À Horndal, en Suède, Djeneta (à droite) est clouée dans son lit depuis deux ans et demi tandis que sa sœur Ibadeta l’est depuis six mois.
Elles sont endormies, mais ce ne sont pas des enfants comme les autres : ni le soleil, ni le bruit, ni la faim ne les dérangeront. Elles ne se réveilleront pas pour prendre leur petit déjeuner et aller à l’école, elles ne se chamailleront avec personne.
Cette maladie qui atteint Djeneta et Ibadeta touche indifféremment garçons et filles, entre huit et quinze ans. Ils sont atteints d’une maladie un peu mystérieuse qu’on appelle le syndrome de résignation et ils peuvent rester pendant des années dans cet état végétatif, incapables de répondre au moindre stimulus. Ils sont comme des lampes qui se sont éteintes, faute de courant. Ils semblent dormir, pourtant il semblerait qu’ils sont conscients.
Les enfants commencent par manifester des signes de dépression et s’isolent de plus en plus. Ils ne jouent plus. Ne parlent plus. Puis ils se couchent et ferment les connexions avec l’extérieur.
Ils restent désormais immobiles, sans tonus musculaire, on dirait qu’ils sont dans le coma, mais ce n’est pas le cas, et ils ne dorment pas non plus vraiment, parce que les dormeurs se réveillent un jour. Ils ont renoncé à la vie. Et ce renoncement peut durer des mois, sinon des années, comme dans le cas de Djeneta. Comme ils ne se réveillent pas, ils sont perfusés par sonde nasogastrique.
Cet étrange phénomène se passe en Suède où plusieurs centaines d’enfants sont touchés, tous enfants de réfugiés. Il survient souvent après l’annonce du troisième et dernier rejet de la demande d’asile de la famille.
Le temps d’examen d’une demande d’asile peut durer des années en Suède, et les petits ont le temps de s’intégrer, d’apprendre le suédois, de se recréer des racines, eux qui ont vécu de multiples tragédies. Et puis arrive un courrier, souvent ce sont eux qui le lisent et traduisent à leurs parents la notification d’expulsion du pays. Il n’y a plus d’espoir. Qu’ils soient originaires d’anciens pays soviétiques, des Balkans, de Syrie, qu’ils soient Yézidis ou Ouïgours, ils savent qu’ils vont devoir quitter ce havre de paix qu’est la Suède. Retrouver la peur.
Peut-être certains souvenirs remontent-ils à la conscience ? C’est insupportable pour des centaines d’enfants qui finissent par se réfugier dans leur lit et dormir, dormir, mais cela n’a rien d’un conte de fées.
La Suède s’est montrée très accueillante pour les réfugiés, mais elle a été débordée par son succès (165 000 demande d’asile rien qu’en 2015), et elle a dû réviser sa politique migratoire. D’où des procédures extrêmement longues conduisant à ce phénomène incompréhensible : des centaines d’enfants plongés dans une léthargie dont ils ne sortent pas.
Le désespoir après tant d’années passées à espérer, à suivre les rêves de leurs parents.
Les enfants reviennent à la vie des semaines après avoir entendu et compris que leur famille vient d’obtenir une autorisation de séjour. Courrier international cite le cas d’une jeune fille qui s’est réveillée et a pu reprendre, malgré le retard, une excellente scolarité.
Elle se sentait comme dans un rêve dont elle ne voulait pas se réveiller.
De son côté Georgi dit que
son corps a commencé à se liquéfier, que ses membres sont devenus mous et poreux. Il voulait simplement fermer les yeux. Même avaler sa salive lui demandait un effort qu’il n’était pas sûr de pouvoir faire. Il a senti une pression importante à l’intérieur de sa tête et de ses oreilles. Le matin, il a refusé de sortir de son lit et de se nourrir.
Ne pas se réveiller. Oublier le monde et sa violence, le monde et ses déceptions.
Les médecins cherchent des explications au fait que, depuis vingt ans, des enfants s’isolent du monde en une mort symbolique, un épuisement de leurs ressources vitales.
Aucune explication plausible n’a été trouvée, et les Suédois qui ont une tradition d’accueil des migrants ne se sentent pas très bien vis à vis de cet « Uppgivenhetssyndrom », ce syndrome de résignation. Après un accueil très encourageant (obtention d’un permis de séjour et d’un logement), les demandes d’asile traînent en longueur. Lorsque survient le refus et la signification de l’expulsion de la famille, certains enfants déjà traumatisés dans leur pays de naissance sont anéantis. Et choisissent une mort symbolique n’ayant rien avoir avec la Belle au bois dormant.
Source principale : Courrier international n° 1596
Étrange phénomène de survivre sans vivre.
De suicide sans mourir.
Quand la vie devient invivable, pourquoi ne pas l’interrompre… comme un signe d’espérance qu’un meilleur pourra advenir…
comme un signe aussi de nos incapacités humaines…
Comme ton commentaire est sensible, tellement empathique envers ces enfants qui ont déjà vécu tellement d’horreurs et qui baissent les bras quand ils pensent qu’il n’y a plus d’espoir!
Merci pour eux, Alain.