Se lancer dans son autobiographie

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Cela me travaillait depuis quelque temps cette envie d’un retour aux échanges, de sortir de l’écriture solitaire et d’offrir aux autres une partie de l’expérience accumulée depuis des années d’écriture, que ce soit de romans, de nouvelles et d’une biographie.

Les Confessions2J’ai été confrontée à l’essai autobiographique d’une personne proche, à celle d’un vieil homme qui était passé par un biographe professionnel et à celui d’une jeune femme qui désirait réorienter sa carrière professionnelle et à qui on avait demandé d’écrire son autobiographie. Elle avait été surprise de la demande, mais elle s’était vite prise de passion pour l’exercice. Je me souviens également d’avoir pratiqué l’exercice avec un adolescent particulièrement violent et perturbé qui avait éructé sur la page un cri de colère et donné un éclairage cru sur la maltraitance paternelle dont il avait été victime. Cela l’avait beaucoup aidé à se calmer. La jeune femme a pu réorienter non seulement sa carrière professionnelle, mais sa vie privée ; son autobiographie était surtout une auto-analyse. Le biographe professionnel avait réussi à rendre plate une vie pleine de péripéties mêlées à l’Histoire, la faute peut-être aux délais, je ne sais pas. Quant à la personne proche, elle avait écrit dans l’urgence, son temps était compté. Elle n’a pas pu travailler son texte.

Tout ceci montre que le temps est nécessaire pour la réussite de l’essai autobiographique. La nécessité du recul par rapport à la vision des événements qui ont traversé l’existence, le travail sur la notion de vérité, sur la lucidité et la modestie nécessaires parce que celle ci ne sera jamais que partielle et partiale, ce que l’on veut que le lecteur potentiel retienne : tout ceci doit être mis au net avant le travail de mémoire. De nombreux conseils et exercices techniques aident au déblocage qui surgit souvent devant l’étendue de la tâche. Le travail en groupe soutient les apprentis biographes en leur montrant que les difficultés sont les mêmes pour tous, les observations des autres participants aident à progresser, à condenser le travail d’écriture, à cerner ce qui est en trop et ce qui mérite au contraire d’être développé. Ce travail est essentiel pour trouver son propre tempo, la façon unique dont on racontera sa vie.

C’est décidé. À la rentrée j’animerai un atelier initiation au récit autobiographique dans mon petit coin de montagne. Dans le texte ci-dessous j’explique les questions inhérentes à l’autobiographie, ses joies et ses difficultés.

L’exercice autobiographique concerne quiconque désirant effectuer un retour sur soi. Il aide à comprendre comment on a fonctionné jusque-là ; il permet de prendre de la distance vis-à-vis de ce que l’on vit et, d’une certaine manière, de réécrire sa vie, de la réorienter.

Selon son âge, on ne pratiquera pas l’exercice de la même manière. Plus on est jeune, plus on est proche des événements passés de sa vie et plus le texte autobiographique sera factuel, empreint d’émotion non maîtrisée. Plus on avance dans la vie et plus la problématique de la transmission se fera présente. L’autobiographie d’une personne jeune ne sera pas forcément destinée à être diffusée, elle peut être considérée comme une micro-analyse personnelle, alors qu’une personne mûre pensera à transmettre un témoignage de sa vie à ses proches. Mais en réalité, n’écrit-on pas avant tout pour soi ? Pour se comprendre, pour s’apaiser peut-être, s’aider sûrement ? Il est évident que, selon que le texte est destiné à être lu ou pas, cela change la donne. Le récit de soi permet dans tous les cas une auto-analyse extrêmement bénéfique, mais si le texte doit être lu, on n’est pas totalement libre.

L’écriture du texte autobiographique exige beaucoup de réflexion, de retour sur soi avant de passer à la création du texte, avant que l’écriture prenne le pas sur le sujet et transforme celui-ci en objet littéraire. De quelle manière rendre dans toute leur fraîcheur ou leur violence les sentiments et actes d’antan ? Et les autres protagonistes de son existence, comment leur rendre vie, comment transformer une série de faits et de sentiments en un texte vivant que l’on aura plaisir à lire ?

Cela exige un gros travail, une analyse fine de ce que l’on veut laisser sur la page ou l’ordinateur. Écrire sa vie implique un vrai travail d’écrivain avec des techniques qui s’apprennent.

L’autobiographie est construite sur une trame rétrospective : l’auteur regarde en arrière, du plus loin qu’il peut dans ses souvenirs et avance de concert le texte et sa vie, du moins c’est ainsi que fonctionnent la plupart des autobiographies.

