Le village indonésien qui crée nos logos

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designersCette histoire se passe en Indonésie, dans le village de Kaliabu, un gros village devenu prospère depuis moins de trois ans. Cela commence par un gros lot : un villageois chauffeur d’autocar de 45 ans remporte 400 dollars lors d’un concours international de design.

« Je venais d’apprendre le design trois mois auparavant auprès d’un ami », raconte Abdul Bar.

Par un autre ami il avait entendu parler des concours de design en ligne. Il cherche des détails sur ces concours, regarde les différents sites de graphisme, voit ce que les Occidentaux recherchent. Abdul gagne son premier concours grâce à son talent, sa réflexion et sa curiosité.

Il aurait pu se contenter de parader devant ses voisins et susciter leur jalousie devant sa bonne fortune. Pas du tout : il transmet son très récent savoir à quelques personnes du village qui partagent à leur tour leur science toute neuve avec d’autres, etc. Tout le village se met au design sur ordinateur.

Abdul a peaufiné une méthode pour augmenter ses chances de gagner : amélioration de sa culture du design grâce à certains sites et compréhension de ce qu’attendent les Occidentaux. Il transmet cette méthode aux autres.

Ces concours sont une mine d’or potentielle ; toutes les entreprises veulent avoir leur logo, qu’on les reconnaisse, qu’on les identifie parmi tous les concurrents, toutes, de la plus grande à la plus petite. Pour un petit commerçant américain cela ne coûte pas cher de lancer un concours de logos en ligne, mais dans le village de Kaliabu, le montant du prix représente une petite fortune. Par exemple le salaire mensuel d’un jeune homme qui a déjà remporté plusieurs concours était de 58 euros.

Avec des milliers de concours tous les ans, le village s’est mis à l’informatique et au design ; il a aussi appris l’anglais, parce que les traducteurs en ligne des conditions des concours étaient assez étranges. Je ne sais pas si vous avez déjà utilisé le traducteur automatique de Google…

Les villageois se sont mis à remporter presque tous les concours de design en ligne dans le monde ! Le village a changé de vie : transformation des conditions matérielles, bien sûr, mais également ouverture sur autre chose que la tradition. Le monde entier est entré à Kaliabu en même temps que le design, avec la culture et le graphisme occidentaux, une autre notion de la beauté a changé leur vie. L’argent des concours a permis à certains jeunes de payer des études dont ils n’auraient même pas rêvé avant le premier concours d’Abdul Bar le chauffeur et de tout ce qui en était suivi.

Les solidarités villageoises ont été renforcées alors que la modernité détruit souvent les liens ailleurs dans le monde. À l’heure où l’on étrangle la Grèce, berceau de notre civilisation, cette histoire vraie a de quoi faire rêver, non ?

Les designers de Kaliabu ont eu droit à un documentaire, ils ont leur notice Wikipédia, et bien sûr ils sont sur Facebook ! Ils ont créé une communauté appelée Rewo Rewo, qui désigne les voyous en javanais. Parce que personne n’a été exclu du savoir et que les mauvais garçons d’autrefois sont devenus des geeks comme les autres gens du village.

Kaliabu designer community, called Rewo Rewo

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Mortalité maternelle aux USA

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Un petit article trouvé dans le magazine Alternatives Économiques de juin 2015 m’a interrogée :

Les États-Unis sont le seul pays au monde où le risque de décès d’une femme au cours ou des suites de sa grossesse augmente.

Selon une étude de l’OMS (Trends in Maternal Mortality : 1990 to 2013)  c’est-à-dire Tendances concernant la mortalité entre 1990 et 2013, le taux de mortalité chez les femmes enceintes est passé aux États-Unis de 11 décès pour 100 000 naissances en 1995 à 28 en 2013.

La première des causes est la progression de l’obésité dans le pays. Actuellement, 60% des femmes enceintes sont en surpoids et 20% d’entre elles sont obèses selon les estimations les plus basses. Or l’obésité expose la femme enceinte à des complications comme le diabète gestationnel ou une pré-éclampsie.

L’autre cause concerne la difficulté de l’accès aux soins pour les minorités. Apparemment l’ObamaCare destiné à donner une couverture de soins aux plus démunis n’est pas encore entrée dans les mœurs. La réforme de la santé a été adoptée en 2009, mais l’intégralité de la loi n’a été validée par la cour suprême qu’en juin 2012. Il faut sans doute attendre pour que ses effets se fassent sentir.

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Estomac et zygomatiques

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Comment j'ai mang mon estomacCher monsieur Bertrand,

Merci pour la recette de potage à base de fanes de radis. Délicieux, mon estomac en redemande.

