Étant donné les abeilles, superbe roman noir

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André Jacobin, négociant en bois, est retrouvé assassiné dans le château d’eau d’un village haut perché des Chambaran. Le bonhomme y a été tué d’une sale façon.

La sophistication surréaliste de sa mise à mort rend perplexe la commissaire Pénélope Marge. Doit-elle chercher le coupable parmi les habitants du village ou ailleurs, sur les traces ténues d’un fantôme qui s’éclipse ?

Des œuvres qui exhibent et normalisent le viol des femmes, la mémoire que l’on veut perdre, celle que l’on veut retrouver, une quête douloureuse vers la croyance et enfin, une vengeance folle…

Voilà de quoi l’histoire tire sa substance… Voici la trame sur laquelle Pénélope tisse son enquête.

Voici enfin le polar féminin que j’attendais, avec une enquêtrice en pleine montée de lait, des collègues et des suspects troublés par cette évidente féminité, libidineux et déstabilisés ! Avant de vous plonger dans l’intrigue, n’oubliez pas de lire la liste des personnages. Vous constaterez que nombre d’entre eux évoquent des références historiques, littéraires, géographiques, culturelles en un mot. Les autres, par euphonie, suggèrent leur fonction dans le roman par associations d’idées.

Pénélope Marge née Clovis, la pugnace et sensible commissaire de cette macabre Odyssée tire les fils et défait les évidences avec une attention toute féminine. Elle est commissaire, ce qui n’est pas courant, et justifie son nom de Marge.  Le nom de la victime, Jacobin,  évoque non seulement un révolutionnaire, mais quelqu’un qui concentre des pouvoirs. L’un des personnages centraux de cette histoire, la bouleversante Abi est costumière Elle fabrique des habits pour le théâtre avec une préférence marquée pour les personnages tragiques. Abi est la contraction d’Abelha qui signifie abeille.

Le titre quant à lui reprend une partie du titre d’une œuvre de Marcel Duchamp, Étant donné, œuvre qui aura une importance centrale dans le crime commis.

Vous l’aurez compris, l’auteure tisse son histoire avec autant de talent que son enquêtrice en met à la démêler. Et le hasard factice, les effets faciles, les personnages falots n’ont rien à faire dans ce texte profondément original qui tient le lecteur en haleine jusqu’au bout.

Bien sûr, comme dans tout bon polar qui se respecte, nous avons un crime horrible, étrange et sophistiqué. L’enquête s’annonce difficile et palpitante, pas de temps mort (si j’ose m’exprimer ainsi), pas de ficelle évidente, mais de la subtilité et des découvertes liées au monde de l’art. Les corps féminins exposés, manipulés, chosifiés par les artistes les plus célébrés sous couvert de création, font écho à celui des femmes, malmené depuis toujours. Malgré tout ce polar devrait faire du bien aux femmes. En dépit du sombre propos – douleur, vengeance, machisme ambiant – il reste une lumière : les femmes s’entraident, qu’elles soient policières, artistes ou religieuses. Elles relèvent la tête. Il n’y a pas de fin heureuse dans ce roman de Pascale Expilly, mais une humanité douloureuse et pleine de sensibilité.

Si vous désirez faire plaisir à un(e) ami(e) grâce à un texte soigné, parfaitement revu et corrigé, doté d’une couverture superbe c’est celui-là. Si vous n’avez qu’un roman noir à offrir à toute personne qui refuse l’exploitation féminine, c’est celui-là. Si vous désirez simplement découvrir une excellente autrice et une intrigue subtile où vous apprendrez mine de rien beaucoup de choses, Étant donné les abeilles est fait pour vous. Si vous désirez, en plus, soutenir une petite maison d’édition associative qui fait un travail remarquable, n’hésitez plus.

Étant donné les abeilles
Pascale Expilly
Astre Bleu Éditions, septembre 2023, 300 p., 20 €
ISBN : 978-2-49002-135-2

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