Que dire devant une telle démonstration de vitalité, de fraîcheur et de créativité chez un vieux monsieur de 97 ans ?
Le psychanalyste, peintre et romancier Henry Bauchau nous a livré avec Déluge tout autre chose qu’un testament : une leçon d’espoir.
Le roman nous parle de création et d’individus cabossés, d’amour et d’amitié.
Le peintre Florian, personnalité borderline et fragile, possède une nette tendance à brûler ses tableaux. Il rencontre Florence, une jeune femme atteinte d’un cancer qui se pense condamnée et un docker qui a fait de la prison, le jeune Simon. Le professeur Hellé règne au-dessus de ce petit monde en figure tutélaire : elle protège Florian depuis des années, elle passe le flambeau à Florence.
Florence et Simon vont aider Florian à accomplir le Déluge, une immense toile où l’arche de Noé prend des allures singulièrement contemporaine : ville grouillante, métal noir, horizons barrés par un futur apocalyptique. Les deux jeunes gens travaillent sur la toile, participent à la fois à la rédemption du peintre à bout de course et à la leur. Les deux jeunes gens vont nouer une histoire d’amour, cadeau du peintre qui ne peut dire son déchirement autrement qu’en peignant une Eve sensuelle et contradictoire.
Ce roman décrit une œuvre en train de se créer, une œuvre où chaque portion du tableau est une victoire pour l’un ou l’autre des protagonistes, une œuvre fascinante sur le processus de création, ses difficultés, ses déchirements, ses petites victoires et ses découvertes. Un tableau doit donner à entendre autant qu’à voir, dit Florian. Un tableau doit être inscrit dans un processus de vie, et celui-ci inclut la mort, la maladie, le désespoir.
On suit la progression du tableau comme si on se trouvait sur les échafaudages, amateur de peinture ou non une tension nous envahit, ce monde qui progresse et qui va être noyé c’est le nôtre, c’est notre vie qui avance et que rien ne pourra protéger de l’ensevelissement final.
« Voilà que soudain je suis tombée dans mon corps comme on dégringole dans un trou, qu’on tombe à la renverse dans une passion déchirante ou un très grand amour. Ma pensée est seule à me soutenir encore. Le présent file, file et l’avenir n’existe presque plus. C’est ça la vérité, je dois bien le reconnaître. »
La fin du roman ne se trouve pas sous le signe de la mort, même si Hellé et Florian vont mourir. Un adolescent continuera l’œuvre, mais sous une forme musicale, cette fois, comme si l’art sous toutes ses formes était la seule réponse possible à la mort.
« Une petite lumière règne dans l’arche. Elle permet de vivre mais on ne sait pas d’où elle vient. Chacun a ralenti son rythme de vie pour le déluge, sauf Florian, Simon et moi. Tous dorment, à ce moment. L’esprit de Noé, au milieu des nuées et, dans l’étendue infinie de la mer, attend le retour du Seigneur. Il s’assied dans un coin, il n’écoute plus ce qui se passe au-dehors. La mer porte l’arche. L’arche contient Noé, son clan et les animaux de la terre. Et Noé, que contient-il ? C’est cela qui interroge Noé et qu’il écoute. Il entend peut-être une voix qui lui dit : Tout n’est pas en dehors mais en toi. »