À propos d’estomac, j’ai bien digéré le vôtre, quoique les sursauts intempestifs de mes zygomatiques m’aient dérangés tout au long de ma lecture. J’avoue que je ne m’attendais pas à un livre aussi drôle sur un cancer de l’estomac. Votre description précise du parcours de combattant du malade que vous avez été – différents hôpitaux, médecins, infirmières, traitements – ainsi que les annexes comme les dames patronnesses reconverties en visiteuses médicales maintenant que la religion n’est plus ce qu’elle a été, aurait pu nouer le mien, d’estomac. Il n’en a rien été.

Votre humour distancié, associé à une forme de gentillesse, j’allais dire de naïveté ou de bonté rafraîchissante, m’a secouée de rire malgré la gravité du sujet.

Après l’intermède lyonnais, il avait été convenu qu’on allait, dans le plus confortable des hôpitaux parisiens, me refaire un système digestif en opérant par la voix dite de Lewis (célèbre alpiniste de la chirurgie digestive ?), démarche qui consisterait à m’ouvrir la cage thoracique et à m’écarter les côtes. Plus quelques trous par-ci par-là, pour introduire des caméras, des ciseaux, des drains et je ne sais quoi. Je n’éprouvais aucune sympathie pour ce Lewis. (…) Sujet au mal de mer, j’avais une double prévention contre la chimiothérapie, mais je ne crus pas devoir discuter, sur le moment.

Votre humour fait merveille dans ce petit livre où le mot « douleur » n’est jamais prononcé et la réalité de la chose mise à distance pour ne pas gêner vos lecteurs. Mais la littérature, ah, la littérature, celle qui sauve quand la santé fout le camp, voilà que vous convoquez à votre chevet, dans le désordre, mais l’heure n’est pas à la logique, des écrivains de toutes époques et de tous horizons.

Je me souvenais de Gide, dont le directeur des études de la grande école s’était inspiré pour prévenir les étudiants de première année : « Ici, chacun suit sa pente, en la remontant ». Mon dieu, bien sûr. « Le but suprême du voyageur est d’ignorer où il va », prétendait Lie-Tseu. Thoreau précisait que celui qui n’a pas le sentiment de se rendre en Terre Sainte au cours de la moindre de ses promenades n’est qu’un vulgaire traînard.

Il faut bien ça pour supporter les insupportables attentes à tous les niveaux, que ce soit chez les médecins ou sur un fauteuil dans une salle d’attente (la cruellement bien nommée).

On vous installe dans un fauteuil roulant et vous devez attendre le voiturier. Il sera là dans une demie-heure, ou dans une heure ou deux. Il arrachera une couverture de votre lit pour vous en couvrir les épaules. En voyage ! Il vous abandonnera ensuite dans une salle d’attente bondée. Dans le meilleur des cas, vous serez radiographié dans une heure. Puis il vous faudra patienter jusqu’au retour du voiturier. Ça peut durer très longtemps.  La semaine précédente, une infirmière finit par m’apercevoir :

— Vous êtes encore là, vous ? Ça fait un moment…

— Deux heures, marmonné-je.

Elle téléphone.

— Il faut remonter un patient oublié en radiographie. (Se tournant vers moi) Désolée, il n’y a personne de libre dans l’immédiat, mais ça va venir.

Vous écrivez des lettres, vous aussi. À votre docteur, à la personne chargée de la chimio, vous demandez des faveurs, bref vous voulez vous sauver. Dans tous les sens du terme.

Vous avez réussi et nous en sommes heureux, vraiment heureux pour vous. Ne me remerciez pas, c’est très égoïste : j’ai envie de rire avec votre prochain livre.

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Votre pelouse est un paillasson ? Peignez-la !

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Reverdir votre pelouse avec de la peintureCanicule égale sécheresse égale pelouse qui ressemble à un paillasson.

Peu esthétique, me direz-vous, à moins d’être adepte de films post-apocalyptiques. Rassurez-vous, la solution existe : peignez-la ! C’est ce que font nombre de Californiens qui n’ont pas le droit d’arroser leur pelouse depuis avril à cause des restrictions d’eau. Ils appliquent une peinture spécial gazon pour avoir l’illusion d’une herbe bien verte. L’important, c’est l’apparence, et de loin en sirotant un mojito au bord de la piscine l’illusion est parfaite.

La solution est plus utilisée qu’on ne croit : lors de la coupe du monde au Brésil, la veille du match du 14 juin à Manaus, un jardinier a peint le terrain de foot de l’Arena Amazonia en vert. Les Anglais avaient ainsi un beau gazon vert au lieu d’une pelade jaunâtre.

