No et moi, de Delphine de Vigan, la porte qui reste fermée

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Des mois plus tard il faut en terminer avec les portes qui restent closes devant des enfants en demande d’amour.

No_et_moiSuite au roman Les loyautés de Delphine de Vigan, j’avais écrit sur ce blog un article sur le bouleversant reportage d’Arte sur Yanie. Histoire pleine de douloureux ricochets. J’avais parlé de mon ancien élève qui avait trouvé porte close chez ses grands-parents, Coumarine, elle-même maman d’accueil, a parlé de la porte close devant sa fille de seize ans.

Bonjour Nicole
Ta note est bouleversante : elle explique tellement bien le chemin douloureux de cet adolescent.
J’ai moi-même eu une enfant qui m’a été confiée en accueil à 5 mois.
Quand elle a eu 16 ans elle a pris contact avec sa mère bio, elle voulait savoir d’où elle venait !
Rejet total de cette femme… et ce rejet a été vraiment dur à gérer.
Notre fille, adoptée depuis, ne lui en a jamais voulu, elle est allée de l’avant, courageusement.
Ces enfants au destin particulier ont souvent un courage de résilience extraordinaire.

Delphine de Vigan m’a rappelé dans un courrier (elle est très respectueuse de ses lecteurs) qu’elle a écrit cette scène dans No et moi, paru aux Éditions Jean-Claude Lattès, en 2007. No et moi a connu un grand retentissement au moment de sa parution, succès amplifié par le film de Zabou Breitman en 2010.

Ce roman recèle deux niveaux de lecture. Le roman d’apprentissage tout d’abord : Lou Bertignac, treize ans, surnommée « le cerveau » par les autres élèves de sa classe de seconde, essaie d’appréhender le monde extérieur à grands renforts d’expériences originales ou obsessionnelles. Celles-ci n’inquiètent pas ses parents occupés à survivre à la perte d’un enfant et la dépression profonde de la mère. Arrive la catastrophe : Lou est obligée de faire un exposé.

Ma mère ne sort plus de chez moi depuis des années et mon père pleure en cachette dans la salle de bains, voilà ce que j’aurais dû lui dire. D’un trait définitif, Monsieur Marin m’aurait rayée de la liste.

Mais Lou ne dit rien, et choisit comme sujet la description de la vie d’une jeune SDF croisée à la gare d’Austerlitz. No a dix-huit ans et une accumulation de rêves saccagés. Reste les substituts pour survivre, l’alcool omniprésent. Ainsi débute la confrontation entre deux mondes :

Avant de rencontrer No, je croyais que la violence était dans les cris, les coups, la guerre et le sang. Maintenant je sais que la violence est aussi dans le silence, qu’elle est parfois invisible à l’œil nu. La violence est ce temps qui recouvre les blessures, l’enchaînement irréductible des jours, cet impossible retour en arrière. La violence est ce qui nous échappe, elle se tait, ne se montre pas, la violence est ce qui ne trouve pas d’explication, ce qui à jamais restera opaque.

Voici le deuxième niveau de lecture, le niveau sociologique, la façon dont on survit dans la rue alors qu’on n’est pas sorti de l’enfance depuis longtemps. Rien d’appuyé cependant, aucune phrase didactique qui ramènerait à l’exposé de Lou. Non, du vécu tout en douleur et en finesse, mais si visuel, si évident, nous avons tous hâté le pas devant une jeune SDF assise sur un trottoir. Nous la voyons, cette No, boire le plus d’alcool possible comme si on allait lui arracher la bouteille.

La famille de Lou, aussi dysfonctionnelle qu’elle peut paraître, est pleine d’amour. Lou décide de sauver No, de partager avec elle un peu de cette enveloppe rassurante. Ses parents acceptent d’héberger la jeune fille. Mais rien n’est facile, même si tout se passe bien au début, et les rechutes se multiplient.

La nuit quand on ne dort pas les soucis se multiplient, ils enflent, s’amplifient, à mesure que l’heure avance les lendemains s’obscurcissent, le pire rejoint l’évidence, plus rien ne paraît possible, surmontable, plus rien ne paraît tranquille. L’insomnie est la face sombre de l’imagination. Je connais ces heures noires et secrètes. Au matin on se réveille engourdi, les scénarios catastrophes sont devenus extravagants, la journée effacera leur souvenir, on se lève, on se lave et on se dit qu’on va y arriver. Mais parfois la nuit annonce la couleur, parfois la nuit révèle la seule vérité : le temps passe et les choses ne seront plus jamais ce qu’elles ont été.

No est née d’un viol lorsque sa mère était adolescente, et celle-ci n’a jamais accepté l’existence de sa fille. Est-ce l’image de la famille de Lou qui décide la jeune fille d’aller trouver sa mère ? Une force qu’elle pense avoir acquise ? Mais la porte maternelle restera close. Scène puissante, difficile, car on sait bien que No ne trouvera rien à quoi se raccrocher. Scène quasi sociologique de rejet qui doit déchirer beaucoup de lecteurs.

Je m’aperçois que je n’ai pas parlé du garçon de la classe dont Lou est la complice un peu amoureuse. Il a son rôle dans l’économie du roman d’apprentissage, mais il n’est pas essentiel à mon avis, c’est l’argument amoureux d’une fille de treize ans. Je vous laisse découvrir la conclusion du roman, pour vous l’approprier selon votre vécu personnel.

Ce livre m’a bouleversée. À la fois par la puissance de l’histoire de No et l’hypersensibilité si bien décrite de Lou ; par la force de l’écriture, si fluide et si profonde, si visuelle, par l’absence de pathos malgré la délicatesse du sujet.

Je ne sais pas si Delphine de Vigan travaille en musique, mais les allusions musicales sont transparentes. Le nom de l’une des héroïnes, Lou Bertignac, est un décalque de Louis Bertignac, le guitariste du groupe Téléphone, tout comme plus tard le titre de Rien ne s’oppose à la nuit sera tiré d’une chanson de Bashung, Osez Joséphine. Quant à No, cette Cendrillon douloureuse et pleine de rage, comment ne pas penser à la célèbre chanson de Téléphone

No et moi
Delphine de Vigan
JC Lattès, novembre 2010, 286 p., 16 €
ISBN : 9782709636391

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