Archives de l’auteur : Nicole Giroud

Humour madérien

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Fragile...

Fragile…

On a le sens de l’humour à Madère, on aime plaisanter avec indolence et gentillesse, témoin cet immeuble plus que décati dans la vieille ville de Funchal. Le quartier n’a pas encore viré à la pâtisserie touristique de certaines rues où le malheureux au teint trop pâle se trouve coincé entre deux rangées de restaurants qui possèdent chacun un racoleur. On voit ça partout dans le monde, il faut bien vivre, mais ici le racolage se fait en douceur, Demain peut-être ? et un sourire pour faire pardonner le harcèlement.

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Mailman, facteur obsessionnel d’une Amérique minuscule

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MailmanMailman est un facteur américain comme nous le précise le titre du premier chapitre de la première partie de ce pavé de 669 pages. Celui-ci nous raconte les aventures drolatiques, obsessionnelles et pathétiques d’Albert Lippincott que durant tout le roman le narrateur n’appellera que Mailman tellement la fonction lui donne son identité.

Albert, fils d’un professeur d’université et d’une chanteuse ratée, frère cadet de Gillian la sœur un peu perverse avec qui il entretient dès l’enfance des relations troubles, est né dans une famille où l’amour et la communication ne sont pas servis à tous les repas.

Il commence de brillantes études de physique avant de connaître un accès délirant où il est convaincu d’avoir compris la théorie universelle : tout ce qui est petit est le reflet du grand ; suite à quoi il agresse le professeur qui est l’étoile montante de l’université en essayant de lui mordre un œil. Pendant son séjour à l’hôpital psychiatrique il tombe amoureux de Lénore son infirmière et l’épouse. Suite à son épisode délirant, il ne peut plus poursuivre ses études et devient facteur dans la petite ville de Nestor.

Le livre commence des années plus tard quand Mailman est divorcé de Lénore mais toujours facteur à Nestor. Un facteur un peu particulier qui subtilise du courrier pour le lire et le photocopier avant de le remettre à ses destinataires. La machine se grippe lorsque Jared Sprain un jeune artiste se suicide avant que Mailman ait eu le temps de lui rendre sa dernière lettre.

Tout s’enchaîne alors : les ennuis avec une locataire haineuse qui a vu Albert mettre la lettre de Jared dans la boîte et le dénonce à sa hiérarchie, les ennuis avec son chef, les ennuis avec les chats que lui imposent les femmes de sa vie, ex ou défunte…

Nous sommes dans un film des frères Cohen : un héros pathétique et miteux déclenche des fous-rire avec ses galères, ses joies minuscules et ses obsessions ;  nous sommes dans La journée de la marmotte avec le ballet de Volvos ornées de tutus, les majorettes et la reine des produits laitiers sur son char de la fête de Nestor. Ensuite viennent les nettoyeurs :

Arrivés dans une camionnette, les cantonniers de la ville entreprennent de démonter la tribune. Vêtus de gilets et de casquettes orange portant l’inscription SUPERÉQUIPE 2000, une vingtaine d’adultes handicapés moteurs et mentaux sont dirigés vers la grand-rue ; ils sont équipés de sacs-poubelle en plastique et de bâtons munis de pinces métalliques. Après s’être déployés d’un trottoir à l’autre, ils entament leur lente progression en direction du lac, leurs pinces raclant le sol.

Mailman a gagné lors d’un concours de la radio locale un petit appareil photo et il s’en sert désormais pour saisir la vie, les choses minuscules de la vie : le bâton d’une majorette haut dans le ciel, les handicapés, sa sœur, toute la vie qu’il essaie de capter à défaut de pouvoir s’y intégrer. Cela nous renvoie par effet de miroir à cet œil qu’il voulait mordre : désormais le petit objet de plastique bon marché  remplace cette forme de pouvoir dédié au regard.

Le lecteur est pris dans les aventures de Mailman, son esprit délirant qui fait des allers-retours entre passé et présent. Les descriptions magnifiques de tous petits faits d’une tout aussi petite ville américaine ne suffisent cependant pas à éviter l’ennui : trop de détails étouffants. On sait que cela correspond à l’esprit délirant d’Albert se noyant dans les détails pourtant il est difficile de ne pas sentir son attention vaciller dans la première partie du roman. Un conseil : plutôt que d’abandonner ce livre magnifique mais boursouflé de trop de détails, laissez glisser votre regard jusqu’à ce qu’un autre épisode vous accroche.

Avec l’engagement de Mailman dans les Corps de la Paix, une association humanitaire pour apporter les lumières de l’Amérique partout où on a besoin d’elle, l’intérêt revient. La description précise et cruelle de la formation des bénévoles, ainsi que celle de la petite ville du Khazakstan où atterrit Albert sont des pépites.

