Archives de l’auteur : Nicole Giroud

La beauté irréelle des rebuts d’Elise Morin

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Et si nous entamions ce triste début d’années de commémorations tragiques par quelques éléments réjouissants ?

Je commencerai par les sublimes installations d’Elise Morin, jeune artiste parisienne née en 1978.

Elise Morin réhabilite des matériaux destinés au rebut, des symboles exemplaires de l’aberration de notre consommation, à savoir les CD. Les petits disques mordorés si familiers de notre quotidien sont en polycarbonate dont la durée de vie est limitée. Impossible de faire de l’argent avec ça donc on jette. Elise a rassemblé un grand stock d’invendus qu’elle a eu l’idée de fixer sur des structures en tissu gonflable, créant ainsi avec ces immenses nappes des paysages de dunes absolument féeriques.

copyright@DavidHanko

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La réflexion de la jeune artiste ne s’arrête pas à l’absurdité de notre système de consommation. Son art militant contre le gaspillage est aussi un art social : les CD sont cousus selon les pays où a lieu l’exposition par des gens en grande fragilité sociale et des militants associatifs.

Par exemple en 2013 pour son installation The waste Landscape (littéralement le paysage fait avec des déchets) à Kosice, capitale européenne de la culture avec Marseille cette année-là, dix prisonniers ont participé à l’assemblage des milliers de CD.

Travail militant, associatif, pas seulement. L’œuvre fonctionne en résonance avec le lieu, vagues de lumière ressuscitant une eau absente, musique en écho avec son support, tant de richesses croisées mettent en lumière l’essentiel : l’humanisme, la création et la beauté luttent de concert contre les valeurs destructrices d’une consommation insensée.

On se lamente souvent de la morosité du paysage artistique contemporain alors découvrez de toute urgence la beauté irréelle des installations d’Elise Morin !

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Les Chantiers de Marie-Hélène Lafon, matériau intime

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ChantiersC’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche, écrit en exergue Marie-Hélène Lafon, reprenant la phrase du peintre Pierre Soulages. Elle complète ailleurs (page 68) : Tout fait ventre et piste, le monde est inépuisable.

Marie-Hélène Lafon vient du monde paysan, elle a fait des études de lettres et enseigne. Ce qu’elle a écrit dans les premiers chapitres de Chantiers permet à beaucoup de ces enfants qui ont fait des études de se reconnaître: transfuges de classe, perdus dès le départ pour leur milieu d’origine.  Je me suis retrouvée. Profondément. Intimement. Confondue par cette radiographie sociale. Ne manque que la solitude accompagnant cette marche vers un savoir et une culture qui ne vous sont pas destinés et auxquels ceux que vous aimez ne comprennent rien. Marie-Hélène a eu la chance d’être accompagnée par sa sœur, cela lui a donné le supplément de force que n’ont pas eu ceux qui ont accompli le même chemin qu’elle.

De l’autre côté des arbres, une fois lancé dans le monde, on a vu les autres, les légitimes enfants de familles qui s’ébattaient tout à leur aise et à l’envi dans les grasses prairies du savoir, et de la culture, du moins le croyait-on, du moins le croyais-je ; on a vu ceux qui jouissaient de ce droit parce qu’une ou deux ou davantage encore de générations précédentes, avant eux, s’étaient arrachés, d’une manière ou d’une autre, au limon des origines d’où l’on venait, soi, à quoi l’on tenait, soi, de tout son corps. Alors, sans savoir pourquoi ni comment, sans rien démêler, à l’instinct et parce que l’on n’avait ni le choix, ni le droit d’échouer, ni le droit de s’ébattre, de musarder, de jouir en toute gratuité et liberté dans les grasses prairies du savoir et de la culture, alors on s’est ramassé, ramassé au sens de rassemblé, on s’est rassemblé dans l’énergie de la besogne ; on était de la tribu des besogneux, on a travaillé, on s’est mis à l’espalier pour porter fruit ; (…) on a étudié comme on laboure, pour gagner sa vie, et la gagner seule, sans dépendre.

Cette étape de l’enfance : nature, arbres et proches, la conscience du père d’appartenir à un monde en train de mourir, les susceptibilités de classe, orgueil paysan et conscience de son rang puis la formation chez les religieuses, la conscience de se situer ailleurs, voilà le socle nécessaire à son travail d’écrivain. Socle paysan duquel on s’arrache mais qui conserve sa force, qui a donné la conscience du travail nécessaire pour que les récoltes adviennent.

