Archives de l’auteur : Nicole Giroud

Les désengagés, à dégager

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Les DésengagésPour une fois je voudrais parler d’un roman qui représente pour moi exactement la théorie du goût creux appliquée à la littérature : un camembert industriel a si peu de goût que vous en reprenez encore et encore, à la recherche de ce que vous étiez venus chercher. Les Désengagés  de Frédéric Vitoux de l’académie française (comme si c’était  un gage de qualité) est un livre creux tout en références littéraires et en rappels du petit monde de l’édition avec vrais journalistes connus à la clé et compositions transparentes d’éditeurs pour les intimes.

L’argument : le jeune Octave, apprenti écrivain rencontre Marie-Thérèse, la quarantaine entamée en octobre 1967 chez un disquaire. Suivent une vingtaine de pages de bavasseries musicales pour montrer l’érudition de l’auteur, amateur manifeste du Chevalier à la rose.  Ces deux-là  deviennent amants illico, comme cela tombe bien : la quadragénaire est lectrice dans une maison d’édition !

Las, nous sommes à l’aube de mai 68 ; cela dit, à la page cent cela ne faisait pas encore de différence pour nos héros du triangle amoureux classique (il faut ajouter la jeune Sophie) qui portent les noms des héros du Chevalier à la rose. Quand on ne sait pas quoi écrire on multiplie les références culturelles, cela impressionne (ou cela irrite) et les pages s’écrivent toutes seules.

Vous l’aurez compris, ce roman m’a semblé boursouflé, plein de suffisance pour tout dire. Que suis-je venue faire dans cette galère ? Attirée par la jolie idée dont parle l’auteur sur la quatrième de couverture :

 Je me suis souvent demandé quels écrivains avaient été assez malchanceux pour publier un livre en avril ou mai 1968. Le point de départ – malicieux – des Désengagés est né de cette interrogation-là.

Un petit exemple du style du livre. C’est Marie-Thérèse la quadragénaire qui s’exprime mais on dirait que l’auteur ne sait pas que les femmes de 1968 ne ressemblaient pas aux héroïnes de Stendhal ou de Balzac : elles brûlaient leur soutien-gorge et s’éclataient avec de jeunes amants.

Elle pouvait retrouver, impunément, cette douceur, cette suavité, ou cette tendresse baignée d’indulgence qu’aucune jeune fille n’exprimera jamais, tout occupée qu’elle est à trancher dans ses désirs, ses impatiences ou ses peurs, mais qui sont le privilège des femmes de trente, quarante ans ou plus, que la vie semble avoir polies, à qui les chagrins, les déceptions, les amours passées ou les espoirs qui vont s’étrécissant ont conféré une forme d’indulgence qui sait faire l’économie d’illusions inutiles – car ce sont les illusions qui sont blessantes, qui attaquent le granit de la vie, ce sont elles qui se fracassent, tout comme la jeunesse finit tôt ou tard par se désintégrer.

C’est téléphoné, la malheureuse nous annonce la fin avant d’avoir effleuré le jeune Octave, Maintenant faites comme vous vous voudrez. Moi je vais écouter la musique sublime de Strauss, la version Giulini, bien sûr… J’aurai au moins retenu quelque chose de cette lecture.

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Le mec de la tombe d’à côté, rires et réflexion assurés

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Le mec de la tombe d'à côtéQui a oublié de lire ce roman moins léger qu’il paraît ? Il a connu un succès inattendu et mérité il y a une dizaine d’années. Un livre drôle pour changer, qui vous fera souvent éclater de rire. Mais, pour peu que vous apparteniez à la classe trente ans et plus, que vous soyez une femme et que l’horloge biologique vous titille, que vous soyez un homme, même classe d’âge, en train de s’interroger sur la suite de sa vie, ce petit livre imprimé sur un atroce papier rose va vous mettre en face de vos questionnements intimes. Désirée, bibliothécaire, trente-cinq ans et Benny, trente-sept ans, paysan balourd sont foudroyés par l’amour au cimetière. Las, les tombes du conjoint pour la première, des parents pour le deuxième, indiquent que l’histoire ne sera pas simple. Design écolo chic contre kitch débordant de plantes. Le ton est donné. Désirée « la crevette » ne sait rien faire de ses dix doigts et Benny a besoin de quelqu’un pour l’aider à la ferme maintenant que sa mère est morte.

Intellectuelle chic contre paysan au fumet de fumier. Choc culturel et sociologique, éclats de rire garantis mais aussi beaucoup plus, des interrogations fines sur le temps, la notion d’amour, de couple, de réussite personnelle.

Si, comme moi, vous aviez snobé ce succès populaire, précipitez-vous : dès la deuxième page vous aurez oublié l’épouvantable papier entre deux accès de rire.

Un petit extrait du premier chapitre comme mise en bouche :

Méfiez-vous de moi !

Seule et déçue, je suis une femme dont la vie sentimentale n’est pas très orthodoxe, de toute évidence. Qui sait ce qui pourrait me passer par la tête à la prochaine lune ?

