Retrouvailles, d’Anne Enright : tord-boyaux irlandais

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RetrouvaillesVeronica vient annoncer la mort de son frère Liam à leur mère qui ne se souvient pas du prénom de sa fille, elle qui a eu douze enfants et fait sept fausses-couches.

Il y avait des filles, à l’école, dont les familles augmentaient jusqu’au nombre conséquent de cinq ou six. Il y en avait chez qui ça grimpait jusqu’à sept ou huit – ce qui était jugé un tant soit peu enthousiaste – et puis il y avait les pitoyables comme moi, avec des parents totalement désarmés qui se reproduisaient comme on irait aux chiottes.

Bienvenue en Irlande et dans le monde d’Anne Enright : du tord-boyau irlandais (on bois sec dans la famille Hegarty), du raide (on est aux antipodes de la famille Bisounours) et de l’humour que l’on n’ose qualifier d’anglais.

Ce qu’on peut rire dans ce roman déjanté, déroutant, excessif, cruel, cru tout court, dans ce torrent de vie et d’imagination, avec un crucifix dans un coin du paysage et un asile d’aliénés dans l’autre ! Avec les vies imaginées que Veronica prête aux membres de sa famille, sa grand-mère surtout, et les scènes auxquelles elle a assisté et qu’elle aurait voulu rêver. Scènes qui ont été déterminantes dans le destin de Liam, scènes si difficiles à décrire. Liam, le frère auquel Veronica était très liée, s’est suicidé et Veronica est chargée implicitement par le reste de la famille de toutes les formalités et du rapatriement du corps pour les obsèques dans la famille, pour les Retrouvailles.

Le roman nous raconte l’errance de Veronica. Errance dans le passé de l’Irlande avec la reconstitution de la vie de ses grands-parents Spillane :

C’est le lundi de Pâques et toutes les voitures de Dublin se rendent en convoi à Fairyhouse. (…) Les mornes journées du carême sont terminées. (…) Tout le monde a prié jour et nuit, jusqu’à en être écœuré, la ville tout entière en a jusque-là, ils ont eu droit aux cendres, ont baisé le crucifix et se sont sentis véritablement, profondément, spirituellement nettoyés : Pâques paraît, grâce à ce brave Jésus, et quand ils ont mangé et ri et regardé les jonquilles ils vont au lit et font l’amour (c’est long, quarante jours), dorment un bon coup et, le lendemain matin, tout le monde s’en va aux courses.

Tout le roman galope comme les chevaux de Fairyhouse, pas de temps de repos, de l’excès tout le temps, même dans la description de la couleur des yeux des enfants :

C’est de Brendan que nous tenons nos yeux : des yeux de Spillane qui ont rencontré les yeux bleu océan de mon père pour nous donner nos yeux purs d’alcooliques, d’un bleu sans la rincette de bière d’après pour faire descendre le whisky : beaux, pathologiques et quelque peu ailleurs, ou absents jusqu’à ce que nous les « allumions », ce qui signifie que nous remarquons quelqu’un et décidons de lui balancer le bleu pur.

Inutile de chercher une page de guimauve ou de préciosité, vous ne les trouverez pas. Mais quel style !

Les retrouvailles ont lieu, le frère prêtre défroqué qui a oublié de le dire à son évêque, le frère psychotique qui semble le plus normal de la famille à Tom, le mari de Veronica, et tous les autres… Comédie sociale hilarante et cruelle :

C’est un boulot grisant, d’enterrer les morts.

C’en est un autre plus difficile d’essayer de trouver son propre chemin.

Mon image de ces nuits est celle d’une femme (moi) étendue sur un lit, le dos arqué, la bouche ouverte, et une main cherchant le mur à tâtons. Pas de son.

Pour ce tord-boyau de première, ces galets rugueux au bord d’une mer houleuse et ce ciel incontestablement irlandais, Anne Enright a obtenu le Booker Prize en 2007 et ce n’est que justice. Accrochez-vous, ce n’est pas de la limonade, mais l’ivresse des grands textes est assurée.

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