Comment transformer un des plus douloureux événements de la vie en objet littéraire et l’essai est-il transformé ? Pas sûr…
Jean-Louis Fournier, entre sensibilité à fleur de peau et humour noir, sait nous faire rire de tout depuis fort longtemps, mais là ?
La citation de Voltaire mise en exergue, « Il est poli d’être gai » illustre bien son propos, Dieu sait que cela doit être difficile de faire rire en parlant de la mort de la compagne de quarante ans de vie commune pour ne pas éclater en sanglots.
Jean-Louis nous livre un journal sans aucune date à part le 12 novembre, début de son veuvage.
Les premières notations, pleines de douleur, d’amour et de pudeur dans le chagrin émeuvent : « Je suis dans un petit voilier au cap Horn. La mer est blanche, le ciel est noir, j’ai affalé les voiles, je suis accroupi au fond de la cabine, la tête cachée dans mes bras. J’attends que ça se calme. Je suis optimiste, je crois que ça va se calmer. Les tempêtes ne sont pas comme les neiges, éternelles. »
Au début, la finesse d’observation de la façon dont les gens réagissent au malheur, entre empathie et mise à distance de ce qui nous fait peur à tous et que tous nous connaîtrons, le morceau d’anthologie de la page 41 avec l’enquête de satisfaction du crématorium du Père-Lachaise, nous émeuvent et nous font rire. La marque de fabrique est là, émotion et rire mêlés.
Ensuite cela se gâte. Le livre est composé de notations au jour le jour, chaque page correspondant à un événement dans le désordre de la vie présente : les condoléances, le nouveau chat de la maison, les catalogues de fleurs ou les demandes des organisations caritatives auxquelles sa femme avait l’habitude de donner quelque chose.
La lassitude s’installe quand la blessure à vif et la difficulté de vivre laissent la place aux phrases faciles.
Le narrateur vient de recevoir des cerises : « Elles sont superbes, rouge brillant. Elles mettent un peu de gaieté et de couleur dans le frigidaire tout blanc. Heureusement, ce ne sont pas des cerises noires ».
Il parle de sa voiture : « Je comprends maintenant pourquoi tu as pleuré quand je l’ai vendue. Ce n’était pas la voiture que tu pleurais, c’était bien plus triste. C’était notre jeunesse.
Maintenant elle a été repeinte en noir.
Comme mon avenir ».
Ou bien encore : « Je déteste l’imparfait de l’indicatif. Parfois, même, il m’arrive de ne plus aimer le présent ».
Pire encore, lorsque l’épouse décédée reçoit une demande de don : « La police ne sait pas que ton cœur est définitivement fermé. Il ne battra plus pour personne ».
Jean-Louis Fournier aimait sa femme ; il décide au début de dire tout le bien qu’il pense de la discrète Sylvie. Mais ce qui se dessine, c’est beaucoup plus le sien, de portrait, avec égoïsme et pirouettes, douleur et coquetterie, égocentrisme et délicatesse, un homme ordinaire, en somme, dont l’épouse reste dans l’ombre alors qu’il voulait la mettre en lumière.
Coincé entre souffrance et humour noir, Jean-Louis Fournier nous livre un journal de solitude et de désarroi, de l’émotion, un peu de rire, mais un texte littéraire ?