Vous avez quand même lu Stephen King ?

Juste là, je suis devant la tombe de mon mari, assise sur un banc de cimetière vert bouteille lustré par des générations de fesses, en train de me monter la tête contre sa dalle funéraire.

C’est une petite pierre brute et sobre gravée seulement de son nom, Örjan Wallin, en caractères austères. Simple, presque à outrance, tout à son image.

Un livre à l’écriture simple et efficace qui multiplie les situations désopilantes et montre avec finesse la difficulté pour les jeunes femmes actuelles de choisir leur vie. Quant aux paysans de toute l’Europe, entre la peine à vivre de l’élevage et à trouver une femme, s’ils réussissent à distraire quelques minutes par jour de leur travail, ils se reconnaîtront dans Benny le Suédois esclave de ses vingt-quatre vaches et de son banquier.

Vous le trouverez maintenant sous une nouvelle édition chez Gaïa et dans la collection Babel chez Actes Sud à un prix plus doux.
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Tragédies aériennes et traitement des victimes

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Sur les lieux du crash de l’A320. Photo AFP. Site Le Dauphiné.

Pendant une semaine les images ont tourné en boucle, toujours la même photo du jeune copilote souriant de l’Airbus A320 qui a entraîné avec lui 150 personnes dans la mort le 24 mars 2015. Maintenant que l’enquête avance et que l’on connaît avec certitude les causes de cette catastrophe, on en est à l’évacuation des débris, à celle des corps également. Un très grand respect des victimes et des familles, une humanité empathique, que ce soient les sauveteurs, pompiers, policiers, professionnels de la montagne ou population locale.

Je ne peux m’empêcher de comparer cette gestion exemplaire de la catastrophe avec la façon dont ont été traitées les victimes des deux seules catastrophes aériennes civiles au-dessus du Mont-Blanc.

C’était en 1950 et 1966, et chaque fois des avions d’Air India. Il y a des images pour le premier avion, le Malabar Princess, mais pour le deuxième, le Kangchenjunga, elles sont beaucoup plus impressionnantes. Les archives de l‘INA  (hélas, impossible de supprimer la publicité qui précède, soyez patients cela en vaut la peine) montrent les mêmes débris éparpillés sur le glacier des Bossons, à côté du sommet du Mont-Blanc. La même impression d’émiettement, de violence, d’effroi. Les images ont presque cinquante ans, rien à voir avec les images en couleur très nettes que nous avons vues à satiété. Rien à voir non plus avec la façon dont ont été traitées à l’époque les victimes du crash.

Que ce soit pour le Malabar Princess ou le Kangchenjunga on a procédé à l’époque d’une façon particulièrement indigne avec les victimes.

Les corps ont été jetés dans les crevasses du glacier, glacier des Bossons côté français et glacier du Miage côté italien. 48 personnes à bord d’un Constellation le trois novembre 1950, certaines carbonisées sur leur siège ; 117 personnes à bord du Boeing 707-437 qui s’est pulvérisé contre la montagne le 24 janvier 1966. Seulement sept corps intacts, dont certains, non réclamés, ont été remis dans un hélicoptère et jetés sur le glacier.

Contrairement à l’avion qui nous bouleverse tous, on n’a jamais su exactement ce qui était arrivé. Dans les deux cas on a chargé le pilote pourtant expérimenté (le deuxième avait même été chargé du transport du pape Jean-Paul II). Dans le premier avion qui n’était pas un vol régulier et transportait théoriquement uniquement des marins illettrés, on a suspecté l’incertitude des instruments d’altitude de l’époque. Pourtant la gestion surprenante de cette catastrophe, les objets inattendus que les sauveteurs qui ont bravé l’interdiction de monter sur les lieux ont trouvés, le battage médiatique et le mystère qui ont entourés cette catastrophe hantent encore la vallée de Chamonix. Quant au deuxième avion il transportait le père de la bombe atomique indienne, le professeur Homi J. Bhabba. Explosé en plein vol. Des débris qui ressemblent à ceux de l’Airbus 320… et des archives tenues secrètes pour des décennies.

Le Kangchenjunga recèle tant de mystères que j’en parlerai plus tard sur mon blog puisqu’il est le sujet du roman dont je poursuis actuellement la réécriture.

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Remonter l’Orénoque, et la source de la vie

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Remonter l'OrénoqueLe sujet de « Remonter l’Orénoque » n’est pas une histoire d’aventuriers mais un triangle amoureux ; la jeune et belle Joanna, infirmière de son état, aime le brillant chirurgien Youri pendant qu’Ignacio – chirurgien lui aussi – roule des yeux de merlan frit à la belle tout en étant l’ami de Youri.  Joanna dont le père est vénézuelien, comme celui d’Ignacio, décide de remonter les sources de l’Orénoque pour retrouver l’endroit où son père a disparu alors qu’elle était petite. Sur le cargo rouillé où elle a pris place, nous comprenons qu’elle est enceinte ou l’a été :

Je t’ai perdu, je te construis, je lutte pour toi.