Pas de récolte sans engrais, et Marie-Hélène Lafon décrit les lectures fondatrices, pas seulement les grands écrivains reconnus dans les manuels littéraires comme Flaubert, « En tendre carnassier, en colosse sentimental », mais Pierre Bergougnoux, Richard Millet et Claude Simon, car de grands auteurs peuvent être vivants. Éloges vibrants, fines analyses d’une construction mentale aussi bien que physique.

Les lectures tiennent sans doute une place importante dans le terreau fondateur, mais Marie-Hélène n’oublie pas l’importance de la musique. L’introduction à la musique classique par un homme dont elle dit peu de choses et le mélange des genres avec les musiques familiales ou d’adolescence : elle fait sa propre bouillie nourrissante, le monde mêlé, les sens chamboulés, « Tout fait ventre et piste », elle s’interdit seulement l’utilisation des faits divers. Pour le moment.

Chantiers. La matérialité de la construction, l’établi atelier de l’écrivain, la matérialité du fait d’écrire, tous ces éléments qu’il faut assembler, ordonner, mêler pour arriver à créer. Pas de néant, mais les matériaux bruts de la vie passés au prisme d’une sensualité en éveil, tous sens mêlés avant d’équarrir la phrase, parfois de la supprimer. Écrire à la table rugueuse qui relie au fil des générations mais créer autre chose que ce qui a fait la vie de tous ceux qui la précèdent. Transfuge féminin d’une communauté puissante avec la seule possibilité offerte :

L’école comme une conquête, le désir d’école, pour s’arracher, pour devenir, ailleurs et autrement. C’est l’austère et jubilatoire programme des filles, s’inventer. Nous suivons le programme en bonnes élèves pareillement tenaces, pugnaces ; et dociles.

Chantiers. Le travail en cours, la pensée discursive, sinueuse avec des éclats et des débris, souvent dérangeante. J’ai été souvent désorientée par ces phrases interminables désarticulées, avec ces reprises à la ligne à des moments qui me semblaient incongrus, avec ces liaisons ou oppositions en majuscules, comme pour indiquer que l’ouvrière avait trouvé un nouvel outil.

Chantiers. On ne travaille pas tout seul sur une œuvre, et voilà que surgit l’amitié et la complicité, Sylviane Coyault, même parcours et phrases mêlées, qui parle ? Qui écrit ?

Ce livre est une commande des Éditions des Busclats, mais l’auteure en a fait un objet qui dépasse de loin la commande. Je me suis souvent surprise à l’introspection, confondue par les similarités, irritée parfois par les différences, ce mélange constant d’universel et de trivial, d’évidence et de chaos, de tripes et de nature. Le chantier d’une vie dans lequel nous retrouvons les matériaux de la nôtre.

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Le secret de l’empereur, dépouillement et mystère

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Le-secret-de-lempereurEn 1555 l’empereur Charles Quint décide d’abdiquer et de se retirer dans un monastère en Estrémadure. Procédure unique, exceptionnelle dans l’Histoire. Charles doit inventer le cérémonial, dompter les réticences de son entourage qui ne comprend pas cet acte singulier.

L’empereur est usé par les batailles et la difficulté de conserver l’unité du Saint Empire romain germanique, un empire immense qui s’étend jusqu’aux Amériques et auquel il a imposé un temps unique dans toutes les provinces.

Le temps. La grande obsession de l’empereur qui possède une collection d’horloges extraordinaires et dont l’un des fonctionnaires occupe la fonction de garde-temps.

Le titre du roman est racoleur, Le secret de l’empereur, la raison intime de son abdication, nous ne les connaîtrons jamais, ils appartiennent pour toujours au secret de l’âme du plus puissant personnage de son temps. Ce qui nous est restitué en revanche – et magnifiquement – par Amélie de Bourbon Parme, c’est une atmosphère, un temps qui nous est irréductiblement étranger, le XVIe siècle. La toute-puissance de l’Église catholique est menacée par les troubles provoqués par les protestants et son bras armé de l’Inquisition frappe à tour de bras, à tous les échelons de la société ; même l’empereur n’est pas à l’abri.

Ce qui nous est montré dans ce livre et qui est universel, est la façon de se déposséder de ce qui a été l’essentiel de sa vie à l’approche de la mort. Se dépouiller du pouvoir, de la richesse quand la souffrance rappelle d’une manière lancinante que le temps est compté.

