C’est l’histoire d’une crise de quarantaine dans le Grand Est peu avant les élections de 2017.
Un peu court pour résumer un roman de presque 400 pages, le roman de Nicolas Mathieu vaut mieux que ce résumé lapidaire de l’histoire d’amour entre Hélène et Christophe.
Ils viennent tous les deux de la même petite ville perdue de Lorraine, mais ils ont choisi un chemin radicalement différent. Hélène était obsédée par l’idée de partir et de réussir, la petite bûcheuse un peu pimbêche a atteint son but : elle est devenue cadre supérieur – consultante dans une agence de communication. Mais le vernis est fragile. Après un burn out à Paris, elle s’est repliée à Nancy avec mari et enfants.
Elle se sentait étrangère à tout. Elle n’avait plus envie d’être nulle part. Le vide l’avait prise.
Belle situation, belle maison, beaux enfants, mari charmant. Mais la vacuité de sa vie, mais la colère qui enfle devant l’impression d’avoir été flouée, que les promesses de l’adolescence ont viré à l’arnaque.
Christophe vient du même endroit, il était la vedette de la ville, l’espoir local du club de hockey, celui dont toutes les filles étaient amoureuses. Le soufflé est retombé. Désormais il vend de la nourriture pour chien et passe ses soirées à boire de la bière avec les copains, il vit toujours avec son père qui perd un peu la tête et son fils Gabriel. Mais son ex-compagne va partir de la ville et le séparer du petit.
Les deux mondes sont parfaitement décrits, le cynisme de ces consultants qui jouent des faiblesses de ceux qui leur font face d’un côté, la vie qui ne décolle pas avec de pauvres satisfactions de l’autre.
La jonction entre les deux personnages a lieu grâce à internet, rencontre orchestrée par Hélène. On ne comprend pas très bien ce qu’elle cherche, pas plus que ce retour en arrière vers ce qu’elle avait fui avec acharnement, mais on s’embarque en compagnie de Christophe, beaucoup plus naïf, beaucoup plus vrai.
L’histoire d’amour peut débuter, sensualité garantie, désir, très belles pages de frissons de peau. Et tout le talent de l’auteur éclate, malgré certaines longueurs, le côté un peu démonstratif du monde cynique des consultants et des politiques, les scènes de matchs de hockey et la « France d’en-bas ».
Il y a dans ce texte quelque chose d’un peu trop appuyé, d’un peu trop démonstratif, et j’ai parcouru certaines pages en lecture rapide, je l’avoue. Mais quel plaisir de lire un roman dont l’auteur aime ses personnages, manifeste une empathie totale avec ceux qui essaient de surnager dans notre monde ! Quel plaisir de sentir une vraie connexion avec des régions dont on ne nous parle pas souvent, mais sous forme romancée et non pas sous la forme de déballage personnel. Le roman pour embrasser le monde, l’empoigner, le secouer, avec des personnages qui représentent les fractures sociales de notre époque. Hélène et Christophe se présentent devant nous, oscillent entre présent et passé, adolescence et vie actuelle, rêves et frustrations. L’immersion dans l’adolescence (en particulier celle d’Hélène) évoquera des souvenirs à bien des lectrices, quant à celle de Christophe elle est plus discrète.
Il y a ce style très particulier de Nicolas Mathieu, une surabondance d’images et de métaphores comme :
Les images en lui ronflent comme le feu d’un poêle (p. 273)
Ou, parlant des albums photos :
La lente hémorragie du temps retenue dans la digue d’un rectangle de papier brillant. (p. 388)
Au bout du compte, qu’est-ce qu’une vie réussie ? Qu’est-ce que l’on retient dans les sauts de puces qui nous mènent à la vieillesse et à la mort ? L’angoisse du père de Christophe devant la perte de mémoire et l’avancée de la maladie est décrite de manière poignante :
Il arrivait parfois à Gérard de perdre des jours entiers, comme on perd de la monnaie ou ses clefs. Christophe évoquait une discussion qu’ils avaient eue, et il faisait bien entendu bonne figure, mais en réalité il n’avait pas la moindre idée de ce dont il était question. Parfois, il retrouvait dans ses poches ou son portefeuille des tickets de caisse avec des montants exorbitants qui ne lui disaient rien. Cent cinquante balles chez Bricorama pour de la peinture et des ampoules. Quelle peinture, quelles ampoules ? Ou bien il recevait par la poste un pyjama en flanelle qu’il n’avait jamais commandé. Il ouvrait un placard à l’étage pour ranger des rouleaux de PQ et le placard en était déjà plein. Son monde était comme ça, semé de trous, ses semaines hérissées de surprises et de questions sans réponse. (p. 275-276)
Il y a tant d’autres passages où l’usure du temps, les petites économies pour acheter son pavillon qui serviront à payer la maison de retraite sont d’une justesse et d’une émotion considérables, mais je ne veux pas vous plomber le moral. Je pense que vous n’entendrez plus jamais la chanson Connemara de la même façon. Ce classique de toutes les fêtes et de tous les milieux sociaux tant il est entraînant, sert de fil conducteur et de grille de lecture sociale dans ce roman humaniste et un peu désenchanté.