Elle a seize ans et se demande si elle va brûler son voile, malgré les encouragements de la foule, elle a peur, et sa vie défile. Elle est tout insolence, toute révolte, Badjens :
Bad-jens : mot à mot, mauvais genre.
En persan de tous les jours : espiègle ou effrontée. (p. 21)
Une erreur, voilà ce qu’elle est. On l’a prénommée Zahra comme sa grand-mère, une sainte femme confite en religion, mais pour sa mère elle sera Badjens, celle qui n’a pas le bon genre, celle qui se révoltera.
— Dieu, c’est une fille !
Ce cri d’avant ma naissance.
Le cri fondateur.
Originel.
Celui des hommes de ma famille agglutinés au-dessus du ventre de Maman.
Je les imagine, mon père, mon grand-père, ses frères et ses cousins, les yeux scotchés sur l’écran affichant mon fœtus en 3D. L’obstétricienne bafouille « Désolée », « Désolée », et eux, ils sont ahuris comme si la bombe atomique venait de s’écraser sur Chiraz. (p. 15)
Les souvenirs galopent dans la tête de la jeune fille juchée sur la benne à ordures : le petit frère à qui on passe tout, le pouvoir des hommes, la solidarité entre filles, la vie cachée dans la chambre ou l’ordinateur. Vivre intensément pour ne pas étouffer.
Badjens se raconte à ce moment crucial où les jeunes se révoltent contre la dictature des gardiens de la révolution. Au travers de ce qui arrive à son entourage, sa famille et ses amies, nous suivons la répression, les morts et les actions contre le régime iranien. Le courage de celles qui naissent avec le mauvais genre, mais aussi celui des jeunes hommes qui refusent le régime.
Ce roman est un magnifique condensé de ce que peuvent vivre les filles dans tous les pays où celles qui ont le malheur de naître avec le mauvais genre sont condamnées d’avance. Seulement en Iran il y a eu Mahsa Amini et en automne 2022 de nombreuses Badjens se révoltent.
Ce court et intense roman galope à toute allure, plein de rires, de cruauté et de révolte. Il se lit en deux heures, impossible de s’arrêter une fois qu’on a commencé tant cette adolescente effrontée pétillante de vie et de révolte vous happe. Et avec elle ce monde d’hommes où naître femme est une erreur.
Delphine Minoui, la journaliste qui connaît si bien cette partie du monde, nous immerge dans une réalité qui nous peinons à imaginer. Elle la restitue dans ce court texte, mieux que tout essai.