La grande majorité des auteurs de récits autobiographiques déroulent en effet leur histoire depuis leur enfance jusqu’au moment présent d’écriture. On n’est pas obligé de choisir ce schéma linéaire (et parfois très ennuyeux, reconnaissons-le !), on peut se rendre maître du temps. Effectuer des retours en arrière après la narration d’un moment fondateur, sauter des décennies, un peu comme Alexandre Dumas (« Vingt ans après… »), bousculer la chronologie en se prenant pour Dieu le Père ou un écrivain, c’est la même chose. Attention : cette façon d’aborder la chronologie exige une très grande maîtrise de la narration. Dans tous les cas les repères temporels sont toujours clairement marqués pour que le lecteur ne se perde pas dans le texte.

C’est décidé, vous allez écrire votre autobiographie. Mais par où commencer, et comment ?

Le plongeon est difficile et l’eau obscure. De nombreux autobiographes utilisent des ruses pour retarder l’inévitable immersion dans le « Je », ils retracent des pans de vie des parents ou grands-parents comme si l’arbre généalogique permettait de protéger la vie de l’auteur au milieu de sa frondaison.

L’auteur peut retarder l’entrée dans le texte avec une introduction où il explique les raisons qui l’ont conduit à écrire le texte, parfois il plonge directement dans le bain du passé avec ce « Je » si difficile à maîtriser.

Il est important de délimiter le texte : où commence ma vie ? Bien souvent les auteurs vont chercher du côté de leurs premiers souvenirs, et construisent un texte de réminiscences, et on sait à quel point les souvenirs peuvent être rêvés, enjolivés, construits. Il faut définir son cadre et ses objectifs.

C’est compliqué de revenir sur ce que fut sa vie, sur ce que l’on pense de sa propre vie. Écrire à partir de soi, de son histoire c’est nécessairement re-créer, donc rechercher un espace entre réel et invention : les souvenirs que je vais décrire correspondent-ils à la réalité ? Choisissez un souvenir commun à votre fratrie et vous verrez que vos frères et sœurs n’ont pas le même vécu que vous.

Comment choisir les événements, auxquels s’attacher, quels sont ceux qui intéresseront vos proches ? Qu’est-ce que vous allez omettre ? Transformer ? Comment ? En devenant auteur de votre texte, écrivain à part entière, en affirmant votre vérité, même si ce n’est pas celle des autres, à travers votre écriture. Car l’écriture autobiographique est d’abord une écriture, et vous devrez trouver la vôtre.

Nombre d’écrivains construisent leur autobiographie comme un objet littéraire non exempt de coquetteries ou de règlements de comptes. Leur autobiographie ressemble à leur journal dont ils savent que celui-ci sera publié un jour. Nous sommes souvent loin de la sincérité flagellatrice des Confessions de Jean-Jacques Rousseau !

Dans le cadre d’un atelier d’écriture, lorsque le texte n’est pas réservé à l’auteur, le participant destine son texte à ses proches, et cela change beaucoup de choses. Ils sont présents dans son esprit lorsqu’il écrit, il s’autocensure pour ne pas blesser ou choquer ceux qu’il aime. Il essaie d’être le plus honnête possible dans la forêt de ses omissions.

L’écriture du moi se présente comme la réalité, sa réalité, non sans hésitations et scrupules quant à la fidélité et l’honnêteté de son témoignage. C’est difficile d’écrire en disant « Je ». C’est abolir la distance des autres pronoms, le « Il » qui éloigne et protège, et le « Tu » qui agresse et impose l’auteur en juge. Pas d’échappatoire avec le « Je ». Comment s’en sortir ? En trouvant sa propre voix, son écriture, la musique personnelle de son texte. Peu importe pour ceux qui liront le résultat s’il manque des étapes de vie, ce qui comptera pour eux, c’est que le texte soit facilement accessible et se lise avec plaisir, qu’il rende compte dans sa globalité de votre vie. Le paysage plus que le détail. Les lecteurs ne doivent pas s’ennuyer.

C’est exactement comme pour un roman, et comme pour l’écriture romanesque, il faut sélectionner, trancher. Or, à partir du moment où on est vraiment plongé dans le passé, les réminiscences surgissent en masse, on revit avec force ce qui était convoqué pour l’écriture. Comment choisir parmi tous ces souvenirs ceux que l’on retiendra pour les incorporer à l’écriture du texte ? Il faut trier et ne garder que ce qui fera avancer votre histoire. Comme dans un roman, il sera parfois nécessaire de sacrifier de très beaux moments sur lesquels vous aurez passé beaucoup de temps parce qu’ils ne s’incorporent pas à la narration. La matière autobiographique demande un travail d’analyse et de sélection ; il ne s’agit pas de déballer sa vie ou une partie de sa vie mais d’en faire un vrai récit, intéressant sur le fond et beau dans la forme et dans l’écriture.