Après cet épisode les démêlés de Mailman avec sa hiérarchie s’aggravent et vous avez de nouveau quelques pages de trop dans l’interrogatoire musclé que subit  Mailman. Mais lorsque celui-ci décide de fuir plus question de lire en diagonale : la tension est permanente. Albert va très mal, une grosseur au ventre le fait terriblement souffrir et nous voyons son état physique se délabrer. Cette fuite qui ressemble à un retour en arrière : d’abord voir sa sœur à New York puis ses parents en Floride, c’est à la fois une forme de retour sur soi et une façon de boucler la boucle.

Poignant. Sa sœur est une actrice ratée qui supplie pour n’importe quel petit rôle, ses parents sont dans un état de dégradation avancée. Et lui :

Son visage est là, c’est bien lui, oui : l’image la plus familière du monde, celle qui devrait lui apporter un peu de réconfort alors que tout le reste part en sucette. Il n’en est rien, hélas. (…) C’est son visage, d’accord, mais pas celui auquel il est habitué. Comme s’il ressemblait à quelqu’un d’autre que lui. À son père. Pas seulement parce qu’il fait plus vieux, mais parce qu’il est, comme son père, égaré sur le chemin de sa propre vie.

Le pathétique de la grande vieillesse et du désarroi extrême, et toujours des scènes à la cocasserie dérangeante comme le repas d’anniversaire du père d’Albert au restaurant avec vieillards lubriques ou tragiques, conversations navrantes et tickets de réduction pour repas avant 17 heures.

Rien de ce qu’on envoie n’a de valeur tant que ce n’est pas arrivé à bon port.

C’est le fardeau du facteur, celui de tout être vivant dont la vie prend sens au moment de sa mort.

Où que votre vie finisse, elle y est toute écrivait Montaigne. Celle d’Albert Lippincott dit Mailman se termine au bord d’un marécage donnant sur l’océan dans une Amérique où

Les vieux pleins de fric rétrécissent, rapetissent, perdent même certains de leurs membres, tandis que leurs voitures grossissent.

Une Amérique dont l’auteur, J. Robert Lennon, nous livre des tableaux si précis et si cruels que  le rire nerveux s’étrangle pour laisser place au malaise et à la tristesse.

Ce livre, je l’ai pris d’instinct : les couvertures inimitables des éditions Monsieur Toussaint Louverture me semblaient l’assurance d’une découverte. Après  Karoo et malgré quelques réticences dues à la longueur du texte, je n’ai pas été déçue.

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Gengis Khan traqué par les internautes

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Gengis KhanDans la catégorie mystère absolu je demande Gengis Khan (1165-1227), le maître du plus grand empire qui a jamais existé sur terre : cela fait huit siècles que chercheurs de trésors fabuleux et archéologues obsessionnels cherchent sa tombe.  Rien. Des légendes plus sauvages les unes que les autres de témoins massacrés par d’autres témoins qui à leur tour… Rien.

Cela ne devrait plus durer, à l’heure des satellites et du crowdsourcing l’arme archéologique absolue s’est mise en marche et la tombe du chef suprême des Mongols qui a disparu sans laisser de traces devrait être découverte. Le crowdsourcing est une participation citoyenne à très grande échelle, une étude de collaboration de masse pour laquelle des milliers de personnes se mettent au service d’une recherche.

Les archéologues de ce début du XXIe siècle ont décidé de résoudre le mystère qui entoure la tombe du grand Khan et fait appel aux images satellitaires à haute résolution (0,5m/pixel) du satellite américain GeoEye et aux contributeurs bénévoles chargés de scruter ces  images. GeoEye a découpé 6 000 km2 en 84 163 images où chacun peut localiser des anomalies archéologiques.

Ces images mises en lignes et soumises à la sagacité des contributeurs chargés de les analyser avec des tags colorés ont porté leurs fruits : les internautes ont apporté 2,3 millions de contributions qui ont été analysées par des spécialistes.

Une centaine de sites intéressants se sont dégagés des contributions des internautes et parmi ceux-ci, 55 étaient de véritables sites archéologiques. La tombe de Gengis Khan n’est pas encore trouvée, bien sûr, les archéologues professionnels doivent explorer maintenant ces dizaines de sites en Mongolie qui n’auraient jamais été repérés sans l’attention des internautes.