Plus loin dans le temps, durant l’ère soviétique, certains responsables de bases militaires qui allaient subir une inspection d’un général susceptible de se mettre en colère si tout ne correspondait pas à son idée d’une base propre en ordre faisaient la même chose.

On pourrait multiplier à l’envi ces exemples de travestissement de la réalité.

La peinture verte en question s’appelle Lawnlift, ce qui signifie en gros rénovation de pelouse, lift, lifting, suivez mon regard. Tout plutôt que regarder une pelouse jaunie. Vive la jeunesse de l’herbe, l’éternelle jeunesse grâce à ce produit qui se trouve sur Amazon !

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Mes clandestines de Sylvie Gracia, livre pour les femmes

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Mes clandestinesClandestin : personne embarquée à l’insu de l’équipage et qui reste cachée durant toute la durée du voyage. Le beau titre Mes clandestines me surprend un peu, elles sont si peu cachées, ces femmes que Sylvie Gracia regarde avec une tendre acuité. Les « clandestines » dont il est question dans ce livre, ce sont les femmes qui accompagnent ou ont accompagné l’auteure dans sa vie. Amies très chères ou relations de passage, elles sont nombreuses: jeunes ou très vieilles, rivale, cousine ou relation de travail, rencontrées dans le métro, la rue ou sur Facebook. Relations de hasard et souvent de nécessité qui vont participer à un autoportrait de l’auteur, « Autoportrait biaisé », écrit Sylvie Gracia. Biaisé certes, impudique sûrement.

Tant de temps il m’avait fallu pour conquérir mes propres ciels, savoir un peu vivre. Est-ce pour cela que j’avance de biais toujours, muette dans la vie, impudique et tranchante dans l’écriture ?

Autant le dire tout de suite, l’autofiction m’insupporte. Le livre brisé de Serge Doubrovsky a suscité tant de déshabillages complaisants chargés de masquer sous couvert de littérature l’indigence de la pensée depuis un quart de siècle ! J’étais méfiante et j’ai eu de la difficulté les vingt premières pages, je n’aimais pas :

Ce crime de traquer dans chaque histoire de femme une part de moi-même. Dans chaque miroir un effet grossissant.

Le moi féminin, pire, utérin. J’ai failli renoncer. Mais je me suis fait piéger par l’acuité du regard,  l’écriture, l’art du portrait, l’empathie pour toutes les femmes miroir certes, mais aimées, mais comprises. La magnifique Mathilde, par exemple, plus de quatre-vingt-dix ans, « Et toujours des mots fripouille balancés comme des coups de cymbales », Mathilde et sa lutte contre les pertes inexorables du très grand âge, portrait bouleversant d’une femme qui veut mourir debout :

Tant de noms et de visages ont sombré dans l’oubli. Ce n’est pas la mémoire qui trahit, c’est la vie qui a été dense, par couches s’accumulant et se neutralisant. (…) Les temps anciens résonnent plus encore maintenant qu’elle a du mal à faire deux choses à la fois. (…) Un bout de carton apparaît et disparaît dans l’appartement, parfois posé dans les toilettes, parfois pendu à la porte d’entrée. Raccrocher le téléphone est-il écrit dessus en lettres rouges et cursives.

Raccrocher.

Superbe, n’est-ce pas ?

Cette écriture qui oscille entre le rugueux et le précieux, l’élémentaire et le chantourné, cette écriture qui parfois irrite et souvent bouleverse, au plus près de ces femmes dans leur diversité et leur présence troublante. Femmes.

Annie Ernaux, l’écrivain tutélaire, sa grandiose universalité du moi comme une ombre maternelle au-dessus de Sylvie Gracia. L’ombre maternelle, celle qui a été mise à distance, fantôme douloureux qu’il faut pourtant convoquer à la fin du livre.

« Et vous, pourquoi me lisez-vous ? » demande l’auteur. Pour l’immersion dans la leçon d’écriture. Pour le regard. Pour ces petits morceaux de soi dans le grand collage (J’en ai pris beaucoup, rejeté d’autres qui m’ont semblé artificiels). Pour quelques femmes magnifiques, fantômes de ma propre vie, fantômes sans doute de la vôtre, à vous de choisir celles qui vous ont accompagnée.

Un livre féminin, un territoire exclusif où les hommes n’apparaissent qu’à contre-jour et rarement à leur avantage, un auto-portrait qui s’approche du grand modèle tout en défendant son propre carré.

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