Brouette et création romanesque

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La brouette est le meilleur ami de l'écrivain

La brouette est le meilleur ami de l’écrivain

Celui qui occupe le rôle de coach, thérapeute, conscience, graphiste, correcteur et dépanneur d’ordinateur, a pris sa casquette de lecteur et il s’amuse beaucoup avec ce qui est devenu la sixième version de Fragments. Fragments ? Oui, l’abrégé de Fragments de vie avant désintégration le titre provisoire et beaucoup trop long de mon dernier roman.

Je l’entends rire et puis il ajoute, fielleux :

— Au fond tu lui donnes une méthode drôlement efficace, à ton écrivain. Dommage que tu ne pratiques pas de la même façon.

Ce genre d’allusions à mon ordre est particulièrement bas, mais je le prends avec la sérénité de Bernard Palissy devant les remarques de son épouse qui trouvait que brûler les meubles de la maison pour alimenter le four était excessif.

Ma comparaison ne convient pas du tout : Palissy faisait le ménage par le vide, je fais le contraire : j’accumule.

Mon bureau déborde de papiers divers d’origines très variées ce qui explique l’assemblage plus que disparate qui s’étale sur ma belle table en bois. Bordures de journaux sur lesquelles j’ai gribouillé une remarque parce qu’une idée m’a traversée alors que je lisais les nouvelles et ensuite j’ai déchiré la feuille, je ne suis pas un as du découpage. Versos de courrier de la banque qui ne rejoindront jamais les classeurs adéquats. Fiches de toutes les couleurs achetées le jour où j’ai décidé que je devais me discipliner. Feuilles de classeur et de cahier arrachées. Je ne compte pas les manuels de référence : dictionnaires des synonymes (j’en ai deux), le Bon Usage de Grévisse, une grammaire du français contemporain, le Petit Robert et le Larousse. J’essaie de les ranger sur la bibliothèque derrière moi mais c’est difficile de me séparer d’eux, ce sont mes doudous rassurants. Au milieu de tout ça l’ordinateur portable peine à se faire une petite place. L’ensemble tient d’une plaine dévastée après la tornade car au milieu des papiers surgissent des baleines échouées sur la rive : paires de ciseaux, taille-crayon, montre, prospectus de vacances et même cadre attendant une photo.

Un écrivain normalement constitué ne peut pas créer une histoire au milieu d’un foutoir pareil, pense l’homme qui partage ma vie ; ses gènes helvétiques se révoltent devant le spectacle.

— Et le plan, tu peux me dire quel plan tu suis ? Il te faut un plan.

Les plans quinquennaux de l’ex-URSS lui auraient très bien convenu, je suis sûre, on voit où cela a mené le pays, cette planification outrancière. Je m’égare. Le fait est : sur mon bureau, pas de boîtes à chaussures contenant des fiches bien ordonnées. Je ne saurais pas où les mettre. Mon écrivain est de la pure fiction.

L’époux a renoncé depuis longtemps à émettre des remarques concernant ma méthode de travail, il se contente désormais de soupirer lorsqu’il me voit sortir en sabots et me diriger vers mes instruments singuliers de réflexion, à savoir la brouette, la pelle et la bêche. Je pourrais écrire « ma » brouette, ce serait plus juste. Balzac était l’as de la cafetière, je suis la reine de la brouette. Certains progressent dans leur intrigue en gribouillant sur une feuille de papier ou en fumant une cigarette. Moi je creuse.

Ceci n’a pas que des avantages, mais nous avons la chance d’habiter un lieu situé dans une pente. À chaque roman sa terrasse ; je creuse, je charge la brouette et décharge ailleurs le tas de terre. Petit à petit la nouvelle terrasse prend forme, l’histoire aussi. À chaque dizaine de brouettes mes héros progressent ou se retrouvent dans la panade. Après il faut évacuer la terre mais ceci est une autre histoire, « notion bourgeoise de la création » aurait dit Francis Blanche dans Les Barbouzes, et mon mari est d’origine bourgeoise, d’où sa mâchoire qui s’approche du sol lorsqu’il voit le tas devenir de plus en plus conséquent. Cela ressemble à un problème d’école primaire : le tas de terre au fond du jardin grossit à mesure que l’obstacle dans la narration s’aplanit.

Mon « fiancé » comme l’appelle une de nos connaissances, préférerait que je fasse des brouillons, je vais m’abîmer le dos, insiste-t-il en louchant sur le monticule au fond du jardin.

Pour l’instant il est content. J’ai taillé dans les développements, comme il me l’avait demandé, et il fait trop chaud pour la brouette.

 

 

 

 

 

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Une petite soif ?

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Une grosse soif ?

Une grosse soif ?

Il fait très chaud, une petite soif ? Vérifiez le contenu de la bouteille avant de boire au goulot.

Cette œuvre du jeune artiste d’origine belge Thomas Lerooy se trouve au Petit Palais à Paris.

De quoi vous refroidir à défaut de vous rafraîchir.

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Les garçons herbivores au Japon

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Au Japon la poésie et l’usage des métaphores font partie de la culture. En 2006 une chroniqueuse a utilisé une métaphore zoologique qui a fait fortune pour désigner les jeunes garçons qui montrent peu d’intérêt pour le sexe, les « Soshoku Danshi », les garçons herbivores, opposés aux « Nikushoku Danshi », les garçons carnivores, ceux qui aiment le sexe et la drague.