Cette enquête archéologique participative a permis un travail qui n’aurait jamais été possible sans elle et cet exemple de collaboration bénévole de masse montre les possibilités extrêmement bénéfiques que l’on peut attendre d’un outil comme Internet. Comme tout instrument puissant le meilleur et le pire cohabitent, à nous de choisir massivement ce qui peut faire progresser la science et la connaissance, en un mot le progrès dans l’acception la plus positive de ce terme.

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Télescopage poétique dans le cosmos

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comèteTrouvé page 44 dans un article de Sciences et Avenir de mars 2015 intitulé Enquête cosmique sur les origines de la vie ce magnifique télescopage poétique :

La mission américaine Stardust (2004) a d’ores et déjà rapporté de la glycine retrouvée dans la chevelure d’une comète.

De la glycine dans la chevelure d’une comète. Ce mauve tendre qui dispense en odeurs suaves l’enchantement des premiers beaux jours, ces longues grappes pendantes si délicates retrouvées dans les cheveux de glace d’une comète errant dans l’infini intersidéral. Du mauve, du blanc, du gris, du noir profond. Un tableau magnifique.

Bien sûr cela n’a rien à voir avec ce qui enchante les astrochimistes : la glycine est un acide aminé, le plus simple et le plus petit, et sa présence sur une comète accrédite l’hypothèse des chercheurs selon laquelle l’origine de la vie sur terre pourrait être d’origine extraterrestre.

Dans les deux cas, cette glycine retrouvée dans la chevelure d’une comète apporte son lot de rêve, vous ne trouvez pas?

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Le corps des Français devient propriété de l’état

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transplantationsUne  loi sur la santé a été votée en première lecture par les députés le mardi 14 avril : qui en a parlé dans nos journaux tout occupés de la chaleur estivale régnant sur le pays ?

Cette loi est pourtant fondamentale : elle institue la mainmise de l’État sur le corps de tous les Français. Tous les Français majeurs deviennent désormais des donneurs présumés consentants, à moins d’avoir signifié leur refus en s’inscrivant au registre national du refus de dons d’organes.

Qui a connaissance d’un tel registre ? Quel jeune de dix-huit ans, à l’âge où l’on se croit immortel, va demander un tel formulaire et l’envoyer par la poste ?

C’est une OPA massive et brutale sur la population qui vient de passer en première lecture à l’Assemblée nationale. En cas de mort accidentelle, les proches n’auront plus leur mot à dire pour le prélèvement d’organes, ils seront seulement informés et plus consultés, mis devant le fait accompli. Alors qu’ils viennent d’apprendre la mort de leur enfant des médecins leur diront ce que l’on va prélever sur le corps de celui-ci.

Bien sûr que cela permettra de sauver beaucoup de vies, tant de gens se trouvent en attente d’une greffe ! Près de 20 000 personnes attendent qui un cœur, qui un poumon ou une cornée. Elles attendent la mort de quelqu’un pour avoir la possibilité de prolonger leur propre vie. Difficile situation par la notion de don volontaire.

Jusqu’à présent une équipe était chargée de préparer les proches, elle était à l’écoute de leur souffrance malgré les délais très courts, seulement quelques heures avant que les fonctions du corps commencent à se dégrader.

Il est vrai que près de 40% des familles refusent que le corps de leur enfant, parti à l’école ou chez des copains et qui a tardé à revenir à la maison soit découpé en morceaux. On leur explique que l’on va prélever les cornées, le cœur, les poumons, les reins. Qui est assez fort  pour ne pas secouer la tête avec horreur ? Et puis la souffrance laisse la place à la générosité dans 60% des cas grâce au tact et à l’empathie de ceux qui se trouvent en face d’eux.

Je ne saurai que trop vous recommander de lire le magnifique livre de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants qui traite de ce douloureux sujet.

Cette loi est d’une brutalité terrible. Il ne s’agit plus désormais de don d’organe mais de prélèvement autoritaire. Je ne suis pas sûre que la médecine gagne en humanité. Les listes d’attente vont diminuer et beaucoup plus de receveurs vont vivre, c’est positif. Mais là où ils étaient conscients de la valeur du don que des familles dans un état de souffrance absolue avaient accepté, ils  se retrouveront ’avec un organe autoritairement prélevé. Je gage que nombre de problèmes psychiques nouveaux vont apparaître chez les receveurs…

Pourquoi ne pas envoyer au domicile de tout Français (ainsi qu’à chaque jeune atteignant sa majorité) une lettre expliquant le don d’organe en lui demandant son accord pour ce geste citoyen au cas où un malheur arriverait ?  Libre à la personne de refuser.

Un consentement éclairé d’un être en pleine conscience vaut beaucoup mieux qu’’une souffrance brutale. Pour le personnel hospitalier, pour les familles, pour les malades. En fait pour nous tous.

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