La guerre sans fard d’Olivier Norek

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Olivier Norek nous plonge dans la Guerre d’Hiver, les cent jours d’une guerre atroce dont nous ne savons rien. Parce que cela se passait en novembre 1939 pendant la « drôle de guerre » ? Parce que les Alliés, en particulier la France, se sont comportés d’une façon dont personne n’a eu envie de se souvenir ? La lâcheté fait tache dans les livres d’histoire.

La Finlande est un pays neutre depuis son indépendance en 1917, elle est dotée d’une armée mal équipée, mal armée, aux effectifs ridicules face à son puissant voisin. Voilà que Staline veut les terres de Finlande qui permettront à ses troupes de manœuvrer facilement dans la guerre. Il pense avaler la petite Finlande d’un battement de cil. L’auteur emploie une majuscule pour tout ce qui se rapporte à celui dont on n’ose prononcer le nom, celui à qui l’on s’adresse en tremblant, Lui le dieu cruel et tout puissant qui a des millions de morts à son actif. Ses représentants les commissaires du peuple ont tout pouvoir et les militaires ne contestent aucune de leurs décisions, aussi aberrantes soient-elles.

L’auteur raconte d’abord l’été de ces paysans heureux avant la grande boucherie de l’hiver, quand les appelés viendront défendre leur pays avec un héroïsme sans faille. En face d’eux, si peu nombreux, l’armée de l’Ogre russe, inépuisable réserve de chair à canon venue de toutes les républiques de l’Union.

Les Finlandais résistent, à la grande colère de Staline.

Olivier Norek nous raconte cette guerre à travers la vie de personnages qui ont existé, en particulier celui que les Russes surnommeront « la mort blanche », Simo Häyhä, le sniper le plus doué de l’armée finlandaise. Comment, de l’animal sauvage que l’on tue seulement pour le manger et jamais pour le plaisir, passe-t-on aux hommes que l’on a épiés jusqu’à les comprendre avant de les exécuter ? Les descriptions des mises à mort sont sans concession, le prix à payer pour devenir le tueur de centaines d’hommes est très lourd, l’équilibre mental de Simo vacille.

Olivier Norek réussit le tour de force de décrire la guerre et ses ravages sans complaisance pour l’horreur ou la violence, sans manichéisme et sans parti-pris non plus. Il nous attache à un petit groupe de soldats finlandais, subtile manière de nous rappeler leur humanité, malgré le fait qu’ils sont broyés par une guerre qui les dépasse, tous autant qu’ils sont. Il ne montre aucune haine pour les malheureux soldats venus de toutes les Républiques soviétiques, mal chaussés, mal vêtus, mal nourris, absolument pas prêts à affronter des températures polaires, tremblant devant leurs officiers qui redoutent le commissaire politique. Des victimes de l’Histoire des deux côtés.

Devant eux, de la glace, émergeaient des piques et des pointes, comme le fond tapissé d’un immense piège à ours. Viktor avança d’un pas méfiant, fusil dressé en avant, prêt à tirer, avança encore, jusqu’à comprendre. Ils marchèrent alors dans un silence respectueux, à travers ce cimetière de soldats russes, pris la veille dans l’eau gelée puis figés avant même de sombrer, et dont les bras, les canons et les fusils, les baïonnettes, les bâtons et les skis, le haut du corps parfois, hérissaient la surface du golfe comme des herbes folles de chair, de bois et de métal. Morts avec eux émergeaient aussi les têtes des chevaux, la crinière en une vague noire immobile scintillante de cristaux de neige, l’écume ivoire de leur dernier effort glacée aux commissures des lèvres. (p. 338)

La lutte est trop inégale, l’issue inévitable et amère. En lisant ce roman si humain et si politique à la fois, difficile de ne pas penser à ce qui se joue en ce moment en Ukraine. Même combat contre le terrible Goliath, même chair à canon, même résistance héroïque. Ne manque que l’hiver arctique si admirablement décrit par l’auteur.

Olivier Norek signe là un roman haletant comme un roman policier, avec ses courts chapitres qui maintiennent sans cesse la tension du récit, mais avec la réalité historique en plus, effarante. Cela nous donne un très beau texte, douloureux et inéluctable comme une tragédie grecque, que je ne peux que vous conseiller.

Les Guerriers de l’hiver
Olivier Norek
Michel Lafon, août 2024, 448 p., 21,95€
ISBN : 978-2-7499-4720-4

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