Charles Quint se dépouille de tout, sauf de ses plus précieuses horloges, parce que la mesure du temps est la dernière passion qui le rattache à la vie terrestre. Les horloges sont d’ailleurs décrites comme « des provisions d’éternité ».

Quelqu’un a déposé une mystérieuse horloge noire chez l’Empereur. Horloge étrange dont le mécanisme résiste à l’horloger de l’Empereur et à l’Empereur lui-même. Ce symbole d’une façon de penser hérétique qui ne met pas la terre au centre du monde, va devenir le moteur de ce livre fort bien construit qui réussit le tour de force de rendre palpitant une intrigue ténue.

L’écriture n’a pu se mettre au diapason de l’époque, impossible dans ce bouillonnement qui n’a pas encore abouti au français moderne ; alors le XVIIe siècle vient à la rescousse, siècle d’or de l’écriture à son apogée de pureté, et les descriptions d’Amélie de Bourbon Parme prend des accents de La Rochefoucauld ou de La Bruyère lors du portrait d’un horloger :

L’homme avait beaucoup vieilli, comme si les heures passées à régler des pièces minuscules permettant de mesurer le temps s’étaient multipliées entre elles. Il avait perdu la plupart de ses cheveux et son crâne presque entièrement dégarni ressemblait à une capitulation.

Ou celui d’un des religieux qui attend l’empereur sur le quai sous une pluie battante :

Un homme de haute taille au costume si sombre qu’il semblait attendre la mort de quelqu’un. (…) Une sorte de naufrage sur terre ferme, d’engloutissement à marée basse.

L’écriture  magnifie le dépouillement de l’empereur, la difficulté de tout quitter alors que tout s’y oppose :

Depuis qu’ils avaient quitté Gand par le canal de Zélande à bord du navire El Espiritu Santo, ils s’étaient arrêtés à Zuitbourg pour attendre des vents favorables. Mais rien depuis deux semaines. Pas un souffle, pas une ride, pas un signe à l’horizon sur la mer tendue comme une toile. Il y avait dans cette absence de vent un acharnement de l’air, l’obstination d’un vide plus périlleux qu’une tempête. Un oubli du ciel laissant passer les jours sans rien attendre de retour. (..) Le ciel n’était plus qu’un immense précipice, un gouffre en hauteur dans lequel la retraite de l’empereur pouvait tomber.

Malgré son argument extrêmement précis, l’annonce en 1555 de son abdication par l’empereur Charles Quint, Le secret de l’empereur n’est pas un roman historique mais une fresque intime et universelle sur le renoncement.

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Un jugement proportionné ?

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Nitot - Licence  Creative Commons paternité – partage à l’identique 3.0Elle porte bien mal son nom, Jacqueline Sauvage, cette femme qui a tué son mari de trois coups de fusil dans le dos au bout de presque un demi-siècle de violences conjugales, de perversité et d’abus sexuels divers de la part de celui à qui elle avait lié son existence dès son adolescence.

Définition du petit Larousse illustré. Sauvage : qui a quelque chose de féroce, de cruel, de grossier. Qui était sauvage, dans cette histoire, sinon le mari ? On pourrait rajouter pervers. Sourire par-devant au travail, horreur quotidienne à la maison.

Trois coups de fusil dans le dos, comment l’avocate peut-elle parler de légitime défense ?

« La légitime défense n’est absolument pas soutenable. Aux violences de son mari, elle aurait dû répondre par un acte proportionné, immédiat et nécessaire. Face à un coup de poing qui se solde par trois jours d’ITT, elle tire trois balles » scande l’avocat général dans son réquisitoire.

Un acte proportionné, immédiat et nécessaire. Discours de juriste, termes de droit, définition de la légitime défense…

 « Trois coups de feu tirés dans le dos, ce n’est pas admissible », renchérit-il.

Seulement Jacqueline Sauvage n’aurait jamais pu tirer de face. La peur l’aurait emporté et elle aurait lâché le fusil.

Cela commence par la fascination d’une adolescente pour un voyou sortant de maison de correction. Un dur, un viril qui la subjugue et en fait sa chose. Les coups deviennent rapidement le quotidien de celle qui a épousé l’amour de sa vie, comme dans les romans-photos.

