L’homme de ma vie affectionne les utopies humanistes, les projets chimériques et les routes inconnues. Et il aime me faire des surprises.
Nous revenions de Guédelon, cette aventure qui a embarqué des passionnés dans la construction d’un château-fort selon les techniques de l’époque médiévale quand l’homme voit un panneau rouge très artisanal : La poèterie. Quel beau mot-valise ! Un mélange de poésie et de poterie, l’idéal pour sa femme. Ses yeux brillent dans le véhicule, et le jeu de piste commence. Un panneau ici, un autre là, et puis plus rien, c’est une impasse, le chemin n’aboutit qu’à des champs brûlés par la sécheresse. Retour au point de départ, nouveaux panneaux, nouveaux détours, enfin une large entrée avec le panneau récompense : la poèterie. Nous nous engageons.
Le lieu est désert. On dirait une usine abandonnée avec ses deux hautes tours de briques et son long bâtiment sans charme. Sur la droite un vieux wagon de chemin de fer, mais où sont les rails ?
En face du bâtiment, un bar et quelques tables. Sommaires, les tables. On dirait de la récupération d’une vieille école primaire. Nous appelons : personne. Derrière nous, une scène carrée recouverte de noir, les spectacles musicaux donnés ici doivent plus tenir de Noir Désir que du quintet pour flûte et hautbois.
C’est un lieu étrange et magique sous la lumière de midi, durant cet automne trop chaud. Dans la cour enherbée, un peuple étrange a pris possession du lieu industriel. Je me sens observée.
Des femmes gardent le lieu : des femmes immenses de fer rouillé ou scintillant sous le soleil, de bois flotté ou de racines de bois mort, peu importe. Ces gardiennes sévères ou lascives, aux formes squelettiques ou proéminentes veillent sur les œufs qui émergent du sol. Dans le silence doré de cette merveilleuse après-midi ces femmes sorties tout droit d’une bande dessinée prennent des poses aguicheuses ou menaçantes. Elles surveillent les intrus que nous sommes. Elles veillent sur les lieux, pendant que les œufs de métal incubent sous la chaleur de cet automne atypique. Quels monstres vont sortir de ces belles coquilles ? Et toujours le silence. Et toujours cette impression de solitude peuplée d’une vie inconnue. Ces œufs qui émergent du sol, mats ou brillants, cette couvaison singulière sous le soleil trop chaud, ce mélange d’éléments aussi détonants qu’une usine, un wagon, un bar, des sculptures géantes, c’est la rencontre surréaliste par excellence, l’alliance du parapluie et de la machine à coudre.
Comment décrire la quintessence de poésie que dégageait ce lieu qui ne nous attendait pas ?
L’inquiétante étrangeté de cette cheminée d’usine voisinant un oeuf-prison venu d’une autre galaxie me déstabilise un peu.
Dans un coin, un homme attablé devant un verre d’eau et une bouteille, rentre immédiatement à notre approche à l’intérieur de l’immense bâtiment. Pourquoi ?
Nous errons un moment entre les statues, nous nous imprégnons de cette atmosphère incongrue et magique.
Poésie et poterie. Et les femmes, et les œufs, et la scène noire.
Et le silence toujours.
Nous gênons.
Nous repartons, chaleur, ciel bleu, éclats de soleil sur le métal des œufs.
Poésie, poésie et moment de bonheur.
Merci à toi qui ne demande jamais son chemin de peur de ne pouvoir te perdre.
Merci Nicole pour vos partages au gré de vos ballades. C’est touchant ce désir de Bernard à vous faire des surprises.
Voici le site d’un artiste qui travaille et crée également des œuvres à partir de matériaux métalliques. Rencontre à Amboise où certaines de ses œuvres étaient exposées cette année. https://www.fredchabot.com/a-propos.
L’article sur le mendiant de Braga m’inspire un souvenir dans un hall de gare où un homme s’est avancé vers moi pour me demander une pièce. On m’avait dérobé peu avant de l’argent, il ne me restait plus que quelques pièces et je les ai données. Il m’a remercié avec insistance, me serrant chaleureusement la main et je compris la condition de sa précarité. Il m’arrive de pas donner, je pense que cela dépend de l’état d’esprit dans lequel je me trouve, toutefois cela me m’est mal alaise toute cette misère.
Cher Eric,
Vous avez raison, c’est touchant, et moi cela me bouleverse toujours autant cette façon que mon bien-aimé a de vouloir me rendre heureuse.
J’ai beaucoup aimé les créatures métalliques de Fred, si poétiques, si tendres.
Donner est difficile: c’est accepter à la fois la pauvreté et le dialogue, vous en avez fait l’expérience.Le dialogue n’est pas un problème, mais souvent on ne supporte pas la pauvreté et on fait semblant de ne pas la voir pour se protéger. L’être humain est contradictoire et fragile…