Le Transparent, recherche incandescente

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le transparentAmateurs de sentiers balisés et de romans distrayants passez votre chemin : Le Transparent de l’auteur franco-suisse Françoise Matthey est destiné aux familiers de la montagne, aux habitués des sentiers rudes, de l’effort et de la souffrance, tenaillés par la volonté d’avancer, aux êtres en recherche tentés par le vertige.

Étrange livre, en vérité, que cette méditation poétique sur la vie d’un saint du XVe siècle né dans la Suisse primitive, Nicolas de Flue. Un livre religieux ? La biographie d’un saint au XXIe siècle, quelle aberration !

Oubliez vos préjugés et ouvrez ce court texte, vous qui êtes en recherche de vérité au plus près des sensations.

Une fauvette dans le ciel.
Sous ses ailes bouleversantes la transparence de vivre,
Un abandon inouï.
Entre deux trilles, dans le ténu surgi, Nicolas se sent libre.
Immensément
Libre et debout
En devenir.

Françoise Matthey nous décrit un moment essentiel, celui où Nicolas de Flue, heureusement marié, père de famille nombreuse, membre important de sa communauté, décide de tout quitter pour céder à l’appel. Jamais le nom de Dieu n’est cité. C’est une force qui le pousse à partir, moment déchirant auquel il ne peut se soustraire plus longtemps. Nicolas cherche, il avance dans la montagne à la poursuite de ce qu’il sait plus puissant que lui.

Adossé à la force des ombres, Nicolas, au paroxysme de l’instant, persistait à chercher l’essentiel.

Texte puissant, sensuel, d’une poésie de granit et d’horizons infinis, de froid et de vertiges. Une approche dense de l’être en recherche, chaque vers poli et repoli en un objet dur et sans afféterie entrecoupé de quelques poèmes évoquant l’auteur sans doute, le seul moment où quelqu’un prend la parole :

Mon cœur qui se voulait visionnaire
Ne voit rien.
Que le rien qui se meut
Suspendu.

Le chemin de Nicolas n’est pas facile, et la tentation de retourner dans le foyer familial admirablement décrite.

Ce beau texte a été publié aux Éditions de l’Aire dans le canton de Vaud, à Vevey plus précisément, où depuis bientôt quarante ans la petite maison d’édition publie des textes d’auteurs essentiellement suisse romands de très haute tenue. Celui-ci ne déroge pas à la règle. Belle occasion pour découvrir le travail de fond de cette maison qui publie des auteurs importants en toute discrétion. L’édition suisse est vivante, protéiforme, il faut la faire connaître dans ses choix courageux loin des grosses machines éditoriales et des livres de circonstances.

Cet homme à la personnalité si forte qui s’incline devant plus grand que lui et devient Transparent, ouvert à toute la beauté du monde et à la grandeur divine, s’efface dans le poème :

Ainsi,
Celui qui veillait,
Celui qui, (…) avait accueilli tout au long de sa vie,
Transparent,
Parfois dévasté,
La rosée mystérieuse d’un ciel à fleur de terre, à fleur de monde.

Une superbe façon de déplacer le sujet, souvent absent, remplacé comme ici par le démonstratif Celui, avec des reprises là où on ne les attend pas :

Cependant que béat, il contemple, Nicolas, depuis des heures, la pureté des cimes, (…)

Se perçoit faisant partie intégrante d’un jaillissement vital. (…)
Croyant avancer sur des terrains spongieux, ce furent en fait les voies du ciel qu’il empruntait, Nicolas.

Déstructuration de phrases qui accompagnent celles de l’individu, phrases au sujet absent, balancement du prénom comme une feuille dans le vent, cette déstabilisation habile participe du travail du mystique, de sa marche heurtée.

Avec une citation de Lytta Basset (pasteure protestante très connue en Suisse romande) et une autre de Jean de la Croix (poète mystique du XVIe siècle) en guise de prélude, l’utilisation de la chronologie extraite de l’ouvrage du père Charles Journet, Saint Nicolas de Flue, l’auteure ancre Nicolas dans l’intemporalité de la recherche de sens.

Ce texte m’a fait penser au livre que Christian Bobin a consacré à François d’Assise, le Très Bas et les deux textes possèdent en effet de nombreux points communs : un court texte poétique concernant un saint qui n’est ni une biographie ni une hagiographie, dédié au cheminement des deux saints vers Dieu, leur abandon d’une vie douce pour une exigence qui ne leur appartient pas.

Pour le reste, l’écriture de Christian Bobin pleine de douceur et de joie répond en écho à la rudesse et au dépouillement de celle de Françoise Matthey comme un paysage à peine vallonné confronté à la grandeur des Alpes.

Si vous êtes sensible à

L’écho de qui porte en secret vertige et tentation,

Lisez le Transparent.

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