Les protagonistes de votre vie (parents, frères et sœurs, amoureux, patrons, enfants, etc) doivent être traités comme des personnages, les lieux décrits avec autant de soin que les personnes, mais différemment, bien sûr. Vous ne voyez pas la différence ? LISEZ. Beaucoup, et avec attention, et vous comprendrez vite comment rendre vie aux personnes de votre passé. Lisez les autobiographies d’écrivains, vous constaterez qu’un texte autobiographique n’est pas comme un flux continu mais que tous les ressorts de la fiction sont permis en particulier l’omission des périodes où il ne s’est pas passé grand-chose ou au contraire l’expansion de moments particuliers.

Observez l’emploi des temps, la navigation entre le présent et les temps du passé, la subtilité du passage des uns aux autres. Le présent est-il celui de la personne qui écrit et qui regarde en arrière ? Le présent que l’on appelle historique dans des biographies ? Ce présent peut-il être employé tout au long de la biographie ou bien seulement pour les apartés de l’auteur ?

Si les ressorts du texte autobiographique réussi sont les mêmes que ceux du roman au niveau de l’écriture et de la construction, il existe cependant une différence de taille : la personne qui raconte sa vie sait tout de celle-ci et elle est totalement impliquée dans son texte. Elle sait quelles ont été les conséquences de ses choix et de ses actes. Elle va et vient entre le moment présent d’écriture et passé qu’elle essaie de restituer, elle met en forme l’écriture de sa vie. Rien à voir avec le travail du romancier qui, même s’il utilise des éléments de sa vie pour écrire, ne confond pas son héros avec lui-même. Si le héros du roman dit « Je » plutôt que « Il », c’est un choix du romancier. Ce n’est absolument pas le cas de l’autobiographe, sauf s’il ruse et se camoufle derrière la troisième personne.

Celui qui dit « Je » dans l’autobiographie travaille sans filet. Il est celui qui écrit et regarde en arrière, il est le héros de l’histoire, passée, présente et à venir. Celui qui dit « Je »  en étant le propre objet de son histoire dessine de lui un autoportrait dont les détails ne lui sont pas toujours conscients. Il travaille son image, mais cela ne doit pas virer au plaidoyer au risque d’être soupçonné de complaisance ou de malhonnêteté. Il faut être conscient que, quelle que soit la manière dont l’autobiographie sera conduite, un portrait en creux se dessinera de l’auteur. À celui-ci de le rendre vivant et émouvant : c’est le plus beau cadeau que l’on puisse laisser à ceux qu’on aime.

L’autobiographie est à la fois un genre littéraire et une interrogation de l’auteur sur ce qui nourrit son écriture, un exercice difficile, passionnant et formidablement enrichissant. Il nécessite souvent de l’aide pour éviter les chausse-trappes d’une narration mal conduite. L’atelier d’écriture est un lieu de partage et de progression, où tous les participants connaissent peu ou prou les mêmes difficultés. Les séances s’articulent autour d’exercices ayant tous un rapport avec l’écriture autobiographique. La construction du texte vient ensuite, avec le matériau récolté.

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5 réflexions sur « Se lancer dans son autobiographie »

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      Merci Eric. Cela va mieux, en effet. Surveillance médicale importante, à la mesure des traitements, mais cela fait effet. Bel automne, cher lecteur attentif et chaleureux.

  1. Ping : Un si beau diplôme ! Autobiographie et génocide | Papiers d'arpèges

  2. Edmée De Xhavée

    Une des choses que je trouve … on va dire « traitresse » est que parfois c’est difficile pour la personne que nous sommes devenue de relater sans honte ou embellissements ce que la persone que nous étions avons dit ou fait dans « l’autre vie ». On peut parfois se dire « mais non, je n’ai pas PU dire ça » car on ne le dirait plus aujourd’hui et on peine à se reconnaître dans le passé. On « ment » sans le vouloir, d’autant qu’on ne se souvient pas toujours de tout aussi bien qu’on ne le croit 🙂

    Mais c’est effectivement un excellent exercice. On le conseille en psychanalyse et les anciens Chinois lettrés (d’avant la révolution) le faisaient tous à l’intention de leurs enfants…

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      C’est toute la difficulté de ce « je » qui court tout le long de l’autobiographie: il désigne la même personne, mais celle-ci a évolué, parfois radicalement. Mais reste le « je » incontournable et mensonger.
      Merci Edmée pour la référence aux anciens Chinois, je ne le savais pas.

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