Le bal de Diane Peylin, jaillissement de couleurs et de sensations

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L’écriture de Diane Peylin, c’est une plongée dans les vibrations, l’expression douloureuse et sensuelle à la fois de ces mots qui signent notre façon d’être au monde.

Chaque roman de l’autrice aborde des rivages différents, et pourtant on reconnaît aussitôt son écriture, à la fois solaire et poétique.

Dans Le Bal, une famille se retrouve dans la maison de famille. Robin vient d’apprendre qu’il est guéri de son cancer et rentre chez lui retrouver sa mère, Rosa, sa femme et sa fille. Robin veut retrouver la vie, après un an de peur et de souffrance.

Sa mère, Rosa, photographe connue, souvent absente lors de l’enfance de ses garçons, règne désormais sur la petite tribu. C’est la mère nourricière, les pieds ancrés dans la terre.

Plus de quarante ans qu’elle cultive ce carré de verdure. Elle vient ici tous les jours. Tôt le matin et tard le soir. Elle vient pour les fruits et légumes, pour les libérer des parasites, les abreuver, les tailler, les cueillir, mais elle vient surtout pour elle. Pour son corps comme pour son âme. Besoin de respirer le compost, de toucher la paille, de piétiner la boue, de couper, semer. Besoin de ce dehors pour remplir le dedans. De cette lumière évanescente. Orange, aérienne, rose, blanche, épaisse, éblouissante, trouble, féerique. Indescriptible, cette sensation d’éternité déclenchée par ces instantanés aux reflets changeants.

Robin est fragile. Le petit garçon dominé par la personnalité fantasque de son père, le Grand Alexandre, n’a pas disparu, il a seulement perdu la magie :

Mais, quand un petit garçon prend de l’âge, son espoir s’essouffle. Ses poumons rétrécissent et ne peuvent plus contenir autant de merveilleux qu’avant. L’espace se restreint et ne s’embarrasse plus du superflu. Et la magie disparaît comme l’espérance.

Suzanne, sa femme, ne va pas tellement mieux. Il est si difficile d’oublier la mort d’un enfant, de le laisser partir, devenir un rêve qui n’est plus menaçant. Jeanne avait une sœur jumelle morte à la naissance, et tous les non-dits, non résolus de ses parents, pèsent sur sa vie qui ne fait que commencer.

Mais il y a le paysage magnifique, la chaleur lourde, la sensualité qui sourd de chaque être vivant, de chaque caillou trop chaud pour le pied :

Renverser l’arrosoir plein d’eau. Plus vite. Passer le portail. Plus vite. Rencontrer le chemin, les cailloux sous les pieds nus, ne pas avoir mal, relever le menton, rire en regardant les micocouliers, s’éloigner de la maison, aller plus loin, tout prendre, avaler, gober. Là, le parfum du jasmin. Là, une couleuvre. Là, des papillons sur les ronces. Plus vite. Deux libellules, un nuage de moucherons, la rivière devant.

L’été avance pendant que les êtres prennent de la force, expriment leur malaise, résolvent leurs tensions. Tout cela en musique et en images, rythmé par les chansons qui parsèment le texte, les poèmes de Boris Vian tirés de Je voudrais pas crever, et les instantanés. Photos fantasmées ou réelles de moments de vie. Rosa, relayée par Jeanne sa petite-fille, capture la vie qui est mêlée à celle qui aurait dû être, et la progression de ces clichés mêlant êtres vivants et fantômes des morts reflète celle des personnages.

Diane Peylin a réussi un roman intimiste, sensuel et lumineux qui doit se lire par petites touches, comme des caresses de soleil et des pluies d’orage.

Le Bal
Diane Peylin
Éditions Héloïse d’Ormesson, avril 2021, 192 p., 18€
ISBN : 978-2-35087-763-1

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