Broadway et Fabrice Caro loin des paillettes

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Axel a quarante-six ans, une famille parfaite pour les statistiques, une fille, un garçon, un pavillon dans un lotissement. Et voilà qu’il reçoit une enveloppe du programme national de dépistage du cancer colorectal. L’angoisse qui s’installe, la routine qui déraille. Son fils a fait un dessin pornographique au collège mettant en situation gênante sa ravissante enseignante qui va très vite faire fantasmer son paternel, sa fille vient de se faire larguer par son copain et demande à son père de l’aider, les amis de sa femme veulent qu’il parte faire du paddle à Biarritz pour les vacances, tout cela sans compter le voisin amateur de whisky à qui il n’a pas osé avouer qu’il déteste ça. Apéritif obligatoire tous les trois mois, lotissement et paix du voisinage obligent.

Mon regard se brouille à force de regarder, soupeser, évaluer, comparer les différentes marques de whisky, planté devant le rayon depuis une bonne dizaine de minutes sans parvenir à me décider, tentant laborieusement d’attribuer des moyennes pondérées incluant des paramètres tels que : prix (il ne doit pas être bon marché, mais pas hors de prix non plus), marque (il se doit de sonner « vieux village d’Écosse et murs de pierre »), ou forme de bouteille. (p. 105)

Axel est un peu à côté de sa vie, il y a du Charlot dans l’humour de Fabrice Caro, un éternel enfant perdu dans ses rêves, ses roueries et ses ennuis. Les gags s’accumulent, comme si le héros se ramassait toujours une planche sur la tête ou si le gendarme le guettait prêt à frapper. Nous rions avec cruauté et compassion devant ce héros qui n’a pas compris les règles du jeu en société.

[…] des ados visiblement en vacances en groupe jouent à s’envoyer un paquet de gâteaux (des Pépito) comme un ballon, à un moment l’un d’eux loupe sa réception et fait tomber le paquet à terre, brisant la dynamique de la scène, il fait mine de rien, il fait mine de c’est pas grave de pas avoir réussi à attraper un paquet de Pépito, mais une lueur traverse ses yeux et son premier réflexe est de jeter un œil furtif à la jeune fille brune frisée qui fait partie du groupe mais se tient un peu en retrait, et la fille l’a vu, elle l’a vu rater le paquet, et il s’est joué quelque chose d’important, ici et maintenant, de l’ordre du combat, de la confiance, de l’estime de soi, en ratant la réception du paquet sa vie vient de prendre une inflexion qu’il ne soupçonne pas […]. (p. 187)

Tout fait signe, tout le ramène à son sentiment d’échec, son envie de fuir une existence dont il ne contrôle rien. Le spectacle sur Broadway complètement raté de sa fille lorsqu’elle était enfant rejoint ses échecs pathétiques, ses grands rêves de révolte et ses lamentables soumissions à l’autorité (celle de sa femme à la place de l’agent de police de Charlot).

On rit beaucoup, l’écriture facile relate sans temps mort les situations absurdes et pourtant familières qui s’enchaînent, et d’un seul coup il nous fait de la peine, ce bientôt quinquagénaire angoissé, peut-être parce qu’il nous ressemble, avec nos grands rêves et nos renoncements. La vie quotidienne, loin des paillettes de Broadway.

Broadway
Fabrice Caro
Gallimard Sygne, août 2020, 208 p., 18€
ISBN : 978-2-07-290721-0

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