Herbivores, carnivores, choix de nourriture, choix de vie. Je me souviens qu’il y a quelques années, à Paris, un jeune Japonais avait mangé son amie, une Hollandaise un peu grassouillette. Il y avait eu procès, et le jeune homme dont le père était fort puissant (!) avait été déclaré irresponsable. Après un court séjour en hôpital psychiatrique il avait été rapatrié au Japon où il a animé une émission dans laquelle il expliquait que les meilleurs morceaux de la femme étaient les seins. Je ne sais pas ce qu’il est devenu, si son émission a été maintenue longtemps et s’il a trouvé d’autres amies à cuisiner. Je m’égare, revenons à nos herbivores métaphoriques.

60% des jeunes Japonais se reconnaissent dans ce profil d’individu soucieux de son apparence et peu motivé par la carrière et le sexe, le terme même d’herbivore ne les choquent pas. Il s’agit d’un véritable phénomène de société, une façon de refuser le schéma japonais traditionnel, sans doute, mais cela ne fait pas l’affaire des femmes, ces anti-machos trop doux et trop mous, ont la nostalgie des hommes virils. Alors elles ont pris les choses en main, elles sont devenues des « Nikushoku Joshi », des femmes carnivores, prêtes à la chasse à l’homme.

Il y a pire cependant que les garçons herbivores, ce sont les « hommes-bouddhas », les cas désespérés, ceux qui ont renoncé au sexe. Autant les qualifier d’Éveillés, la consolation de la religion faisant passer l’affront auprès de ces dames.

Si vous désirez en savoir plus sur les garçons herbivores.

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Le tabac Tresniek, le cigare de Freud et des niaiseries

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le tabac TresniekCe livre d’un scénariste allemand restitue (avec justesse ?) la période précédent juste l’Anschluss en Autriche à travers l’éducation sentimentale d’un jeune paysan dans la Vienne populaire. 1937 : Franz Huchel, dix-sept ans,  se rend à Vienne pour travailler dans un bureau de tabac, le Tabac Tresniek, nom du patron  qui a perdu une jambe à la guerre.

Plutôt mince, mais les arguments ténus donnent parfois des livres remarquables. Une fois de plus je me suis fait avoir par la présentation de la quatrième de couverture.

Le livre, d’après celle-ci, a connu un grand succès dans les pays germanophones. J’avoue que je saisis mal pourquoi : parce qu’il se situe dans une période particulièrement sensible ? Parce que le garçon parle de ses problèmes sentimentaux à Sigmund Freud et lui offre des cigares en échange ? Parce que l’auteur est connu des médias ?

« Par la grâce d’une langue jubilatoire, d’une intrigue où la tension ne se relâche pas, et de personnages forts et attachants, voici un roman qui se lit d’un trait . » Etc, etc.

La personne qui a pondu la quatrième de couverture bénéficie de toute mon admiration.

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La couverture d’«Après la guerre»

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Après la guerreNinon Carrier, la jeune et talentueuse graphiste a  préparé cinq projets de couverture pour le recueil de nouvelles. Nous nous étions vues deux fois pour qu’elle se pénètre bien de l’esprit des nouvelles, je lui avais parlé de ce qui me semblait important, Ninon avait pris des notes. Nous nous étions revues, mais cette fois mon mari technicien-correcteur-graphiste habituel était de la partie. Conversation technique entre les deux, je ne comprenais pas grand-chose, avouons-le. Les cinq projets que Ninon a réalisés possèdent tous une originalité, une présence, avec des effets graphiques dont je n’imaginais même pas l’existence. C’est le premier projet que nous avons retenu, mon mari et moi ; sans nous concerter : c’était celui-là et pas les autres. De son côté, c’était aussi le préféré de Ninon.

Cette couverture, c’est l’esprit-même des nouvelles, si bien capté par l’hyper-sensible jeune femme :  des rails de train brisés sur une voie vide, avec les montagnes de Haute-Savoie pour horizon, une maison moderne à droite et une impression de vide sur les bas-côtés.

La photo originelle a été prise par Bernard, le compagnon de toute ma vie, Ninon l’a inversée, travaillée, c’est devenu totalement sa création. Le centre de la photo est plus clair, comme surexposé : l’irruption de ce passé obsédant dans le présent, ce passé qui détruit les couleurs de la vie et les transforme en gris, ce passé qui agit comme un filtre et déforme la perception des survivants. Et les caténaires le long de la voie, obsédants, menaçants. On pense à un camp, une prison. Il y a de l’étouffement dans cette photo pourtant ouverte sur les montagnes, cette photo où un virage devrait permettre toutes les échappées de l’imagination et de l’avenir. Mais il y a les rails brisés au premier plan qui occultent tout le reste.

C’est exactement ça. Les rails brisés de la guerre et là-bas, au loin, dans le virage, la vie qui se poursuit.

Merci, Ninon pour ce beau travail plein de finesse et de sensibilité. Dans un autre billet j’expliquerai pourquoi tu as tenu à faire cette couverture, toi qui es si occupée par ton entreprise Marks, mais seulement si tu le permets, et je ne suis pas sûre d’obtenir l’autorisation de quelqu’un d’aussi pudique que toi. En lisant les nouvelles, il est vrai que les lecteurs comprendront.

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