Un acte proportionné, immédiat et nécessaire aurait dû être la séparation, bien sûr, des dizaines d’années avant le drame. C’est oublier l’emprise du mâle dominant. Ses regrets passagers, les mots d’amour jetés en miettes quand il sentait que sa proie risquait de lui échapper. « Je vais changer, je te jure, je vais arrêter de boire, c’est à cause de l’alcool ce qui nous arrive… »

Et il y a ce mélange de convention sociale, d’amour pour son maître, de passivité et de peur. On ne quitte pas si facilement un homme qui vous bat. Il ne permettrait pas.

La terreur s’installe, l’habitude aussi.

Les enfants naissent. Des filles qui grandissent, qui vivent à leur tour dans la terreur. Leur mère au visage tuméfié, leur père qui cogne devant elles. Les hurlements. Les pleurs. Et bientôt le silence, les jambes qui flageolent et la mâchoire crispée pour ne pas attirer les coups du père.

Jacqueline a dû attirer l’attention dans le village. Les cris dans la nuit, à la campagne, cela résonne. Elle est sans doute allée à l’hôpital, au moins chez le médecin… La gendarmerie, non, elle n’a pas osé. D’ailleurs est-ce que cela aurait servi à quelque chose ? On n’aime pas trop se mêler des affaires privées. Et la famille ? Les parents, les frères et sœurs, les cousins ? Et les collègues au travail, les amies ? Le village tout entier ?

On plaint la pauvre femme qui vit son enfer sur terre, c’est sûr, mais que faire, que faire ?

L’homme profite de son pouvoir. Il ne doit pas en avoir dans sa vie professionnelle, alors la maison, c’est son exutoire, surtout quand il a bu : plus de limites, toute-puissance et exultation.

Les coups. Mais aussi les viols. Et les filles qui se taisent, comme elles sont devenues jolies, les filles.

Ma famille m’appartient tout entière. Je suis le maître, j’ai tous les droits.

Les filles subissent à leur tour. Des années durant. On n’a rien vu à l’école ?

Elles se sauvent, quittent cet enfer, partagées entre leur survie et leurs remords de laisser leur mère seule face à la violence et à la perversité de leur père.

Un jour il va la tuer, c’est sûr… Mais elles sont prises elles aussi dans cet engrenage, malgré elles, parce qu’elles ont toujours été du côté des victimes. Ont-elles dénoncé leur père ?

Qu’est-ce qui a décidé Jacqueline à mettre des cartouches dans le canon du fusil ? Un moment de déprime plus intense que les autres ? Norbert avait cogné dur quelques heures plus tôt, il allait bientôt rentrer, cela allait recommencer. Elle a vu le fusil, pris la boîte de cartouches, gestes automatiques, elle l’avait vu faire si souvent. Elle a peut-être pensé à en finir, à se tuer maintenant que les filles étaient sorties d’affaire. Elle avait mal partout, cela ne finirait jamais, jamais, seule la mort la délivrerait de son tortionnaire. La vieillesse arrivait à pas de géants, les décennies de coups avaient accéléré le processus du temps. Se tuer ? Elle imagina le sourire de l’homme, le désespoir de ses filles.

Il rentre, il se tourne pour poser sa veste, elle tire trois coups. Pour être sûre.

Dix ans de réclusion pour un calvaire de quarante-sept ans.

Un acte proportionné, immédiat et nécessaire.

 

 

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COP21 et cadeau de Noël

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Vous avez suivi les développements de la COP21 avec attention sinon angoisse mais en même temps Noël approche et vous vous creusez la tête à la recherche d’un cadeau original.

J’ai ce qu’il vous faut : le cadeau le plus faussement écologique et le plus improbable, à base de matériaux synthétiques hélas, mais si évocateur des problèmes de la planète, je veux parler des Tongs gazon.

Tongs gazonImaginez le confort des sensations primitives sans les inconvénients : avec les Tongs gazon vous pourrez marcher sans vous préoccuper de l’humidité, des abeilles ou des crottes de chien. Rien que du plaisir. Semelles de qualité recouvertes du gazon le plus tentant du monde, attaches au choix, du rose flashy au noir : le produit est anglais mais vous l’aviez peut-être deviné. Vous le trouverez ici, dépêchez-vous, il n’y en aura pas pour tout le monde.

Bon, d’accord : 25 euros une paire de Tongs ce n’est pas donné, mais le cadeau original et dans l’air du temps est à ce prix, vous n’allez pas chipoter.

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