sa mère, de sa sœur et de sa tante, il a rompu tous les ponts avec son père Benjamin, représentant en porcelaine. Tous les endroits où ont eu lieu les meurtres correspondaient aux haltes du représentant. À la recherche du père de Gaston correspond la recherche de Desmond, qui comprend le sien bien trop tard.

Nous n’avons donc pas affaire à un classique roman policier, mais à la volonté d’écrire une œuvre. Beaucoup d’éléments se répondent en échos : la mère de Desmond aurait voulu peindre et son mari l’en a empêchée, après sa mort celui-ci vivra avec une femme peintre. Pierre Lombard peint des tableaux qui sont autant d’indices pour mener à l’assassin.

L’histoire se lit d’une traite, irritante et passionnante.

Irritante ? Hélas, oui. Cela commence dès les premières lignes du roman :

Courbées sur la route, les branches de genévrier offraient leurs aiguilles bleutées aux rayons du soleil avec pudeur.

Aie… Erreur, sans doute, l’auteur a oublié de gommer toutes les fioritures. Hélas non :

Une lune insolente , un silence de rancune, la maison aguichait la falaise.

Raah !

Plus incongru, sinon de mauvais goût lorsqu’on se souvient que cela concerne une femme dont le compagnon, en train de mourir dans d’atroces souffrances, vient de se suicider, ce vent malicieux qui aurait mieux fait de s’abstenir de souffler.

Le jour se levait, craintif, soulignant l’horizon d’une couleur pêche.

Cette langueur toute féminine la rendait émouvante comme peut l’être l’imminence du soleil couchant.

Le mille-feuille déborde de crème, les abus de boursouflures dans ce récit par ailleurs admirablement mené suppriment la tension, provoquent (en tout cas chez moi) des crises de fou-rire fort mal venues.

Dommage !

Je conseille la lecture de Black coffee à toute personne qui ne s’intéressent qu’aux péripéties, aux amateurs de romans policiers, de l’Amérique profonde et des romans de Mary Higgins Clark. Pour les autres, ceux que les malheurs de l’héroïne courageuse et néanmoins sexy qui va trouver le prince charmant si longtemps différé laissent froids, passez votre chemin.

Black coffee
Sophie Loubière
Fleuve Noir, février 2013, 564 p., 20,90 €
ISBN : 978-2-265-09407-9

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