Le rayon bleu, la menace nucléaire selon Slobodan Despot

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Slobodan Despot est un personnage irritant et fascinant qui bouscule très souvent la bien-pensante Helvétie. Son Antipresse livre très souvent des analyses d’une justesse et d’une hauteur de vue confondantes sur les décisions dangereuses prises dans la Confédération helvétique, comme par exemple les choix sur la ressource énergétique ou la porte ouverte à l’Islam radical. Je suis beaucoup plus réservée (parce que indifférente ?) concernant ce qui est typiquement serbe.

J’avoue que le personnage me plaît. Un tel art de se faire des ennemis tout en gérant sa notoriété est remarquable ! Plus sérieusement sa capacité de travail et son écriture provoquent mon admiration. Le miel avait suscité mon enthousiasme : un premier roman aussi maîtrisé, aussi fort, cela laissait augurer une carrière littéraire exceptionnelle ! Je me suis précipitée sur Le rayon bleu dès sa parution.

J’ai mis un temps à la mesure de ma perplexité et de ma déception avant d’écrire cet article.

rayon bleuLe sujet du roman est d’une grande importance, loin de la littérature nombriliste et des sujets biographiques reflétant un certain épuisement de la matière romanesque contemporaine. Slobodan Despot nous parle de la menace atomique, menace que nous avons oubliée depuis la guerre froide alors que rien n’empêche actuellement le président américain d’appuyer sur le bouton sans en référer au Congrès, par exemple. Sans compter la Corée du Nord ou le Pakistan. Nous dansons avec insouciance au-dessus d’une menace plus grave encore qu’il y a cinquante ans maintenant que de plus en plus de dictateurs possèdent l’arme nucléaire.

Le roman commence par un très beau chapitre : Kouzmine part un matin à moto et rejoint la « Cité de la jeunesse Patrice Lumumba », un camp de jeunesse abandonné. Visite de routine. Ce camp abandonné servait de couverture au laboratoire nucléaire où travaillait le scientifique. Jusqu’au rayon bleu provoqué par l’explosion d’un réacteur grand comme une cocotte-minute. Le fantôme des enfants est superbement évoqué en creux pendant que Kouzmine continue son travail : il relève des codes dont il ne connaît ni l’origine ni la signification et les transmet à un numéro de téléphone en France, téléphone qui sonne depuis des années dans le vide.

Superbe !

Et ce téléphone en bakélite noire qui sonne dans le vide, quelle trouvaille !

Retour en France où un narrateur dont nous ne saurons pas grand-chose est chargé d’enquêter sur la mort d’Herbert de Lesmures, conseiller de l’Élysée sur les questions nucléaires et proche du président de la république française. Celui-ci a été retrouvé dans son appartement parisien. Suicide ? Exécution ?

Slobodan Despot nous donne beaucoup d’informations passionnantes sur la façon dont la France est devenue vassale de sa grande alliée américaine, joue beaucoup sur le côté vieille France de la famille Lesmures, avec son château perdu en pleine campagne où résonne le fameux téléphone et la

délicieuse terreur qu’il avait sentie lui remonter l’échine en entendant sonner le téléphone dans les couloirs déserts du château.

Cela reste plus confus au niveau de cette sorte de confrérie internationale qui œuvrerait dans l’ombre pour éviter le pire.

L’histoire se gâte au niveau narratif. N’est pas John le Carré qui veut, aussi doué soit-il. Dans Le rayon bleu le narrateur enquêteur journaliste n’a aucune consistance. L’auteur lui suggère une vague histoire d’amour avec la fille de Lesmures, Carole-Anne ; naturellement la jeune personne périt dans un accident fort louche. Quant à l’artifice du journal intime du militaire confié à l’enquêteur post-mortem par Andrée sa veuve (pratique, elle ne pourra pas donner d’explications), il est un peu éculé.

Le roman nous traîne dans une atmosphère pleine de nostalgie : la vieille noblesse de devoir est définitivement révolue, la mélancolie règne sur le château perdu, les jeunes filles de bonne famille ne sont pas en fleurs et le pouvoir parisien joue son éternelle partition cynique. Ce tour désenchanté d’une France qui a perdu sa grandeur se termine par la plongée dans un sous-marin nucléaire commandé par le fils de Lesmures qui n’a pas les capacités de désobéissance de son père.

Voilà pourquoi je n’ai pas réussi à écrire cette critique plus tôt : trop d’attentes après une réussite éclatante. Tant d’éléments d’une grande richesse : personnages hauts en couleur, atmosphère mystérieuse, et surtout, surtout ce téléphone en bakélite noire dont la sonnerie résonne dans la nuit. Tout concourait à un grand roman qui a dérapé par besoin de tout dire et dont l’intérêt faiblit dès que le narrateur entre en action. Dommage. Reste la belle écriture de Slobodan Despot, insuffisante à donner le souffle nécessaire pour produire un bon roman. Un essai sur la question aurait été peut-être plus approprié, la plume polémique de l’auteur aurait donné toute sa mesure, loin des poncifs du roman d’espionnage qu’il a si mal utilisés.

P.S.:  N’en déplaise à l’auteur, la noblesse vieille France n’a pas disparu, il suffit de songer au général de Villiers ; et si la population se préoccupe de futilités, l’armée est très attentive aux préoccupations nucléaires sur la planète. Une forme de veille beaucoup plus terre à terre que les veilleurs du téléphone en bakélite.

Le rayon bleu
Slobodan Despot
Gallimard, avril 2017, 192 p., 17€
ISBN : 9782072710056

(Vu 599 fois)
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4 réflexions sur « Le rayon bleu, la menace nucléaire selon Slobodan Despot »

  1. Eric

    Édifiant et inquiétant la lecture de votre lien sur les préoccupations nucléaires ! Quel paradoxe pour certains de parler de paix avec un arsenal de destruction massive à ses côtés…

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      Oui, ce lien était important, je suis heureuse d’apprendre que certains lecteurs attentifs prennent le temps d’aller regarder ces éclairages. Nous vivons le quotidien sans nous rendre compte à quel point nous dansons sur le volcan.

  2. Edmée De Xhavée

    Je ne le connais pas du tout, ce qui dans la mer immense de ceux qu’il faudrait lire ou avoir lus, n’est pas étonnant. Je ne peux donc juger mais les arguments que tu donnes m’auraient agacée moi aussi, l’accident, l’histoire sentimentale (à croire que les gens qui vivent quelque chose doivent toujours mêler ce « quelque chose » au fait de tomber amoureux, quel timing déconcertant… et oui, éculé!)

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