Confinement ou pas, et quand ? Je vous conseille un magnifique antidote, chers amis lecteurs, une émission interactive créée à l’initiative de Frédérique Deghelt durant le premier confinement, quand les auteurs étaient désespérés parce que leur livre venait de paraître et qu’ils n’avaient aucune possibilité de faire leur promotion, et que les libraires étaient dans le même état parce que leur librairie était fermée. Une idée magnifique : pénétrer dans le bureau (une fois ce fut même dans la cuisine) ou la bibliothèque d’un auteur, et l’écouter parler des sources de son roman, de sa gestation, de sa façon d’écrire. Une vraie conversation, un immense plaisir.
Plusieurs soirs par semaine donc, à dix-neuf heures précises, je me trouve devant mon ordinateur. J’ai rendez-vous avec l’écrivain(e) invité(e) par l’écrivaine Frédérique Deghelt et la libraire Nathalie Couderc.
L’émission Un endroit où aller est un véritable régal pour les lecteurs qui ne se contentent pas des têtes de gondole à bandeau rouge. L’auteur reçoit les lecteurs chez lui, et le libraire dans sa librairie, la conversation dure presque une heure pendant laquelle les spectateurs peuvent poser des questions auxquelles l’auteur répondra. Une belle émission interactive, très professionnelle, et dont le succès augmente au fur et à mesure des semaines.
Ces rencontres en ligne interactives sont passionnantes, quelles découvertes ! Chaque fois de qualité puisque les libraires qui demandent à intervenir ont été passionnés par le livre et l’auteur qu’ils veulent nous faire découvrir. Il y a des auteurs très connus comme Marc Lévy depuis les États-Unis, ou Yasmina Khadra, et tout récemment Ariane Bois.
Mais je m’égare.
Il y a peu, Céline Debayle venait parler de son roman Baudelaire et Apollonie aux éditions Arléa sur la passion que Baudelaire a éprouvé pour Apollonie Sabatier. Ce qu’elle racontait était captivant, même si la dame était plus souriante sur la photo de couverture du roman que dans l’interview, malgré les sourire et les efforts du très beau jeune homme qui lui faisait face.
En féminisme virulente, elle expliqua qu’on avait traité Apollonie de « femme entretenue », qualificatif que l’on devrait donner aux femmes mariées, ce qui n’est jamais le cas.
Erreur, chère madame, je vais ici vous le démontrer.
Cela se passait il y a longtemps, au siècle passé, je vous l’accorde, et c’était à l’étranger, le canton de Vaud, en Suisse. Nous étions installés à Vevey où mon tout nouveau mari découvrait son premier vrai travail. Je venais de trouver un remplacement de trois semaines à l’école primaire de Vevey. Moment béni, moment magique d’échange avec des enfants qui n’avaient d’appétit que pour le savoir, et la « nouvelle maîtresse » était heureuse.
Jusqu’au moment où j’ai dû me rendre au secrétariat pour me faire régler mon dû. Une secrétaire d’une quarantaine d’années, après avoir vérifié mes diplômes d’un air soupçonneux m’a demandé :
— Vous êtes mariée ?
Elle avait devant elle mes papiers tout neufs, sans compter la copie du contrôle de l’habitant.
Je ne sais pas si c’est toujours le cas, mais il y a un peu plus de quarante ans tout était extrêmement contrôlé en Suisse, et il n’y avait pas grand-monde pour échapper au fichage de la police. La dite police était d’ailleurs venue sonner à la porte de notre appartement la première semaine de notre installation. Le policier s’était montré compréhensif devant mon air éberlué, et m’avait expliqué que je devais me faire enregistrer au contrôle de l’habitant. Découverte de l’Helvétie. J’étais si amoureuse de mon époux tout frais que j’aurais peut-être mis le voile, enfin je crois. Au bureau du contrôle de l’habitant, quand l’officier de police a écrit en face de profession : ménagère, j’ai hésité entre lui sauter à la gorge ou éclater d’un rire hystérique. Lâchement j’ai repris le papier qui me permettait de vivre au bord du lac sans ennuis.
Ménagère ! J’avais vingt-deux ans, je venais de terminer mes derniers examens, mais j’aurais échoué sur toute la ligne s’il y en avait eu un pour le diplôme de ménagère.
La secrétaire avait le papier entre les mains. Et la copie de mes diplômes. Et ma carte d’identité avec l’infâme ménagère.
— Votre mari travaille ?
Oui, il travaillait, même si son salaire était si léger que nous aurions pu nous envoler en montgolfière.
— Vous êtes donc une femme entretenue, vous toucherez 80 % du salaire.
— Pardon ?
Elle avait dit femme entretenue. Ce qu’elle vit dans mes yeux à ce moment-là lui plut beaucoup, j’en suis sûre. Elle partit dans une diatribe virulente :
— Pensez à toutes les femmes qui sont seules, vous n’avez pas la prétention d’être payée comme elles, tout de même !
La suite est confuse. Si je vous dis que je n’ai plus jamais eu de travail dans l’enseignement public à Vevey, vous comprendrez que ce fut mouvementé.
Nous avons très vite quitté le canton de Vaud pour celui de Genève, c’était ça ou le divorce ou la dépression. Lorsque je me suis rendue au département de l’Instruction publique genevois, j’ai aboyé à la secrétaire qui m’a reçue :
— Et je serai payée combien, par rapport à mes collègues masculins ?
Elle m’a regardé comme si j’étais folle.
C’est ainsi que je poursuivis ma découverte de l’Helvétie, où chaque canton gouverne et organise à sa guise la scolarité des élèves.
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