Encore une histoire téléphonée à coincer entre les collections où le beau chirurgien est amoureux de la non moins belle infirmière, un mix entre Urgences et la collection Harlequin ? Absolument pas. Parce que  l’auteur du texte est Mathias Enard, et que la puissance de son écriture vous empoigne dès les premières phrases. Attention, admirateurs de phrases lapidaires s’abstenir : pour exemple les pleurs du bébé du narrateur, Ignacio, le chirurgien quinquagénaire relatant les dérives destructrices de Youri :

(…) elle pleurait avant de s’endormir et ces appels insoutenables pour l’humanité qui y perçait, pour cette douleur universelle qui nous bouleversait, cette petite chose fragile hurlant dans le noir nous forçait à nous précipiter, vaincus, pour la réconforter et la prendre un instant dans nos bras, la couvrir de baisers qui ne savaient rien empêcher de sa tristesse, elle reprenait dès que nous la mettions à nouveau au lit, de plus belle, à cause de nos caresses mêmes qui retardaient seulement l’inévitable en lui donnant le goût plus amer encore des bras tout juste perdus, de ce souvenir d’un bonheur à peine disparu, si présent que le noir, le basculement dans la nuit devenait alors une torture, j’entendais ses cris, elle pleurait sur notre injustice, sans comprendre pourquoi rituellement nous l’abandonnions au moment où elle avait besoin de nous, justement parce qu’elle avait sommeil et que le sommeil l’effrayait.

J’ai raccourci la phrase d’un bon tiers, mais que ceux qui ont entendu pleurer un bébé de détresse la nuit osent dire qu’ils ne reconnaissent pas intimement ce moment-là… Très vite on est saisi par cette écriture qui vous assène par vagues des images et les actions comme dans un film. Lorsqu’on a terminé le roman, le retour au début s’impose absolument et l’on comprend à rebours les subtilités et douleurs de ce surprenant début :

Assis sur ma chaise, je pensais qu’il a raison, ce que l’on attend à présent des corps, c’est la putréfaction en silence, l’oubli, et de l’âme la survie sur les rôles et les registres, les certificats et les papiers, les marbres, les images. (…) les cadavres doivent disparaître, ils sont confiés à des professionnels chargés de les dissimuler, responsables de leur entrepôt, de leur manutention, de leur stockage, de leur destruction dans la terre ou les flammes, (…) .

Puissance, horreur, fascination… et exactitude. Les sentiments humains face à la mort, peur et lâchetés mêlées, sont radiographiés avec une cruauté et un talent confondants. Tout le reste est à l’avenant.

Les protagonistes de cette histoire semblent parfois archétypaux : le Russe romantique et destructeur, le Sud-Américain gentil, l’héroïne qui a tout d’une agnelle…  Le véritable personnage  de ce roman c’est l’hôpital présenté comme un gigantesque corps vieillissant, un bateau qui prend l’eau et dont les acteurs, droits dans les bottes de leurs privilèges, ne prennent pas l’aune du naufrage. Ce qui se passe durant la fameuse canicule si mal gérée en son temps et si admirablement décrite dans le roman, en est le triste exemple :

Toute la journée nous tournions en rond, l’œil sur le thermomètre, jusqu’à ce qu’un après-midi les urgences nous appellent, descendez, descendez tous, on n’y arrive plus, l’apocalypse a commencé. Des brancards partout, dans les couloirs, dans les consultations, dans la salle d’attente, des personnes âgées pour la plupart, mais aussi des touristes tombés d’épuisement place du Tertre, des enfants fiévreux dont les parents affolés ne savaient que faire et couraient à l’hôpital le plus proche, des malades fragiles que la chaleur paraissait sur le point d’achever, bien plus, bien plus de patients que de personnel, (…) nous avions mis quelqu’un à la porte pour trier les arrivées, choisir entre l’urgent, le très urgent, l’extrêmement urgent, les pompiers étaient de plus en plus énervés, ils essayaient de refroidir les gens dans la rue, à la lance à incendie, avec les glaçons du bar du coin, tout le monde courait après des fantômes – il paraît qu’on va nous apporter de la glace, il paraît qu’on va déclencher un plan d’urgence pour rappeler tous ceux qui sont en vacances, il paraît que cette nuit il va y avoir un orage. (…) Les urgences surpeuplées, insuffisamment aérées sentaient la sueur et la mort, et la morgue, la morgue même s’étendait en dehors de ses frigos comme une marée noire.

La fin magnifique, bouleversante et surprenante de « Remonter l’Orénoque » est le dernier coup de poing qui laisse le lecteur KO debout d’admiration.

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Changement de maquette

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Chers lecteurs,

Pour rendre la lecture de ce blog plus confortable pour les possesseurs de smartphones, celui-ci change de maquette. J’espère que les changements seront bien perçus.

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