Cela se passait en avril à Braga, magnifique cité baroque du Portugal.
Nous avions quitté la vieille ville où nous logions pour aller visiter le Sanctuaire du bon Jésus du Mont, célèbre lieu de dévotion et de pèlerinage. Les quartiers modernes se succédaient et nous descendions une très longue rue en pente lorsque, au loin, quelque chose d’étrange a attiré mon regard, comme une danse, et bien vite je me rendis compte que c’était un homme qui marchait.
Tout en bas sur le trottoir, il avançait très vite, projetant une jambe, équilibrant avec un bras, puis l’autre, le tout avec une vigueur peu commune. Lorsque nous sommes passés devant lui, il montait toujours, face au soleil, baigné de lumière, avec sa démarche difficile, mais sa vivacité, mais son entrain. Il avançait très vite et je n’avais pu me rendre compte que d’une chose : il était jeune et plein de joie de vivre.
Nous avons visité le sanctuaire : colline grandiose et escarpée, jardins baroques, jardins romantiques, escalier interminable, église imposante, etc. Le soleil du matin n’avait été qu’une fugitive espérance, et les nuages étaient revenus.Nous avons photographié des jeunes filles en noir rieuses accompagnées d’une femme plus âgée à la cape bardée de badges. Nous avons été surpris par cette atmosphère étonnante des confréries (Braga est célèbre pour ses confréries) où tout le monde danse et fait de la musique.
J’ai oublié le jeune homme de la matinée.
Mais en fin d’après-midi, de retour dans le centre-ville de Braga, nous l’avons de nouveau croisé. Il était à dix mètres devant nous, de dos, mais si reconnaissable avec ses pauvres efforts pour se tenir droit. Combien de kilomètres avait-il parcourus à pieds, pour monter jusqu’à la ville ? Cinq ? Dix ? Il avait économisé le prix du ticket de bus. Il s’était écoulé presque une journée entière depuis le moment où nous l’avions croisé.
Il mendiait avec une sorte de timidité et les passants ne le regardaient pas. Gêne ? Indifférence ? Peur que leur regard renvoie le malheureux à son terrible handicap ?
— Donnons-lui quelque chose, murmurai-je à mon mari.
Je me sentais d’une incroyable lâcheté, incapable de m’approcher. Lorsque le mendiant a reçu l’obole dans sa main il s’est retourné et il a marché vers moi.
— Thank you, Thank you, m’a-t-il dit avec difficulté.
Il rayonnait d’une reconnaissance qui m’emplit de confusion. Je n’avais pas eu le temps de le remarquer dans la matinée, il était passé trop vite, mais il était d’une beauté stupéfiante : des traits réguliers, un teint hâlé, un sourire magnifique. J’ai oublié son corps martyrisé. Il émanait une telle lumière de sa personne, une telle bonté ! Nous avons échangé un regard, un sourire, et je ne sais lequel des deux disait le plus merci à l’autre.