La baleine du lac d’Annecy, véritable chant des sirènes.

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Murray Haig fréquente le lac d’Annecy et ses buvettes, il pêche à bord de sa barque centenaire, la belle Mrs Dalloway, avec dans sa poche Le vieil Homme et la Mer, compagnon de haute solitude. Un jour Murray voit une baleine dans le lac, aussi réelle que le monstre du Loch Ness photographié par le docteur Wilson. En hommage en son illustre devancière surnommée Nessie, Murray appelle sa baleine Jessie. Mais comment convaincre les autres – lorsqu’on est un angoissé alcoolisé permanent – de la véracité de sa vision ?

Pauvre vieux benêt de quarante ans qui se rassure en embrassant son nounours ! Réconforté par sa peluche dans les bras, car il a peur du noir et du dehors ! Peur de vieillir, peur de mourir ! L’imbécile ! Va te faire bouffer tout cru par la baleine, Murray Haig, triste pique-assiette du Vieil Homme et la Mer, tragédien plein de farine, et qu’on n’en parle plus ! (p. 83-84)

Ce texte d’à peine 150 pages, illustrations comprises, navigue entre roman et poésie, et c’est un pur moment de plaisir littéraire. Phrases ciselées, éclats de vie et de lumière tels qu’on les trouve au bord du lac d’Annecy, ce lac d’une beauté infinie si bien décrite dans ce livre. Quel style !

Des jeunes gens dansaient au bord de l’eau. J’entendais clairement leurs éclats de rire, mêlés à la voix sourde de Jessie. La baleine envasée chantait par cinquante mètres de profondeur et son chant nocturne imprégnait le lac et les montagnes d’une immense mélancolie. Deux jeunes corps se sont jetés à l’eau. […]

Leur bonheur d’être en vie teintait l’eau d’un nuage luminescent que seuls voient les étoiles et les monstres. (p. 61)

Ce livre tout entier dédié à la contemplation de la lumière, de la vie, de ce qui nous dépasse et efface les vilenies et mesquineries des hommes. Il est illustré avec une infinie délicatesse par les gouaches de Blandine Jeanroy-Gourio, la fidèle compagne de l’auteur qui transforme en images le bestiaire de son poète, chiens, chats et ici baleine.

Les livres qu’on aime débordent leur espace. Don Quichotte serait bien incapable de rester conscrit entre les pages de Cervantès. Il va partout. Les livres posés çà et là ne seraient que des relais pour rentrer le soir, faire boire le cheval et se reposer des aventures de la journée. J’ai bien vu que c’est dans Le vieil Homme et la Mer que Santiago dort. […] Le jour, il est en mer. Dans le livre et hors du livre, il pêche inlassablement son espadon géant dans le rêve des gens. (p. 91-92)

Nous sommes loin des Brèves de Comptoir, quoique, à bien y réfléchir, les éclairs de poésie et de vin blanc se retrouvent au bord du lac.

Merci Jean-Marie de nous avoir offert ce petit bijou aussi poli qu’un caillou de lac, cette leçon de beauté, de style, de vie – continuer sa liste en fonction de sa sensibilité et de son incapacité à être performant. Vous l’aurez compris, je pense que ce petit livre si sensible, si drôle, si poignant de solitude parfois, est à conserver dans sa poche, Le Vieil Homme et la Mer lui fera bien une petite place.

La baleine du lac d’Annecy
Jean-Marie Gourio
Julliard, mars 2018, 160 p., 14€
ISBN : 9782260032434

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