C’est un livre taillé à coups de hache que je vous propose aujourd’hui, pas le temps de fignoler, l’assassin est aux trousses de Shaw le paysagiste et de Katie la photographe. La créature a volé la grosse 4/4 de la jeune fille et poursuit ses proies qui se trouvent dans une petite voiture citadine vraiment pas destinée à affronter la piste des déserts. Nous sommes en Australie et l’auteur est Kenneth Cook, bien sûr…
Piste d’Obiri. Danger. D’ici à Obiri, la chaleur, les sables mouvants et autres dangers rendent la traversée extrêmement périlleuse. En cas de panne, n’abandonnez jamais votre voiture.
Rien à voir avec ses drôlissimes nouvelles, pourtant, une fois de plus, le bush australien tient la vedette de ce « page turner » à l’américaine, un de ces livres addictifs dont vous ne pouvez pas vous défaire avant le dénouement. À toute berzingue illustre parfaitement le concept : pas de psychologie, de l’action, uniquement de l’action dans une tension extrême. La fuite éperdue dans l’outback australien de deux jeunes citadins devant un tueur monstrueux mal identifié, dont seule l’odeur est véritablement décrite (un mélange de pourriture et de mort) se lit d’une traite.
Dans sa préface, Douglas Kennedy fait le parallèle entre le roman À toute berzingue et le premier film de Spielberg Duel, où un chauffeur de camion dont nous ne voyons jamais le visage poursuit un voyageur de commerce pour le tuer. La similitude est troublante, et au départ Kenneth Cook avait écrit un scénario qui n’avait pas trouvé preneur, l’avait transformé en roman avant de l’oublier dans un tiroir. Des années après sa mort sa fille retrouve le roman dactylographié et une photocopie de celui-ci atterrit chez la traductrice française Mireille Vignol. Émotion…
L’essence du roman se trouve ici, dans cet affrontement entre une créature monstrueuse que l’on hésite à qualifier d’homme, lancée dans une traque sans merci contre deux jeunes gens qui ne connaissent pas les pièges qui les attendent. Quant au lecteur, il découvre s’il ne connaît pas l’Australie, la grandeur et la sauvagerie des immenses espaces vides.
À l’ouest, le lac plat du désert se fractura un océan de sable. De longues et hautes vagues, dont les crêtes scintillaient au clair de lune, s’étiraient à l’infini, en lignes parallèles. Toujours en mouvement mais ne se brisant jamais, elles progressaient imperceptiblement dans le lac des plaines. Les dunes évoquaient une houle formée par la tempête aux premiers jours du désert, puis pétrifiée par un étrange phénomène d’art cosmique. (p.118)
Quelle est la place de l’homme moderne dans ce paysage de début du monde ? Quelle est la place des deux héros dans un tel environnement ?
Shaw et Katie avancèrent, leurs corps se touchant parfois, prenant appui l’un sur l’autre, dans la galerie de peintures rupestres. Elles représentaient des hommes, des poissons, diverses formes de bêtes. Des mains fantasmagoriques, jaunes et blanches – empreintes au pochoir d’anciens artistes – papillonnaient, épinglées autour des formes animales.
Shaw et Katie poursuivirent en silence. Une impression d’indifférence, plus que d’hostilité, se dégageait de cet endroit. Les peintures semblaient leur dire : Vous n’avez rien en commun avec nous, nous sommes les habitants, vous êtes des étrangers sans importance, vous n’êtes pas à votre place, vous ne faites que passer. (p.206)
Plus loin, il leur semble reconnaître l’homme à la hache dans une peinture rupestre, comme si les temps immémoriaux se vengeaient de l’intrusion du monde moderne.
C’est un livre qui me semble destiné plus particulièrement à un public masculin porté sur la voiture et les films d’actions, même si la tension qui s’exerce dès les premières pages peut vraiment saisir n’importe qui.
Kenneth Cook
Traduit de l’anglais (Australie) par Mireille Vignol, préface de Douglas Kennedy
Autrement, février 2016, 230 p., 18,50 €
ISBN : 978-2746743076
J’ai vu « Duel » deux fois et le reverrais encore bien une troisième tant ce thème de la poursuite d’une victime potentielle par un assassin sans mobile est passionnante…
À toute berzingue est un « Duel » écrit. Vite lu dans l’angoisse de la fin, bien sûr…