Les règles du jeu, photos de New York en noir et blanc

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Les Règles du jeuLa quatrième de couverture promettait « Un premier roman époustouflant », et un mélange de Francis Scott Fitzgerald et de Truman Capote ; une page ouverte par hasard, une phrase dont la mélancolie poignante s’est mise à distiller sa musique et je suis revenue avec le livre de cet auteur inconnu, – Amor Towles –, et son titre qui ne me plaisait pas, – les règles du jeu –.

La préface (mais ce n’est pas une préface au sens où nous l’entendons, plutôt un prologue) retarde l’histoire, comme un flash-back un peu convenu : une femme d’âge mûr à la réussite sociale évidente, assiste avec son mari et quelques « happy few » au vernissage d’une exposition du photographe Walter Evans au Museum of Modern Art de New York. Elle reconnaît sur deux photos de l’artiste Tinker Grey, un homme qu’elle a bien connu dans sa jeunesse.

Commence alors ce retour en arrière en quatre saisons, la première étant l’hiver, chaque saison étant illustrée par une photo d’anonymes figurant au musée.

L’histoire est on ne peut plus classique, pour ne pas dire banale. Dans le New York des années trente, le tout début de l’année 1938 plus exactement, un trio amoureux se forme et se déforme.

Au centre le nouveau Gatsby le magnifique ; il est beau, riche, et rencontre deux amies qui vont se le disputer : d’un côté Eve, venue de l’Indiana, de l’autre Kathey, fille d’immigrés russes.

Unité de temps : l’histoire commence dans un club de jazz le 31 décembre 1937 et occupe toute l’année 1938.

Unité de lieu : New York , ses restaurants, ses résidences de luxe et un peu (très peu) ses quartiers déshérités.

L’histoire de On ne badine pas avec l’amour à la sauce américaine, avec léger fond historique et références musicales qui font rêver, avec ses standards de jazz.

Malgré la période choisie, – fin de la Dépression, conflit en Espagne, approche de la deuxième guerre mondiale – le fond historique gélatineux semble plus destiné à éliminer un personnage attachant dont l’auteur ne saurait pas se débarrasser. Ce gêneur part soutenir les républicains espagnols. On a vu arriver la balle, et le petit pécule laissé par le jeune américain si bien élevé aussi à l’héroïne… Même son cadeau de Noël, nous y aurions pensé.

C’est peut-être là qu’on sent le débutant, avec ces ficelles un peu trop grosses, cet arrière-plan historique qui ressemble à un décor des photographes d’autrefois et les bavardages brillants et pleins d’esprit des personnages qui ne sont que ce qu’ils sont : des bavardages.

Personnages secondaires un peu creux, agacement devant ce qui est prévisible, devant la psychologie sommaire de l’héroïne, cela fait beaucoup de défauts.

Personnages principaux un peu téléphonés, Eve la si bien nommée fait un peu rêver, le beau Tinker sert de fil conducteur au milieu de tous ces jeunes gens un peu vains, le roman d’apprentissage de la narratrice Kathey n’est pas vraiment passionnant, dans le style Illusions perdues nous avons très bien dans notre propre patrimoine…

Savoir si Katey va coucher avec Tinker n’a rien de passionnant, le roman étant construit en flash-back on sait dès le départ que leur histoire a tourné court mais que par contre Katey a réussi son ascension sociale.

Pourquoi donc ai-je dévoré ce livre s’il m’agaçait tant ?

Pourquoi ai-je ressenti toutes les formes de mélancolie ?

La réponse est New York, avec les descriptions de paysages, de changement de temps et d’atmosphère… la réponse est aussi le décalage social, l’imposture, le sentiment de creux. A aucun moment les héros donnent un sentiment de plénitude ou même de joie. Répliques mordantes, situations décalées, absence de sincérité et besoin de paraître abondent, et nulle part on ne ressent la vie qui pulse, les « règles de civilité » ont laminé les émotions.

Ce roman ne charrie pas des torrents d’émotion, mais une note ténue, entêtante et bouleversante, la note bleue des regrets et de la jeunesse enfuie.

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