Besoin de vous évader ? De fuir annonces, autorisations et nouvelles grises ? Laissez-vous transporter au XIIe siècle dans le Japon médiéval, à l’époque Eian, grâce au Bureau des Jardins et des Étangs de Didier Decoin.
Miyuki, femme du pêcheur de carpes Katsuro, se retrouve veuve après la noyade de son époux. Elle a vingt-sept ans et la communauté la charge de livrer les carpes d’exception pêchées par son mari à Heiankyõ, la capitale de l’empire, où le maître du Bureau des Jardins et des Étangs, le vieux Nagusa les attend.
Tout va vous étonner dans ce roman exotique, le dépaysement sera si total que vous oublierez la période que nous vivons. Servi par une langue d’une richesse étonnante, sensuelle, gouleyante et vigoureuse, vous découvrirez la dure vie des paysans et celle des courtisans de la capitale, l’importance de la religion et l’obsession de la perfection à la cour, la poésie comme arme de pouvoir et les douze robes superposées portées par les dames de la cour pour créer une nuance indéfinissable.
Ce qu’il attend de toi, voici : va à sa rencontre, va sans hâte, en te glissant lentement parmi ces Dames affalées qui vont respirer, et avec quelle avidité, les encens embrasés par Son Excellence. Entravées par leurs toilettes, engourdies pour être restées longtemps pétrifiées, il faudra t’attendre à ce que toutes ne se relèvent pas pour te laisser passer. Ne te trouble pas, ne t’arrête pas, ne tente pas de les écarter, continue de glisser sans te soucier de rien. Les jûnihitoe empêchent de voir ce qu’il en est précisément, mais tu peux me croire : elles sont agenouillées, assises sur leurs talons, certaines semblent allongées, […], mais ne te soucie pas d’elles, enjambe-les, survole-les, et que les pans de tes douze robes en se soulevant les effleurent, les caressent, les polissent, les lèchent comme autant de pinceaux de soie. Sauf que, au lieu de les marquer d’une touche de couleur, c’est une empreinte parfumée que tu va déposer sur ces Dames : l’odeur de la demoiselle d’entre deux brumes. » (p. 338)
Le voyage de la jeune femme, long de plusieurs centaines de kilomètres, nous permet de faire connaissance avec les différentes composantes de la société, temples et brigands, maisons de passe et pêcheurs. Comme l’érotisme est différent du nôtre, et les notions de beauté, et les coutumes !
La documentation de l’auteur est particulièrement riche, et j’ai retrouvé avec plaisir Le Dit du Genji ou les Notes de chevet de Sei Shõnagon, dame d’honneur de la cour impériale autour de l’an mille.
Ce qu’il adviendra de Miyuki, veuve de Katsuro, vous le découvrirez dans ce roman vibrant et vous n’oublierez pas de sitôt cette jeune femme aux épaules sciées par la palanche où sont fixés les viviers de ses carpes.
Le Bureau des Jardins et des Étangs est un roman totalement dépaysant, mais pas seulement. Tout au long de son périlleux voyage, Katsuro fait tout le temps irruption dans l’esprit de la jeune femme.
Katsuro et sa femme s’étaient promis, avant de disparaître, d’accompagner la Kusagawa jusqu’à son embouchure ; et là, assis côte à côte, enlacés peut-être, sur une même pierre tiédie par le soleil, ils regarderaient comment leur rivière s’y prenait pour se perdre dans l’océan. Pour être certains que leur souhait serait exaucé, Miyuki avait choisi et cueilli une feuille de kaji que Katsuro, à l’occasion d’un de ses voyages à Heiankyõ, avait confiée à un lettré pour qu’il y inscrive leur vœu. […] Mais quelque chose n’avait pas dû être fait comme il fallait, puisque Katsuro était mort avant de prendre place sur la pierre tiède à côté de Miyuki. (p. 273-274).
On peut considérer que Le Bureau des Jardins et des Étangs est une Odyssée, un chant funèbre intemporel, tant la douleur de la perte de l’être aimé est universelle.
Didier Decoin
Stock, janvier 2017, 396 p., 20,50 €
ISBN : 978-2-234-07475-0